Kristen Chick, journaliste collaborateur de la prestigieuse Colombia Journalism Review (CJD), a publié le 21 décembre 2020, une longue enquête qui met en accusation l’agence américaine Magnum Photos Inc. pour le comportement de l’un de ses photographes, David Alan Harvey, un californien âgé de 76 ans, visé pour harcèlement sexuel.
C’est une enquête approfondie, un modèle du genre, qui brosse un portrait peu complaisant et peu sympathique de cette agence où les photographes sont réputés être les patrons grâce à un règlement interne dit « coopératif ».
Le comportement de ce photographe « a été signalé à Magnum dès 2009, mais l’agence s’est assise sur l’information pendant plus d’une décennie. L’agence a finalement pris des mesures en août de cette année, après que les allégations ont été rendues publiques par un article publié sur le site Fstoppers qui rapportait que Magnum vendait des photos explicites de mineurs exploités sexuellement sur son site Web, y compris des photographies d’une série prise par Harvey à Bangkok en 1989. Cette publication a conduit la photojournaliste Amanda Mustard à écrire un fil Twitter sur Harvey, que ses allégations d’inconduite sexuelle étaient bien connues dans la profession. »
L’été dernier Magnum Photos a annoncé examiner les archives de ce photographe diffusées sur son site web et le 28 octobre 2020, l’agence suspendait « Harvey pour un an après avoir déterminé qu’il avait enfreint le code de conduite et les règlements administratifs de l’agence. »
Kristen Chick brosse le portrait du photographe : « Harvey, soixante-seize ans, est un vétéran de haut niveau dans le monde de la photographie, connu en particulier pour son travail en Amérique latine. Il a photographié des dizaines de reportages pour National Geographic depuis 1973 et a rejoint Magnum en tant que membre à part entière en 1997. Il est également connu comme un partisan et un mentor pour les jeunes photographes. En plus d’enseigner dans les workshops Magnum dans le monde entier, il organise ses propres ateliers pour 3 400 $ pour les jeunes photographes ou les aspirants photographes, offre des cours de mentor virtuel et dirige Burn, un magazine en ligne et imprimé pour les photographes émergents, grâce auquel il décerne également des bourses. Pour de nombreux jeunes photographes, il a un statut de quasi-célébrité : un homme puissant au sommet du domaine, soutenu par les puissances de l’industrie de Magnum et National Geographic. »
Cette position dominante du photographe, de son agence et de son client National Geographic lui permet d’avoir accès à un grand nombre de jeunes femmes, apprenties photographes, qu’il a, tout au long des années, harcelées pour ses besoins sexuels. Il n’est pas le premier, ni le dernier à avoir des « comportements inadéquats », comme on l’écrit pudiquement aujourd’hui, pour des pratiques vraiment scandaleuses. L’affaire va suivre son cours sur le plan judiciaire, mais la question en suspens est pourquoi et comment Magnum Photos n’a pas réagi plus tôt ?
Le « coopératif » comme un boomerang
« Le problème avec Magnum, c’est évidemment qu’il s’agit d’un collectif, donc le personnel salarié de l’agence n’a pas vraiment de pouvoir sur les photographes, ils sont nos patrons », a confié Naina Bajekal, qui était rédactrice numérique indépendante chez Magnum à Londres. « Vous devez avancer très prudemment avec eux, parce qu’en fin de compte, ils ont vu aller et venir des personnels de l’agence tout au long de leur vie, mais eux, ils sont Magnum. Cela rend très difficile la lutte contre le harcèlement sexuel. »
David Kogan, l’ancien Pdg de Magnum, (remplacé par une femme !) qui a incité l’agence à adopter un code de bonne conduite que Magnum a refusé de communiquer à la CJR a écrit à Kristen Chick que « Les photographes ont été très clairs dans des dizaines d’e-mails qu’ils ne pouvaient être jugés que par leurs collègues membres de Magnum. » Au vu des témoignages de femmes rassemblés par la Columbia Journalism Review, il semble que la justice va se mêler de juger les brebis galeuses de Magnum Photos.
Finalement, en dehors du comportement proprement scandaleux de Harvey, l’enquête de Kristen Chick brosse un portrait peu flatteur de l’agence fondée, entre autres, par Robert Capa et Henri Cartier-Bresson. Les personnalités d’HCB, « L’œil du siècle », du Capa de la guerre d’Espagne et du 6 juin 1944, de Chim, de Rodgers, de Marc Riboud, de Bruno Barbey, de Raymond Depardon et de tant d’autres talents ont longtemps placé Magnum dans une lumière si éblouissante que les ombres devenaient impénétrables.
Ainsi cette société américaine, que l’on croit ici française, cette coopérative qui n’en est pas une au sens français du terme, est devenue LE mythe mondial du photojournalisme dont pourtant, elle n’a cessé de s’éloigner. Mais comme toute légende, le temps érode le magique et l’Histoire finit souvent par dévoiler une complexité que tous voulaient ignorer.
Dernière révision le 26 mars 2024 à 4:50 pm GMT+0100 par la rédaction
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Cher Bernard Lebrun,
Je sais, je fais un crime de lèse majesté. Toucher à Magnum, c’est comme cracher sur le saint sacrement pour les groupies de cette agence. Sur Facebook, déjà, quelques commentaires …
Et puis te voilà, qui t’énerve a ton tour. Décidément vous êtes incorrigibles. Les fans de Magnum me rappel mon passage de jeunesse chez les « maos ». Il fallait vénéré le petit livre rouge, sinon on n’était un traitre.
Me voila accusé d’avoir écrit un « papier vénéneux et à charge ! » Diable. Pour un article qui n’est en fait qu’une revue de presse, c’est beaucoup d’honneur ! Je ne vais pas répondre point par point à ta diatribe, car – pardonne moi – elle présente peu d’intérêt, car le sujet c’est l’enquete de la CJR, pas moi !
Comme tous les journalistes qui aiment la photographie de presse, les membres fondateurs de Magnum m’ont fait réver, mais pas leur société.
En 1980, pour un article, j’ai consulté les statuts de la filliale française… Et j’ai compris que rien n’était aussi simple dans cette société que la légende voulait bien le dire. Depuis, j’ai constaté que l’agence vendait de moins en moins dans la presse mais conservait pourtant le titre prestigieux d’agence de presse. Pour faire court, je répete ce que j’ai écrit : il y a la légende et la réalité. Et la réalité à du mal à se faire jour tant les fidèles de la religion sont nombreux et prolixe.
Précisons toutefois: j’ai été photographe quatre ou cinq ans dans ma vie, autant dire que je n’ai jamais ambitionné d’etre coopté par les seigneurs de la profession ! Je n’ai jamais eu a faire, ni affaire, avec Magnum pour aucune raison. Je n’ai donc aucun compte à régler avec cette agence, pas plus d’ailleurs qu’avec toutes autres.
Confraternellement
Michel Puech
So. Michel, je ne sais pas si tu sabres un Magnum de champ en pareille occasion, mais si c’est le cas, je t’avoue ne pas comprendre.
Pourquoi ? Qu’est-ce qui provoque une telle réjouissance ? Quels en sont les motifs ? Magnum Photos s’est-elle jamais réjouie du malheur des autres et de la disparition successive de toutes les agences auxquelles tu as participé dans ta longue carrière ? Cela m’étonnerait beaucoup.
Quel papier vénéneux et à charge ! Rien ne peut justifier un tel règlement de compte. Sauf une forme de jalousie aigre- douce qui perdure depuis des années. Mais que t’ont-ils donc fait, personnellement, Michel ? Explique-nous les raisons de ta haine ! Ce sera un papier passionnant, assurément.
D’abord, Kristen Chick, l’auteur de cette excellente enquête n’est pas du tout journaliste à la CJR. C’est une freelance spécialisée dans les questions féministes, entre autres et comme indiqué à la fin de son papier. Par ailleurs, une question majeure que tu n’évoques pas : pourquoi le tout puissant New Yorker a-t-il renoncé à sortir l’affaire en 2018 ?
Une autre : comment le staff du National Geographic a-t-il fermé les yeux sur le comportement de DAH pendant des années ? Rappel : cet individu est entré chez Magnum Photos en 1997, seulement. Soit 50 ans après la création de l’agence qui jamais n’a jamais défrayé la chronique des faits divers crapoteux pour de tels motifs. Et puisque affaire il y a, il s’agit bien d’une affaire HARVEY, d’abord et avant toute chose. Que le signalement de 2009 n’ait pas été pris au sérieux par la direction d’alors, me semble en premier lieu imputable à la dite direction. Et il était facile d’en retrouver les noms. La mettre sur le dos de David Kogan est plus qu’injuste. Il est l’un des rares à avoir pris le problème à bras le corps. Même si son comportement avec la pigiste de Londres – qu’il reconnait – et sa volonté « que l’affaire reste dans la famille »- qu’il reconnait aussi – sont discutables. Réflexe naturel (à tord) d’un patron de presse, qui existe dans toutes les boîtes. Au moins, lui, a-t-il fait adopter ce code de bonne conduite en 2018. Comme NOOR, VII et Reuters.
La justice passera et je ne doute pas un instant que Harvey, comme ses photos, ne reviendront jamais à l’agence. Quand bien même un non-lieu serait prononcé. La prudence s’impose, même si tout l’accable, il demeure présumé innocent. D’autant plus qu’il n’est pas inculpé dans l’immédiat et qu’aucune instruction n’est ouverte à ce jour. Rien en tous les cas, ne justifie à mes yeux, que tu puisses t’en prendre – quel rapport ? – en conclusion au mode de gouvernance « coopératif » de cette entreprise à double direction, quant il s’agit plutôt, de la démonstration évidente qu’une agence photographique n’est pas une société comme les autres.
Elle demeure avant tout une association d’artisans de haute qualité, photographes ou non, de créatifs confrontés à des problèmes de management qui les dépassent. Une société internationale sans DRH, ni juristes qui a pour préoccupation première, la création photographique et la survie de son propre outil de travail. Un combat de chaque instant – que tu es bien placé pour connaître – désormais vieux de 73 ans, chez Magnum Photos. Et qui va durer, ne t’en déplaise, manifestement. Bernard LEBRUN, journaliste honoraire et historien, Paris.