Deux mois après la mort du patron de Gamma et de Sygma, après les quotidiens et les sites web, fleurissent, dans les revues, les hommages à cet homme exceptionnel que fut Hubert Henrotte.
Les nécros tombent en ces temps comme les feuilles mortes à l’automne : Franck Horvat, Léon Herschtritt, Bruno Barbey, Patrick Chapuis et tant d’autres… On désespère qu’enfin la vie revienne à la Une.
« H. H. était un homme de contrastes, à la fois simple et complexe, un caractère vif, craint mais en même temps humain et généreux, déconcertant mais attachant. C’est ainsi que le définissaient ses proches et ses collaborateurs. » écrit Bernard Perrine (ndlr: et non Pascal Quittemelle) dans la revue Profession Photographe[1] qui consacre également une notice à Bruno Barbey et à Léon Herschtritt.
Michel Guerrin, à qui l’on doit toujours rendre hommage pour avoir, dès 1985, publié dans Le Monde, la première grande enquête sur les agences de presse photographiques avait ouvert le bal des hommages le 25 novembre 2020. « Des photographes comme Jean-Pierre Laffont, Alain Keler ou Raymond Depardon ont rappelé ce que la photo de presse doit à son talent de chef, de gestionnaire et de connaisseur de l’actualité. L’intéressé, lui, était indéchiffrable. Froid et distant, craint, aimant peu déléguer, à son aise dans la tension, il répétait, non sans raison, qu’une agence photo est d’abord une entreprise. Mais certains ont vanté son intégrité et sa générosité, ajoutant qu’il a rendu le métier lucratif. Il a surtout joué son rôle pour que le photographe passe du statut de tâcheron à auteur. [2]» Même, si je ne partage pas sa dernière phrase, c’est le plus bel hommage.
En effet, je ne crois pas qu’Hubert Henrotte ait été l’artisan du passage de tâcheron à auteur, il a été l’artisan du passage des agences de l’artisanat à l’industrie, hélas, sans en bénéficier. Bien au contraire puisqu’il a été littéralement viré par un actionnaire plus intéressé par la finance que par le photojournalisme.
« J’ai un regret, Hubert. » écrit Jean-François Leroy dans le dernier numéro de la revue LIKE « Tu le sais, j’aimais aussi beaucoup Gökşin Sipahioglu. Pas exactement comme toi… Là où tu imposais ta rigueur, il prônait la liberté. Mais tous les deux associés, quel malheur cela aurait fait. Et tout existerait encore…[2] » La remarque est non seulement intéressante et pertinente, mais non dépourvue de fondement. D’après mes informations, il semble qu’il y ait eu au moins une tentative de rassembler les agences Gamma, Sipa et Sygma dans un groupement d’intérêt économique.
J’écris « il semble » car, aujourd’hui encore, il est difficile de délier les langues sur ce sujet. Alain Mingam qui a été l’un des instigateurs de ce rapprochement confie – sans surprise – que c’est un problème d’égo des hommes qui a fait capoter le projet. Peut-être. Encore aurait-il fallu avoir les moyens financiers de se battre contre ces nains américains qui allaient devenir des géants aux pieds d’argile. Ce n’était pas gagné !
Une chose est certaine, dans la presse, les photographes considérés comme des techniciens durant « les trente glorieuses » sont devenus des journalistes reporters photographes, puis grâce à Visa pour l’image, des photojournalistes dont le travail est aujourd’hui reconnu sinon payé à sa juste valeur. On doit cela, en grande partie à Hubert Henrotte, dont tous reconnaissent aujourd’hui qu’il a été, avant Gamma, un militant besogneux et scrupuleux de feu l’Association des journalistes reporters photographes et cinéastes (ANJRPC).
Pour terminer cette revue de presse, citons l’ancien photographe de Sygma Patrick Robert, resté dévoué à son patron jusqu’à la fin. Il en fait dans Paris Match un juste portrait : « C’était un journaliste, un entrepreneur, un gestionnaire rigoureux mais loyal. Instinctif, audacieux, autoritaire et respecté, craint parfois, mais il avait une affection profonde pour ses photographes. Il pouvait être cassant ou sévère, effet pervers d’une fragilité dissimulée, mais compensait avec une grande générosité d’âme. Il lui arrivait d’être injuste, mais savait reconnaître ses éventuelles erreurs sans marchander. [4]»
Enfin, une dernière pour la route, résultat d’une lecture trop rapide de A l’œil : dans Connaissance des arts, sous le titre Un photoreporter militant, l’auteure – dont je ne citerai pas le nom par courtoisie confraternelle – écrit : « En 2010, il reprend les actifs du Groupe Eyedea, alors en faillite. Il devient par ailleurs le propriétaire de fonds photographiques issus des agences Gamma, Rapho et Keystone » ! On ne peut meilleure démonstration pour dire que la presse écrite a ignoré et ignore encore la profession.
Au fait, quelqu’un a lu la « nécro » du Figaro ?
Michel Puech
Notes
- Profession Photographe n°46 janvier/février 2021 avec une superbe photo de Michel Baret réalisée pour A l’oeil
- Le Monde du 25 novembre 2020
- Le photojournalisme en question in Like n°3 de l’hiver 2021
- Paris Match 25 novembre 2020
- Connaissance des arts 26 novembre 2020
Dernière révision le 26 mars 2024 à 4:49 pm GMT+0100 par
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