Yves Dejardin, ancien chef du service photo de l’hebdomadaire Le Point est décédé le vendredi 26 février 2021. Après l’agence Rapho où il a débuté, Yves Dejardin a été avec Manuel Bidermanas, un pilier de la photographie de cet hebdomadaire fondé en 1972.
« Vingt ans d’amitié sans une ombre ! » Ce sont les premiers mots de Manuel Bidermanas à propos de leur collaboration. « Yves Dejardin[1] était un homme très agréable, d’une grande honnêteté intellectuelle. Et puis, nous rions beaucoup dans le service, c’était très gai. Il était arrivé un peu avant moi au Point alors qu’il s’agissait encore de faire des « n°0 ». J’avais été recruté par Claude Imbert que j’avais connu à L’Express, et je savais ce qu’il ne fallait pas faire. Yves avait l’expérience de Rapho et nous avions contre nous, toutes les grandes agences. Nous, nous devions faire à l’économie. Nous avions une grande confiance l’un dans l’autre. Un regard entre nous, et tout était dit[2]. »
Une jeunesse dans la lumière du Sud
« Il a passé sa jeunesse à Cassis. À 15 ans Yves Dejardin se lie d’amitié avec le peintre Ghislain Dussart[3], à 16 ans il entre aux Beaux-Arts de Marseille, à 17 ans il monte à Paris pour partager un atelier avec le peintre marseillais Jean Bellissen. Parallèlement, il suit à l’École Nationale des Métiers d’Art, un enseignement artistique rigoureux qu’il couronnera d’un diplôme de maître verrier. » écrit Claude Rivière dans le quotidien La Provence à l’occasion d’une exposition de peinture d’Yves Dejardin aux Salles voûtées de Cassis. Un retour aux sources, lui qui se sentait vraiment de Cassis.
« À 24 ans d’abord, j’ai le bonheur de croiser le chemin de Pierre-Martin Caille, galeriste rue de Laborde puis rue du Faubourg Saint-Honoré, ce sera une nouvelle page de ma vie, se souvient l’artiste, il m’offre un contrat de cinq ans et me fait entrer comme publicitaire dans le groupe Nouvelle Génération. Quatre ans plus tard, Ghislain Dussart me fait rencontrer Raymond Grosset, fondateur de l’agence de presse Rapho, qui m’engage. En cinq ans, je vais tout apprendre de ce métier passionnant et complexe, l’occasion aussi de croiser Robert Doisneau, Hans Silvester et d’autres grands photographes. En 1971, Paris Match m’engage pour assurer la production des grands reportages et l’année suivante, ce sera Le Point où je resterai 20 ans ![5] »
Hervé Donnezan, le photographe catalan, se souvient du chaleureux accueil que lui fit Yves Dejardin quand il intégra l’équipe des photographes diffusés par Rapho. Philippe Charliat, directeur artistique du Point se souvient qu’au « moment de la création de l’hebdomadaire Claude Imbert cherchait quelqu’un pour le service photo, et ce fut Yves. Je crois que Manuel Bidermanas est arrivé un peu plus tard. » Kathleen Grosset très émue d’apprendre la disparition de Dejardin se souvient que « mon père l’appréciait beaucoup. Je ne travaillais pas encore à l’agence, mais je me souviens très bien de lui. Un homme très agréable, souriant. » Chantal Soler qui l’a fréquenté « surtout au Point » car il faisait travailler en commande les photographes de l’agence.
Il a signé ma première garantie
En avril 1973, les ouvriers de Peugeot à Saint-Etienne sont en grève avec occupation. A l’époque, je fais partie du collectif de photographes Boojum Consort qui traite l’actualité sociale pour la presse de gauche et d’extrême gauche. Cette semaine-là, je suis « de vente », c’est-à-dire que je vais dans les rédactions avec ma mobylette et un paquet de photos qui ont été développées et tirées dans la nuit. J’arrive au service photo du Point et en entrant, j’entends Yves Dejardin qui cherche au téléphone une place pour un photographe dans un avion pour Saint-Etienne. J’ai justement dans ma sacoche les photos faites hier par Danielle Guardiola ! Je le dis à Manuel Bidermanas qui regarde les épreuves, en sélectionne quatre ou cinq et me demande : « Combien ? » C’est la première fois qu’on me pose cette question. Comme mes camarades du Boojum, je n’ai aucune pratique des « garanties de publication ». A tout hasard, je dis 1500 francs (1350 €/2020) ce qui est, à l’époque, pour nous une somme énorme. Nous vendons les photos le plus souvent 50 francs (45 €/2020) ! L’affaire se conclut ainsi et nous convenons que Le Point paiera 20 francs chaque épreuve laissée en dépôt ! Autre temps, autres mœurs.
Vingt ans plus tard, les mœurs ont changé. « Un jour nous avons eu un meeting de la rédaction dans un grand hôtel avec le nouveau directeur artistique du journal. Le gars, dont je préfère oublier le nom, n’est pas tendre. » se souvient Manuel Bidermanas. « Yves était furieux et est allé voir Claude Imbert pour lui dire qu’il ne trouvait pas normal de se faire traiter ainsi, et il a été licencié. Il en été très contrarié et en voulu à Claude Imbert. On était en 1992, 1993, je suis parti aussi. Pas par soutien à Yves, mais contrairement à lui, je savais que la fête était finie ! »
Après Le Point, Yves Dejardin a fait quelques piges puis a quitté Paris. Il a exposé quelques-unes de ses œuvres, des dessins, de la gravure, et naturellement quelques toiles. « Mes techniques de gravure de prédilection sont la taille-douce et la pointe sèche » expliquait-il à La Provence « J’essaie de vous faire partager mon plaisir par une méthode à deux branches : la taille-douce et l’eau-forte, toutes deux sur plaques de métal, zinc ou cuivre. »
Michel Puech
A l’œil adresse ses chaleureuses condoléances à ses quatre fils : Mathias, journaliste au Point, Thomas qui travaille à l’agence AKG Images, Yann photographe, Alexandre avocat et à Dominique l’épouse d’Yves, ainsi qu’à toute sa famille et ses amis.
[1] Yves Dejardin (France, Orléans, 1er décembre 1939 – Queaux (Vienne), vendredi 26 février 2021), peintre, puis vendeur à l’agence Rapho, devenu journaliste en entrant au Point est titulaire de la CCIJP n°32 244.
[2] Manuel Bidermanas, entretien téléphonique le 4 mars 2021
[3] Ghislain Dussart (France, Bagnères-de-Bigorre, 9 décembre 1924 – Saint Tropez, 1er juin 1996) est un photographe diffusé par l’agence Rapho et artiste peintre.
[4] La Provence du mardi 20 juin 2017
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