« L’affaire Jaubert » débute le samedi 29 mai 1971, dans l’après-midi, après un repas de famille dans un restaurant de la place Clichy à Paris. Un journaliste monte dans un car de police et, se retrouve à l’hôpital. Les tabassages d’Alain Jaubert confortent un mouvement de contestation dans les rédactions qui engendrera, entre autres, la création de l’Agence de Presse Libération puis du quotidien Libération. Flash-back.
Alain Jaubert, à la suite de ses séjours dans des cars de Police Secours, souffre de deux traumatismes, l’un crânien, l’autre nasal, et les médecins dénombrent une trentaine d’hématomes. Mais le lendemain, le 30 mai 1971 au soir, la préfecture de police adresse un communiqué à l’Agence France-Presse, qui affirme que Jaubert aurait agressé les agents et tenté de s’enfuir du fourgon en marche, qu’il a été placé sous mandat de dépôt pour rébellion, coups et outrage à agents de la force publique et qu’il a été conduit à la salle Cusco de l’Hôtel-Dieu !
Face à « la bavure », comme à son habitude, la Police réagit en contre-attaquant. Ce n’est pas la faute des forces de l’ordre si elles ont été sauvagement attaquées par un intellectuel à lunettes !
« Sensation étrange ! Que quelqu’un me marche un jour sur la tête, l’idée ne me serait jamais venue, même dans un cauchemar. Mais là, l’homme a délibérément posé son pied chaussé d’un gros godillot sur mon profil et a appuyé de tout son poids. C’était fou, tellement incroyable, impensable ! Mes lunettes ont été écrasées, les éclats de verre jaillissant tout autour et me pénétrant dans la tempe et le cuir chevelu. Ça n’a duré qu’une seconde, les gens dans la rue ont dû s’en apercevoir et ont commencé à protester, plusieurs criaient. Des policiers m’ont relevé, j’avais du sang dans les yeux, je ne voyais pas grand-chose. Ils se sont alors mis en rond autour de moi et ont joué au punching-ball avec mon corps. » écrit Alain Jaubert, dans un livre à paraître aux Éditions Gallimard.
Ce n’est que le début du calvaire que va vivre Alain Jaubert ce 29 mai 1971, alors enseignant à la Faculté de Vincennes, et collaborateur de l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur ainsi que du mensuel La Recherche. Interpellé par les cris d’un homme et à la vue d’un rassemblement, le journaliste qui sort d’un déjeuner, s’approche, constate qu’il y a un blessé et l’accompagne à l’hôpital avec l’accord des policiers de Police Secours. Là où se déroule la scène que vous venez de lire. Scène qui va s’amplifier jusqu’à l’éjection de « l’ordure » par la porte arrière du car qui roule. Mais ce n’est pas terminé. A terre, il est à nouveau tabassé jusqu’à l’intervention des badauds. On le rembarque dans un car et on le retabasse avec des insultes sans équivoque.
« J’avais des pieds sur la figure, le cou, la poitrine, le ventre, dix ou douze pieds de policiers sur moi. Ils se tenaient fermement aux rebords des banquettes pour appuyer de tout leur poids sur mon thorax et sur mon abdomen. Au bout d’une minute, je ne pouvais plus respirer, je suffoquais complètement, et j’ai essayé de dégager mon visage et mon cou. Sans doute, c’est ce qu’ils appellent « rébellion ».
Cinquante ans plus tard, la description minutieuse que fait Alain Jaubert est glaçante. Depuis nous avons entendu tant et tant d’autres témoignages aussi odieux les uns que les autres sur les violences policières ! Jaubert n’était ni le premier, ni hélas le dernier à être littéralement torturé par des policiers.
« J’aurais dit n’importe quoi, même les choses les plus niaises ou les plus indécentes, pour déclencher leur pitié. Quand j’ai dit que j’étais journaliste, on m’a répondu : « On en a marre de vos conneries. Les journalistes sont tous des salauds. Tu vas payer pour les autres. On va te faire la peau, charogne. » J’ai eu droit à toutes les injures : « Salope, ordure, enculé », etc. Et puis à des phrases du genre : « On en a marre de tous ces nègres et de tous ces bougnoules qui viennent nous faire chier ». Lorsque j’ai dit que j’étais enseignant, ils ont ajouté : « Double raison pour qu’on te fasse la peau » et j’ai eu droit à une série de propos « nazis ». L’un d’eux a dit : « On nous traite de SS, mais les SS au moins, c’étaient des hommes. Ils avaient des couilles. Toi, t’en n’as pas. » Paradoxalement, il me l’a répété à la fin du tabassage au moment même où il m’avait baissé mon pantalon et où il me tordait les testicules. »
Des couilles aux éborgnements…
Avec le temps et l’évolution de l’armement policier, ces malades qui déshonorent la police de la République, s’intéressent moins aux couilles qu’aux yeux des citoyens. L’éborgnement par grenade dont fut jadis victime Richard Deshayes, est entré dans les mœurs pour le malheur des « Gilets Jaunes ».
La nouvelle du tabassage d’Alain Jaubert, va enflammer les esprits de l’époque, en première ligne Michel Foucault, Jacques-Alain Miller, Maurice Clavel, Michèle Manceaux, Katia D. Kaupp, Claude-Marie Vadrot, Annette Kahn, Alain Landau, Elie Kagan etc. Alain Jaubert qui ne se souvenait que d’un nom d’avocat, fait alors appel à Maître Henri Leclerc, ténor du barreau.
« Évidemment mon affaire, puisqu’il faut bien l’appeler ainsi, déclencha quelque chose de l’ordre du typhon. Peu de temps auparavant, le 11 mai, Michèle Manceaux avait été arrêtée et perquisitionnée parce que le numéro de sa voiture avait été relevé aux alentours des usines Renault à Flins, usine en pleine ébullition. L’affaire n’avait pas eu de suite, elle était journaliste et ne faisait que son travail, mais cette désinvolture des policiers avait beaucoup choqué. La même saison, Claude Angeli, qui venait de quitter Le Nouvel Observateur et travaillait pour Le Canard Enchaîné et Politique Hebdo dont il avait été un fondateur avec Paul Noirot et Albert-Paul Lentin, avait été suivi longuement par des policiers en civil, tout un dispositif savant mis en place pour essayer de dépister ses informateurs. Ruse suprême, à l’aide de quelques amis journalistes, il parvint à filer et piéger les hommes chargés de sa propre filature. »
Cinquante ans après, et l’écriture de nombreux livres, Alain Jaubert termine actuellement le récit de ses souvenirs sur cette époque. Contacté, il nous a adressé ces bonnes feuilles et autorisé les citations que vous venez de lire. Qu’il soit ici remercié.
Michel Puech
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