Ce mois sort en librairie : Grands reporters au cœur des conflits d’Emmanuel Razavi, aux Editions Amphora , lui-même grand reporter. Au menu les confessions de Renaud Bernard, Alain Buu, Jean- Pierre Perrin, Jean-Pierre Canet, Clarence Rodriguez, Sarah Caron, Régis le Sommier, Kamal Redouani, Sara Saidi, Éric de Lavarène, Alfred Yaghobzadeh, Bernard de La Villardière et Peggy Porquet. Du beau monde !
Razavi est direct et franc. Il rend à César ce qui est à ses amis. Il ne roule pas des mécaniques, il produit un vrai document pédagogique qui va figurer dans toutes les bibliothèques des écoles de journalisme. Les titres des chapitres parlent d’eux mêmes : « Grands reporters, des femmes et des hommes libres. Pas des enfants de chœur. Des qualités atypiques. Une brève histoire du grand reportage. Le 11 septembre 2001 : un tournant majeur dans le traitement de l’information. Le reporter, l’historien et la guerre. Du mythe de la guerre d’Espagne au journalisme d’aujourd’hui. Grands reporters et envoyés spéciaux : Le sens de l’engagement ». Tout est dit.
Et tout est appuyé sur des exemples sortis de la bouche de ceux qui vont sur le terrain, de ceux qui vont à la guerre et, se retrouvent l’automne venu à Bayeux, au Mémorial de ceux tombés au front pour attribuer le prix annuel des correspondants de guerre. Cette famille, ces clans, ces femmes et ces hommes sont un mystère pour le lecteur, auditeur, téléspectateur lambda. Emmanuel Razavi raconte leurs vies, celle sur le terrain et évoque aussi les retours. La profession où il y a le plus fort taux de divorces ?
L’ouvrage n’oublie pas de mentionner « les petites mains », les éditeurs, les fixeurs, les rédacteurs en chef… Et pour le coup, il fait un portrait sympathique et juste des reporters d’image : « Un grand reporter photographe ou un grand réalisateur caméraman sont, avant tout, des raconteurs d’histoires, doués d’une ouverture d’esprit et d’une hauteur de vue qui leur permettent de mettre en images un grand évènement et de coller au récit narratif du journaliste avec lequel ils travaillent. Ce sont donc des intellectuels en même temps que des techniciens de haut niveau. »
Emmanuel Razavi ne fait pas l’impasse sur l’évolution du grand reportage. « Et puis, les choses ont changé. Un jour, l’un de mes chefs de service m’a dit : “on ne fait pas de l’info, on fait de l’animation d’antenne.” J’ai alors pris conscience que nous allions passer du rôle de reporters porteurs de récits et de sens à celui d’éléments d’une politique de marketing. »
Jean-Pierre Canet résume bien l’évolution du métier de reporter : « En tant que reporters, nous sommes passés du statut de témoins neutres ou indépendants, une sorte de figure presque héroïque, au rôle d’envoyés spéciaux de l’Occident. Jusque dans le milieu des années 1990, nous étions, à tort ou à raison, les représentants de la liberté de la presse, noblement enfantée par la démocratie libérale occidentale. Nous étions perçus comme des gens capables de faire preuve d’esprit critique vis-à-vis du pouvoir, la nature même de notre métier étant de porter un regard indépendant de toute forme de contrôle politique. On faisait spontanément confiance au reporter, on l’accueillait en témoin indispensable : “Venez voir ça, filmez tout ! Montrez nos conditions de vie sous les bombes au reste du monde, merci d’être là…” Le journaliste était doté d’une certaine noblesse. À mi-chemin entre le mythe Kessel et le héros discret, insubordonné façon Bob Woodward, la figure du grand reporter imposait le respect. Et ça, on l’a perdu. »
Quand, comment et pourquoi, le public, les chères auditrices, lectrices, téléspectatrices n’ont plus apprécié le reporter comme gendre idéal ? On ne sait pas encore. Emmanuel Razavi évoque avec justesse « lorsque les télévisions américaines et, dans une moindre mesure, européennes ont accepté que les journalistes soient systématiquement embedded [embarqués] avec des militaires pendant la guerre du Golfe, pour avoir le droit de la filmer. C’était un revirement considérable dans notre rapport au monde arabe et dans notre rapport à l’information. C’était l’exact inverse de la guerre du Vietnam, car les autorités américaines avaient compris la leçon : embarquer les journalistes, c’était montrer à ces derniers ce qu’elles voulaient bien leur montrer. »
« Alors qu’il évoque ces questions en survient une autre : pourquoi exercer encore ce métier ? » La réponse de Renaud Bernard fuse spontanément : « Il y a un livre fondateur. Il s’appelle Putain de mort, de Michael Herr. » Comme quoi, le poids des mots et le choc des images engendrent toujours des vocations. Et c’est tant mieux !
Michel Puech
GRANDS REPORTERS, au cœur des conflits d’Emmanuel Razavi Editions Amphora – Sortie sept. 2021
Dernière révision le 8 octobre 2024 à 1:29 pm GMT+0100 par
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