Un peu d’histoire familiale pour mieux comprendre ma vocation de photographe, de journaliste d’enquête enfin d’historien.
Mon père, René Abramovici, était un apatride roumain, né à Tanger comme son frère Robert. En 1941, l’un, Robert, qui sait nager, rejoint un bateau anglais puis Gibraltar, enfin Londres et la France libre puis l’armée anglaise.
L’autre, René, qui ne sait pas nager, reste à quai et devient journaliste à La Vigie marocaine [1], un journal pétainiste qui deviendra pro-américain après le débarquement en Afrique du Nord de novembre 1942. Après-guerre, ce dernier continue une carrière de journaliste comme correspondant au Maroc de Reuter, Time, Life, Paris Match et d’une quantité impressionnante de journaux et de radios. Il prend également des photos. En voici quelques-unes. C’est lui qui est à côté d’Orson Welles, lors du tournage d’Othello.
Éclectique, il a couvert aussi bien des événements culturels que l’indépendance de l’Indonésie ou du Ghana. Pour le reste, il était le stringer d’un peu tout le monde pour l’Afrique du Nord.
Parallèlement, il fait de la politique, rejoint le parti nationaliste marocain dont il devient le porte-parole et finit assassiné en 1959, après avoir rejoint le ministère de l’information après l’indépendance. Il avait 39 ans et moi 3 ans et demi.
J’ai toujours vécu dans le souvenir de mon père, entouré de ses photos, de ses films et de ses sons radio.
Ma mère, Marie-Louise, de son côté, est la petite-fille de Marco Rosenthal, un juif turc devenu italien, converti au catholicisme en 1938. Marchand de canons, il est le Basil Zaharoff [2] de Skoda[3], l’une des quatre plus grandes compagnies d’armement au monde avant la guerre de 1914. Il est, selon le 2ème Bureau français, l’un des chefs des services secrets ottomans pendant la Première Guerre.
Devenu italien, il part vendre des armes en Chine puis, comme (et peut-être avec ?) Zaharoff, s’installe à Monaco. Je l’ai bien connu, Marco est mort à cent ans, en pleine possession de ses moyens. J’avais dix ans. Il m’a beaucoup raconté…
Ma mère, après la Libération de Monaco en 1944 s’engage dans l’armée. De nationalité luxembourgeoise – toutes ces histoires de nationalités sont un peu compliquées dans ma famille -, elle est versée dans un régiment belge, élément de l’armée anglaise. Arrivée en Allemagne, elle prend des photos, en voici quelques-unes. Elle pose devant son miroir avec son appareil photo en 1946 en Allemagne.
Jamais remariée, elle a eu beaucoup de relations masculines notamment, à la fin des années 1960, un photographe au magazine Votre Beauté. C’est lui qui m’a installé mon premier labo, une chambre de bonne peinte en noir, et, m’a appris des rudiments de photo.
Le moins que l’on puisse dire est que ce milieu était favorable. Il y en avait d’autres dans la famille du même genre, et personne n’a rien fait pour m’empêcher d’être journaliste… Au contraire !
Et, est-ce tout à fait un hasard si je me suis déplacé toute ma vie professionnelle au milieu des trafiquants d’armes, des espions ou des militants politiques plus ou moins clandestins ?
Pierre Abramovici
Notes
[1] La Vigie Marocaine (1908-1971) était un quotidien francophone publié à Casablanca, au Maroc. Il est devenu l’une des publications françaises les plus importantes de la période du Protectorat Français.
[2] Basil Zaharoff, de son nom romanisé Zacharie Vasiliou Zacharoff (Empire Ottoman, Muğla, 6 octobre 1849 – Monaco, Monte-Carlo, 27 novembre 1936), est un aventurier, marchand d’armes et financier grec, ottoman et français, directeur et président de la société Maxim-Vickers-Armstrong durant la Première Guerre mondiale.
[3] Les usines Škoda constituaient la plus grande entreprise industrielle en Autriche-Hongrie et plus tard en Tchécoslovaquie.Dernière révision le 8 octobre 2024 à 1:30 pm GMT+0100 par
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