Après 68, le lycée Buffon, boulevard Pasteur dans le 15ème arrondissement de Paris est un grand établissement (3600 élèves de la 6ème aux classes préparatoires), j’y fais des photos depuis précisément 68 où j’étais une sorte de chroniqueur photographe de la vie du bahut. J’ai commencé à l’instamatic Kodak puis au Canon Ftb… C’était un bahut très, très gauchiste, il y avait des manifs tout le temps et la vie du quartier était très largement perturbée par nos moments politiques : maoïstes, trotskistes, militants de Révolution, communistes ou anars, tout le monde était là…
« De la Résistance à la Révolution »
On s’amusait et on apprenait beaucoup avec des professeurs charismatiques passionnés et passionnants, bref géniaux. Je pense notamment à Jean Pélégri, écrivain de l’Algérie, prof de Français, à Maurice Clavel, auteur de « Messieurs les censeurs, bonsoir » à la télé. Le lendemain, il fut accueilli par les applaudissements de plusieurs centaines d’élèves. Je pense aussi au prof d’Histoire Jean Mairey, directeur de la police nationale pendant la guerre d’Algérie, auteur d’un célèbre rapport accablant contre la torture ; au prof d’Histoire, Robert Chapuis, secrétaire national du PSU après Michel Rocard ; à Gilles Sandier, critique de théâtre, co-animateur du Masque et la Plume sur France Inter ; au prof de Musique, Victoria Fouquet, amie de Stravinski et Kenny Clark, et au prof d’Histoire, Philippe Robrieux, Historien du Parti Communiste, prof d’Histoire et j’en oublie. On notera, en passant que, je n’ai aucun souvenir – sinon négatifs – d’un quelconque prof de Maths…
De Gaulle est mort !
On bloquait souvent la rue de Vaugirard. Une fois, je ne sais plus à quelle occasion, on arrête les voitures. On demande gentiment mais casqués et, armés de matraques d’origines diverses, tout de même, (beaucoup de pieds de tables) une contribution à la lutte.
Arrive, autant que je me souvienne, une Bentley. « Chouette, un riche …! » et voilà qu’apparaît Omar Sharif. Royal, celui-ci remet un billet de 500 francs à la caisse révolutionnaire…
« Merci, m’sieur… merci, merci » et autant de casques qui s’inclinent bien bas devant le généreux donateur qui redémarre en rigolant…
La Seconde Guerre mondiale et la Guerre d’Algérie faisaient partie de notre quotidien mental. On avait décidé de programmer au ciné-club du lycée le film de Panigel sur le 17 octobre 1961. Film interdit, donc intervention des gendarmes mobiles et des CRS. Barricades à l’entrée du lycée et bataille rangée avec à nos côtés une bonne partie des profs… Et souvent, très souvent, grèves et manifs pour tout et n’importe quoi…
Quand De Gaulle est mort, j’étais dans la cour, viré du cours de Mairey pour une mauvaise blague. Très bon élève en Histoire, mais très bavard et très dissipé. Soudain l’un de nos leaders (il me semble que c’était Pierre Haski[1], lycéen deux ou trois classes au-dessus de la mienne. Mais je n’en suis pas sûr. Il arrive en brandissant une édition spéciale de France-Soir. Je me précipite dans le cours et je hurle que De Gaulle est mort. Je me précipite dans le cours et je hurle que De Gaulle est mort.
Mairey, livide, se lève et nous dit que le cours est fini : « Vous pouvez sortir, le cours est fini. C’est un jour important pour la France, aujourd’hui ». On sort et avec les autres on part en cortège sur la rue de Vaugirard vers le Boulevard Saint-Michel en brandissant un cercueil en carton. On a ramassé beaucoup de monde sur le chemin et notre cortège a été – évidemment – copieusement insulté, notamment par les commerçants sur le passage.
Potaches et politiques… Telle était notre vie de lycéens de l’après-68 et de ma vie de chroniqueur photo du bahut…
Mes dernières photos au lycée, c’était la mobilisation contre la loi Debré sur le service militaire… Ensuite le bac, et l’arrivée dans le métier de photographe…
Pierre Abramovici
Notes
Titre et inter-titres de la rédaction
[1] Pierre Haski est journaliste, écrivain. Dans sa jeunesse au Lycée Buffon il cofonde avec Laurent Greilsamer et un autre camarade L’Hebdromadaire, journal lycéen imprimé en offset dont il précise que ses parents ont payés la facture de l’imprimeur ! Il confirme que l’anecdote de Pierre Abramovici est sûrement exacte, car « Je dépensais tout mon argent de poche à acheter les différentes éditions de France-Soir pour les comparer. »
Dernière révision le 8 octobre 2024 à 1:30 pm GMT+0100 par
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