Après une nuit assez moyenne, sans duvet ni matelas sur le béton du balcon, nous attendons que se lève l’aurore blafarde aux doigts gelés. Les ouvriers ne sont pas encore arrivés mais ne sauraient tarder. Nous grattons quelques minutes supplémentaires de sommeil avant de retrouver la rue quand nous entendons un bruit.
C’est un volet qui se lève. On fait les morts. C’était pas prévu sur un immeuble en construction. Une minute plus tard, un autre bruit comme si quelqu’un tapait de l’ongle sur une vitre. Christian grogne.
– « Merde ! y ’a pas moyen de pioncer… »
Tout baigne c’est une belle journée qui commence
Je ne dis rien et continue à faire le mort. Bruit de fenêtres qui s’ouvrent. Et là, un chœur insolite :
– « Hello ! Good morning people ! Do you want some breakfast ? »
A ce niveau-là, plus moyen d’ignorer le reste du monde. Nous nous tournons et, face à nous, bien glauque sur le balcon, un living room et une table remplie de bonnes choses avec des pots de café fumant. La table a été dressée parallèlement au balcon mais à l’intérieur. Et derrière, c’est toute une gentille famille batave qui nous sourit, Papa, Maman et les enfants. Visiblement ce que, dans la nuit, nous avons pris pour un bâtiment en construction, est habité. Par des gens très sympas de surcroît. Christian n’en revient pas.
– « T’avais raison, ils ont vraiment cool les Hollandais ! »
Détendus mais aussi un peu courbaturés par la nuit sur le balcon, nous nous levons et prenons un solide petit déjeuner avec ceux qui nous demandent d’où nous venons – Ah ah Paris, c’est très joli, nous avons déjà été – où nous allons – ça on ne sait pas encore. Les enfants font des yeux ronds quand Christian, un peu prestidigitateur, fait sortir un stylo de son nez, bref, on passe un joyeux moment à déconner tous ensemble. Puis le Papa nous propose de nous emmener jusqu’à l’autoroute à un endroit « very easy » pour repartir vers Amsterdam. Tout baigne c’est une belle journée qui commence.
Sauf qu’au bout de dix minutes je m’embrouille avec Christian. Le type, sympa jusqu’au bout, ayant compris que nous sommes fauchés, nous a filé un beau billet tout neuf de 20 gulden avant de repartir. Christian veut acheter des clopes et moi du Chocomel, une espèce de chocolat au lait en berlingot onctueux à souhait. Le chocolat pas le berlingot. En fait avec le billet on pourrait se payer les deux mais la question c’est de savoir si l’on va acheter d’abord les clopes au tabac et après le Chocomel à l’épicerie ou le contraire. On discute, le ton monte et Christian me lâche, l’air dégoûté
– « T’es vraiment qu’un petit bourge à la con avec ton Chocomel. Tiens tu me débectes. »
Et, direct, il se casse pour faire du stop 50 mètres plus loin. Comme j’ai aussi ma fierté, je ne bouge pas. Christian revient à la charge
– « Bon on fait comment pour la tune ? »
– « Ben fifty fifty, hé connard ! »
J’ai pas digéré le « petit bourge ». Peut-être parce que je le suis et que Christian est un zonard, né et grandi dans la zone, un vrai de vrai. Je me connais et je le connais. C’est mort. Il n’y en pas un qui s’excusera alors on boude, chacun dans son coin, bien éloignés et très occupés à s’ignorer. Une voiture s’arrête devant Christian alors qu’il est après moi. Un connard qui ne connaît pas les usages. Christian grimpe et la voiture repart. Me voilà seul comme un con au bord de la route, mais avec le billet en poche.
Christian a préféré prendre les 18 balles de ferraille française et je lui ai rien dit alors qu’il était largement perdant au change. Mais j’étais trop énervé par cette histoire de clopes et puis il avait raison, je suis un petit bourge et je connais la valeur des choses. Exit Christian…. On se reverra ailleurs.
J’attends un bon moment et, finalement un type m’amène à Amsterdam où je traine dans les rues toute la journée en regardant les vélos et les vitrines des magasins de bouffe. Le soir tombe.
J’ai pas réussi à accrocher une seule nana et, les coffee-shop n’existant pas encore, je ne suis même pas défoncé. D’un coup la ville me fait horreur avec ses canaux tout mignons et tous ces cons qui vont retrouver la chaleur des bistrots ou de leur domicile bien chauffé, me laissant seul et misérable, dehors, à regarder les lumières et les intérieurs confortables. Ne sachant pas trop où dormir, je me dirige vers la sortie de la ville.
On rigole en fumant des pétards dans le minibus qui se traine sur l’autoroute
A un feu rouge, un combi VW à l’arrêt, immatriculé en Allemagne. Les occupants ont l’air sympa, un peu babas mais gentils. Je les branche dans la langue de Goethe telle que je l’ai étudié pendant sept longues, trop longues, années de lycée. Ils repartent et rentrent chez eux à Münster. Pas vraiment le plus court chemin pour retrouver Paris, mais bon, la route c’est aussi çà, se barrer nez au vent à l’aventure. Marché conclu et en route pour Münster. On rigole en fumant des pétards dans le minibus qui se traine sur l’autoroute. Dix kilomètres avant la frontière, le conducteur se gare sur un parking pour aérer le véhicule et planquer les quelques barrettes avant de passer la douane où nous arrivons sur le coup des dix heures du soir.
Frontière sous haute surveillance entre les terroristes et les petits trafiquants du weekend comme mes nouveaux amis. Autant dire que ça ne rigole pas. Le douanier inspecte la poignée de passeports et demande aussitôt
« Wer ist der Fransöze ? »
Je m’avance d’un pas. Le type a l’air bien vache, sanglé dans son uniforme. Il regarde mon passeport. Les deux dernières feuilles sont vert marocain. Ma sale habitude de faire le mélange dans mon passeport. J’ai jamais su faire ça dans le creux de la main comme les vraies racailles. Le type me regarde, un mauvais sourire aux lèvres.
– « Vous allez où en Allemagne ? »
Je lui explique qu’en fait je ne vais pas en Allemagne mais que je veux simplement retrouver l’autoroute du côté de Düsseldorf pour redescendre en France. Le type me mate, pas convaincu.
– « Mais là, maintenant, vous voulez entrer en Allemagne, non ? »
-« Ben oui, mais juste de passage. En transit quoi. »
« Zürückgewiese Stampel. Refoulé je suis. »
Mes babas restent cois de peur d’une fouille approfondie du combi. Grand moment de solitude avant la question qui tue
– « Und wieviel Geld hast du, Junge ? »
Combien j’ai de fric ? Facile, tiens, je vide sur son bureau ma poignée de pièces qu’il écarte d’un air méprisant avant de m’expliquer qu’il va devoir fouiller mon sac.
– « Euh, j’en ai pas. »
Qu’à cela ne tienne. Je dois vider tout le contenu de mes poches sur son bureau. Maigre contenu mais une belle pipe en bruyère attire son regard.
– « Et ça c’est quoi ? »
Je lui ferais bien le plan surréaliste de « ceci n’est pas une pipe » mais il le prendrait mal j ‘en suis sûr. J’opte donc pour la transparence.
-« Ben c’est ma pipe. »
– « Ahaha. il l’air tout content d’un coup, attrape ma pipe et sors d’un tiroir une petite boite ne plastique avec à l’intérieur des petits tubes en verre et quelques produits. Sur la boite est écrit « Rauchgifttest ». En bon français un test pour la détection de THC. Je souris faiblement.
En fait cette pipe c’est un gars qui me l’a offerte à Amsterdam. Elle ne m’appartient pas vraiment.
Mais, trop content de jouer avec sa panoplie de petit chimiste, il gratouille le fourneau de la pipe et fait tomber quelques raclures dans un tube à essai en me disant :
– « Si tu as fumé du haschich là-dedans ça va devenir rouge quand je mettrai le réactif dans le tube. »
Je suis cuit. Cette pipe me dépanne depuis des mois lorsque je n’ai plus de papier à rouler. Je ferme ma gueule et contemple le tube qui tourne rapidement vers un superbe vermillon. Le douanier exulte. Il s’empare de mon passeport, colle dessus un coup de tampon. Zürückgewiese Stampel. Refoulé je suis.
Pour faire bonne mesure, il me raccompagne d’un pas martial jusqu’au poste frontière hollandais où il me remet à ses homologues en leur expliquant que je suis un trafiquant de drogue et que je suis donc refoulé. Le douanier hollandais, flegmatique, m’enferme, puis, dès que le teuton est reparti, revient vers ma cellule.
– « Comment ça trafiquant ? T’avais combien sur toi ? »
Je lui explique la pipe, le test et tout le reste. Il m’écoute, soupire et puis réfléchit un peu.
– « Ecoute j’ai pas envie de remplir des paperasses pour ce genre de connerie. Alors dès qu’ils sont relevés de l’autre côté, tu sors, on te trouve une bagnole et tu te casses. »
Et c’est ce qui s’est passé deux heures plus tard. Ils m’ont même trouvé un gars qui redescendait jusqu’à Bruxelles. Et dès le lendemain j’étais à nouveau écroulé sur les banquettes du Louis XVI au grand dégoût de Jean, le serveur acariâtre. Christian n’avait pas réapparu mais lorsqu’il revint, il avait lui aussi une bonne histoire à raconter.
Richard Walter
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Dernière révision le 8 octobre 2024 à 6:39 pm GMT+0100 par
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