« On the road again » évoque presque toujours de grands espaces et des destinations exotiques.
dHélas, ce jour-là, je galérais comme un misérable quelque part entre Nemours et Montargis, bien loin du rêve américain ou des chemins de Katmandou.
La veille j’avais dormi dans un fossé et lorsqu’il s’était mis à pleuvoir, je n’avais pas voulu bouger. Du coup, quelques heures plus tard, j’étais debout, en pleine nuit, au bord d’une départementale, trempé jusqu’à l’os et tremblant de froid, à attendre les premières lueurs du jour et une hypothétique voiture qui pourrait me prendre jusqu’à un lieu habité.
Le type qui s’est arrêté vers les cinq heures du mat’ n’a pas tout de suite compris lorsque je lui ai demandé s’il avait des sièges baquet. Je n’étais pas en état de soutenir une discussion, je caillais et mes affaires étaient trempées. La route devenait déroute.
Un café offert plus tard, je repartis en direction de Paris.
La pluie avait cessé depuis longtemps pour céder la place à un soleil féroce.
Un bonhomme me déposa, à ma demande, sur un espace aménagé en bord de la nationale où étaient garés quelques routiers. J’espérais en apitoyer un pour m’arracher à ce lieu improbable. Las, nous étions dimanche et les camions qui étaient garés ici n’avaient pas le droit de circuler. Je me trouvais bloqué sur ce terre- plein boueux, en plein cagnard, sous le regard goguenard des routiers buvant peinardement leur café dans leur cabine tout en devisant à la CB.
Paumé entre Nemours et Montargis à regarder filer les bagnoles remplies de marmaille pour la sortie du week-end. Impasse totale et gros coup de blues.
A part le café, je n’avais rien avalé depuis une trentaine d’heures. Je terminais un crouton de pain dur ramolli par la pluie nocturne, ce qui calma un peu mon estomac, mais raviva ma soif.
Les routiers avaient tiré leurs rideaux pour tuer le temps avec une petite sieste et je restais seul comme un con, les deux pieds dans la boue, à tendre le pouce vers des voitures bondées qui filaient en m’ignorant. Etre si près de Paname sans pouvoir y parvenir me rendait dingue et j’avais de plus en plus soif.
Je contemplais une profonde ornière creusée dans la boue par les gros pneus des camions. Elle était remplie d’une eau brunâtre mêlée de traces de carburants qui s’irisaient sous le soleil.
Il me revint en mémoire ces photos de gamins se baignant dans des marigots, de caravaniers buvant l’eau saumâtre des puits dans le désert, ce qui eut pour effet d’accroitre encore ma soif et, toute honte bue, décidais de boire dans la flaque en me disant qu’après tout, j’étais un routard et que si un touareg pouvait boire dans le désert…
Hélas, je n’avais ni quart ni gobelet.
Je pensais alors aux animaux africains lorsqu’ils se désaltèrent à un point d’eau dans la savane et, me mettant à quatre pattes, commençais à boire directement dans la flaque. A petites gorgées quand même car mon instinct me disait qu’il ne fallait pas abuser.
C’est dans cette position que je tournais la tête vers la route pour croiser le regard stupéfait d’une rombière confortablement assise à côté de son mari au volant. La voiture disparue, j’imaginais ce qui pouvait traverser l’esprit de cette brave dame après cette vision des plus improbables.
Cela me requinqua, me mit même de bonne humeur. Je me sentais fort et sauvage, bien dans ma débine, loin des conventions bourgeoises.
J’ai fini par décoller de ce parking sauvage et je suis enfin arrivé à Paname. Et contre toute attente, je n’ai pas eu mal au ventre alors que je m’attendais à choper un truc entre choléra et dysenterie. Comme quoi l’exotisme et la sauvagerie sont à nos portes et rien ne sert d’aller au loin pour trouver l’aventure qui, comme on l’oublie trop souvent, est au coin de la rue.
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Dernière révision le 8 octobre 2024 à 6:41 pm GMT+0100 par
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