En ce dimanche 6 mars au matin, Záhony semble déserte. Sous le soleil hivernal de cette petite ville de 4 000 âmes, frontalière avec l’Ukraine, on croise, par hasard, un vieil homme emmitouflé qui promène son chien et deux cyclistes qui glissent rapidement le long des rues bordées de maisons basses. Les magasins sont fermés et il est difficile de trouver un bar ouvert pour boire un café.
C’est à la gare de la ville que se sont en fait retrouvés les habitants de Záhony. Première station pour les exilés après la frontière ukrainienne, la petite bourgade est devenue, depuis l’attaque de l’Ukraine par Vladimir Poutine le 24 février, l’étape de centaines de réfugiés chaque jour, qui ont sauté dans le premier train pour fuir les bombardements et s’abriter dans les pays limitrophes de l’Ouest.
Dans le hall, plusieurs familles ukrainiennes se sont installées provisoirement en attendant un bus ou le prochain train pour la gare de Nyugati, à Budapest.
Sur le parking de la place Europa, au milieu des policiers qui ont installé un commissariat dans la gare, une dizaine de véhicules immatriculées en Autriche, au Luxembourg, en Italie et même en Grande Bretagne sont stationnés avec, au volant, des hommes et des femmes venus de loin pour proposer aux réfugiés ukrainiens un passage jusqu’à Budapest ou ailleurs.
Sur le terre-plein, plusieurs associations humanitaires et des ONG ont dressé leurs tentes. Ils servent café chaud, sandwichs, saucisses et des sucreries pour les enfants. « Il y a moins de monde aujourd’hui qui arrive de l’autre côté de la frontière, mais cela est surtout dû aux retards des trains accumulés en Ukraine en raison des contrôles pointilleux », explique Zoltán Pályi, un des responsables de l’Assemblée de la foi (Hit Gyülekezete), une communauté religieuse appartenant au courant charismatique évangélique, qui a mobilisé une cinquantaine de bénévoles dans la gare.
Dans le hall, plusieurs familles ukrainiennes se sont installées provisoirement en attendant un bus ou le prochain train pour la gare de Nyugati, à Budapest. Mark et Liudmyla sont un jeune couple. Lui, vingt-sept ans, originaire de Tel Aviv, elle vingt-trois ans, installée à Kiev comme professeur de fitness, ont tardé à fuir la capitale ukrainienne en raison du père de la jeune fille qui ne se déplace qu’en chaise roulante. Arrivés tous ensemble très éprouvés à Záhony après trois jours de bus, ils attendent un autocar dans l’après-midi qui les mènera à Budapest, puis en Israël. Liudmyla, tout sourire, montre sa main gauche dont l’annulaire est enserré par un anneau nuptial. « Nous avons décidé de nous marier à Tel Aviv pour montrer que malgré la guerre, la vie continue », dit-elle les yeux brillants.
Dehors, sur le quai, un homme à la carrure d’athlète et au visage buriné tourne en rond. Il semble tout droit sorti du film « Little Odessa », un polar très noir sur la mafia ukrainienne à New York, réalisé par James Gray. Il ne veut pas dire son nom et refuse de se faire photographier. De sa voix rauque, il répète « Ukrainia » en roulant le R et explique qu’il repart dans son pays pour prendre les armes contre l’envahisseur russe.
Dans les hauts parleurs, une voix annonce en hongrois, ukrainien, roumain et anglais qu’un train va entrer en gare. Il a deux heures de retard. Les policiers hongrois en calot prennent alors position tout au long du quai devant chaque porte. Elles s’ouvrent les unes après les autres avec, en priorité, la descente des femmes et les enfants. A l’intérieur du wagon, un policier contrôle les passeports. Ceux des Ukrainiens sont automatiquement tamponnés avec un visa d’au moins quatre-vingt-dix jours. Très peu d’hommes les accompagnent. Les maris et frères de 18 à 60 ans réquisitionnés par l’armée ne sont pas autorisés à quitter l’Ukraine.
Accompagnés par des bénévoles, les réfugiés passent au poste de police où ils sont enregistrés puis, pour la plupart, récupèrent un billet de train « solidarité » pour monter dans les wagons pour Budapest. Sur le quai, un homme en blouson de cuir exhibe fièrement les trois tickets pour lui, sa femme et son fils. Il ne veut pas parler et file à toute vitesse les rejoindre.
A quelques encablures de la gare, la municipalité de Záhony a réquisitionné un centre sportif pour y accueillir les réfugiés qui ne savent pas, pour le moment, où aller. « Nous avons installé deux cent soixante lits, stocké beaucoup de nourriture et de médicaments », explique Miklós Lesku, le maire-adjoint de Záhony qui fait visiter les lieux. Il ouvre les portes sur une aire réservée aux enfants, des toilettes aménagés pour changer les bébés et des pièces de repos où plusieurs réfugiés sont allongés sur des lits de camp, visiblement épuisés. « Ils restent ici deux ou trois nuits avant de choisir une destination. Ce matin trois cars que nous avons affrétés sont partis pour Trieste et Vienne », poursuit-il.
Au poste-frontière tout proche, tout est calme. A la différence du début de la guerre où de nombreuses familles aisées fuyant en voitures avaient provoqué d’énormes embouteillages, les réfugiés plus modestes n’arrivent qu’au compte-gouttes, faute de moyens. Les quelques camions qui font un retour en Ukraine sont fouillés par les douaniers hongrois. Des bus avec des panneaux indiquant leurs destinations, sont stationnés du côté hongrois. On peut y lire « Roma », « Napoli », « Vienna »…
Sur le qi du train en partance pour Nyugati, Pascale Andreani, ambassadrice de France à Budapest, est venue ce dimanche à Záhony pour voir si des Français étaient dans la foule afin de les aider. « Je suis impressionnée par le calme des réfugiés et l’organisation mise en place par les autorités hongroises », dit Mme Andréani qui collabore étroitement avec son homologue en Ukraine, désormais installé à Lviv, pour aider aux rapatriements des Français.
Les chiffres sont lourds. Selon l’ONU, plus d’1,7 millions d’Ukrainiens ont fui leur pays depuis le début de la guerre dont plus d’1 million en Pologne, 180 000 en Hongrie, 128 000 en Slovaquie, 83 000 en Moldavie, 79 000 en Roumanie. Les autres pays européens ont accueilli 100 000 réfugiés dont seulement 2 500 sont arrivés en France. Si la guerre devait continuer, l’ONU estime que le nombre de réfugiés pourrait atteindre 4 millions.
Première publication le 7 mars 2022 dans Le Courrier de l’Europe Centrale
Dernière révision le 8 octobre 2024 à 6:44 pm GMT+0100 par
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