Il n’y a qu’une réponse valable : ils veulent témoigner pour l’Histoire. Ils font en sorte que nous n’ignorions pas les horreurs que produisent nos sociétés. Ils font en sorte que nous ne puissions pas dire : nous ne savions pas.
Ils sont plus de 2 000 journalistes en Ukraine, un chiffre jamais atteint lors d’un conflit. Kiev n’est pas loin et pas trop cher, du moins pour les grands médias. Ils ne sont pas tous reporters de guerre, loin de là, puisqu’on voit même des présentatrices et présentateurs de journaux faire le voyage, histoire de … Surtout, tous n’ont évidemment pas l’expérience du feu, et partiront à l’arrière dès que ça chauffera. On estime à quelques dizaines, les reporters de guerre expérimentés actuellement présents sur place.
Pour le moment, la guerre se résume à des duels d’artillerie qui tuent beaucoup de civils mais, à quelques exceptions, touchent peu les journalistes. Mais si les troupes russes entrent dans Kiev, les combats de rues risquent de provoquer une véritable boucherie chez les résistants ukrainiens et, également, chez les reporters.
Combien de jeunes gens sans expérience
tentent aujourd’hui de se faire un nom dans le métier
en prenant tous les risques ?
Le Monde du 14 mars 2022 titre l’article d’Aude Dassonville d’une phrase de Louis Witter, un jeune photojournaliste : « En tant que pigiste, on a le droit de vouloir raconter ce qui se passe » ! Le droit, le terme est étrange et inconvenant. On le retrouve dans moult commentaires sur les réseaux sociaux. Comme s’il y avait un droit d’aller se faire tuer.
En fait, certains jeunes reporters réclament le droit d’aller, sans expérience de la guerre, à la guerre, arguant que leurs ainés bien connus ont commencé ainsi. Ce débat entre « vieux cons » qui les avertissent du danger et jeunes ambitieux est stérile car la guerre d’aujourd’hui, n’est pas celle d’hier.
Le Vietnam n’a rien à voir avec l’Ukraine, et l’Ukraine n’est pas l’Afghanistan ou même la Syrie.
Wilfrid Estève, directeur associé de l’agence de photos Hans Lucas, cité dans le même article du Monde : « Pour un jeune photographe, un conflit à moins de 2 000 kilomètres de chez lui, c’est quand même une occasion professionnelle ». Une phrase qui a provoqué le courroux de Jean-François Leroy directeur de Visa pour l’image.
« C’est un propos irresponsable ! » Et Jean-François Leroy d’inviter Wilfrid Estève à refuser de diffuser les photographies de photographes qui ne seraient pas en commande pour un média.
Wilfrid Estève se défend: « cette phrase est issue d’un entretien de quarante-cinq minutes ». Il précise : « Nous avons une dizaine de photographes en Ukraine, dont la moitié est en commande. » et ajoute « Pendant neuf ans, j’ai été Président de l’ANJRPC et nous avons milité pour créer avec Audiens un système d’assurance. Nous faisons tout pour informer les photographes et les équiper, mais il est vrai que certains d’entre eux n’écoutent rien et partent malgré tout ce qu’on leur dit. »
Surproduction = peu de ventes
« Dans la crainte de ces événements dramatiques, et alors que le coût d’un accident (mortel ou non) pourrait se révéler très élevé pour les employeurs, certains interdisent à leurs journalistes de se rendre « là où ça tape fort », quand d’autres refusent de s’engager à acheter un article, du son ou des images aux pigistes qui leur proposent leurs services – quitte à le faire a posteriori, une fois le danger écarté. » lit-on également dans l’article du Monde.
De ce fait, les « télégraphistes » d’Associated Press, de Reuters ou de l’AFP bien équipés, relativement bien payés, travaillent dans les meilleures conditions possibles en temps de guerre. Ils effectuent un travail remarquable et, en raison des abonnements mensuels ou à l’année que leurs agences ont avec les médias, sont les grands gagnants sur le podium des publications.
A côté les photojournalistes freelance, les Laurence Geai, Edouard Elias, Eric B ouvet, Laurent Van der Stockt ou les Yaghobzadeh père et fils, Chauvel père et fils, Lafargue père et fils, sont, plus ou moins, en commande pour des titres bien établis : Le Point, Le Monde, Libération, JDD, Polka Magazine, Toni Comiti Production, . Ceux-là sont munis de casques, de gilets pare-balles et d’assurance au cas où… Il n’en est pas de même pour la cohorte des jeunes gens, en mal d’aventure, de reconnaissance et de visibilité.
Ils risquent leur peau pour des fifrelins, et, dans le meilleur des cas, quelques secondes de gloire. Il y a surproduction d’images, donc les photos ne se vendent pas… Enfin, quand on dit qu’elles ne se vendent pas… Cela signifie qu’elles sont payées à un « tarif syndical » qui n’existe plus, c’est-à-dire très, très peu. Les risques sont donc énormes, pour des gains dérisoires. Mais, évidemment, personne ne va à la guerre pour gagner de l’argent. Le « hot news » n’a jamais rapporté, sinon Patrick Chauvel qui en couvre depuis 50 ans serait riche, et ce n’est pas le cas.
Attraper un assignment, une commande, c’est surtout la garantie de ne pas risquer sa vie pour rien. Mais chez les français, l’infime minorité des photojournalistes en assignment, en commande, ne roule pas sur l’or. Loin de là.
Pour les médias français, la journée sous les bombes ne dépasse pas les 500 euros par jour quand ce n’est pas 235… Les hôtels, l’essence et les fixeurs-traducteurs sont hors de prix. De 80 à 200 euros la chambre et la voiture avec chauffeur serait de 200 à 500 euros par jour voire plus si le fixeur-traducteur parle la langue du reporter…
« Quand les combats de rues vont commencer, ça va être un carnage ! » craignent tous les patrons d’agences tel Mete Zihnioglu de Sipa Press ou Jean-Michel Psaila d’Abaca, les chefs de services photo et Jean-François Leroy de Visa pour l’image.
Michel Puech
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