Kim Luc, jeune vietnamienne sur la route n°1 fuit le village de Tranbang bombardé au napalm par l’aviation américaine. Elle est une des rares survivantes parmi la majorité des habitants brûlés vifs. Bras écartés de douleur, nue, tout en pleurs elle hante depuis ce 8 juin 1972 la mémoire de tout citoyen du monde confronté au choc des photos avant le poids des mots.
Pour toujours rejoindre, aujourd’hui, dans le panthéon de notre effarement quotidien, de Kiev à Odessa la photo en couverture du New-York Times du lundi 7 mars 2022. Une mère, son fils, sa fille et une amie gisent à même le sol après avoir tenté d’échapper à l’assaut d’Irpin par les chars russes.
La liste serait trop longue de toutes ces images icônes des terreurs et massacres perpétrés de My- Lai à Sabra et Chatila, dans les décombres du World Trade Center, ou déjà de la guerre de Sécession photographiée par Mathew Brady – pour faire rentrer dans les chaumières « l’odeur de la poudre et de la mort ». Un souffle mortifère qui se poursuit 200 ans après, encore dans un pays acharné à défendre son droit d’exister.
En ces temps de réseaux sociaux, parfois manipulateurs et souvent manipulés, l’audace de cette « couverture » osée a interpellé les experts en « sensiblerie médiatique » pour reconnaître qu’elle avait au moins le mérite de l’authenticité, de la réalité d’une guerre sans pitié.
Aussi simple en cruelle évidence que la photographie du petit Aylan échoué sur une plage de Bodrum en Turquie. Image plus que jamais symbole d’une migration que pourrait rejeter à la mer les partisans d’un tri sélectif par la couleur de peau et d’origine. Pléonasme d’un naufrage humanitaire pour toute une profession devenue « pêcheurs d’hommes » plus que de poissons au large de l’île de Lampedusa.
Depuis Kiev et les cohortes de réfugiés qui par milliers tentent d’échapper à toutes les horreurs « poutiniennes », Patrick Chauvel, figure légendaire du reportage de guerre, sur France 2 dimanche 6 mars se posait la pertinente question : « A quoi que ça sert de faire des photos, est-ce que cela change les choses ? Je n’en sais rien, Je n’ai toujours pas la réponse dit-il, avec la franchise qui le caractérise.
La seule certitude – chevillée à son corps – plusieurs fois blessé, est « qu’il y a beaucoup d’armées, de gouvernements qui nous empêchent de travailler, cela veut dire qu’on sert à quelque chose ». Il témoigne : « On ne travaille pas pour la presse mais pour l’Histoire avec un grand H, pour que les gens soient responsables de leurs actes et qu’on ne puisse plus entendre « on ne savait pas », prend-t-il soin de souligner.
En effet parmi tous les effets indirects que provoque l’insoutenable intervention – soviétique – pardon russe – en Ukraine, une certitude se renouvelle : le photojournalisme n’a jamais eu autant de raisons d’être pour occuper sa place, toute sa place. Face à la banalisation que créent les chaînes d’info, d’une accoutumance pernicieuse et anesthésiante aux drames de notre bas monde, il faut la puissance, la force d’’images – parfois insoutenables, mais indispensables – pour arrêter le temps, nous maintenir en état de réflexion. En état de vigilance solidaire. Et faisons du regard de chaque lectrice ou lecteur de magazine ou de presse régionale « un rachat et une victoire sur notre humaine condition. » En chassant devant chaque image le spectre de la violence qui déchoit notre humanité et fait renaître l’espoir. Il faut tout montrer pour démontrer qu’en chacun d’entre nous veille un guetteur de paix – sur le qui-vive bien nommé !
En hommage à la mémoire de Brent Renaud, premier journaliste – photographe atteint hier dans la banlieue de Kiev dans l’exercice d’un métier, qu’assume avec humilité et courage toute une profession pour porter « la plume dans la plaie » disait Albert Londres.
Alain Mingam
Ex-Vice-Président de Reporters sans frontières
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Dernière révision le 8 octobre 2024 à 6:44 pm GMT+0100 par la rédaction
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