Le mardi 22 octobre 2013, Jimmy Fox m’écrit : « Michel, voici un peu de mes démarches et, mon évaluation sur la photo et le reportage … Amicalement. Jimmy. » A cette époque, nous avons eu une correspondance à propos de l’histoire des agences de presse photographiques françaises et des bureau des agences étrangères, mais aussi à propos de sa biographie.
Dans ce cadre, il m’adressa avec comme objet : “La lettre que j’ai écrite pour le magazine Japonais LIFE sur la boxe…” les deux textes en anglais que vous allez pouvoir lire en français ci-dessous et en version originale en cliquant là. Michel Puech
Deux textes : La vie de Thérèse Bonney – BOXE, “Une entreprise longue en dehors des heures de bureau » (Les titres sont de la rédaction°
From : James Fox <fox.james@wanadoo.fr> Sent : Fri, Dec 16, 2011 6:28 am
J’ai été très surpris quand ma vieille amie Lisa Kolosek a mentionné que vous étiez un fan de boxe !
De la même manière mes propres sœurs et amis n’ont jamais pensé que de janvier 1973 jusqu’en 2000 j’allais vivre avec le sujet mondial de la boxe qui s’est finalement matérialisé de mai à juillet 1986 par une exposition, et en 2000 enfin, un livre publié en anglais, français, espagnol, italien et allemand (BOXE Editions de La Martinière).
J’ai passé trente ans de ma vie dans le photojournalisme chez Magnum Photos à New York et à Paris, ainsi qu’à l’agence Sygma, dans des fonctions qui prenaient beaucoup de temps. Je traitais les événements mondiaux et les reporters photographes dont j’avais la responsabilité.
Mon premier appareil photo était de fabrication allemande un Voigtlande Vitesse que j’avais acheté à un collègue lorsque je faisais mon service militaire au QG du SHAPE [1] près de Paris…/… Ensuite, j’ai décidé de me mettre au niveau des professionnels, ce qui était une tout autre affaire, un peu comme découvrir un monde souterrain, plus tard, décrit dans Rocky ou d’autres films. Étaient-ce des étapes vers la gloire et la fortune ou était-ce un tapis roulant dans une société en quête de violence et sensations fortes. Dans mon cas ce n’était pas du voyeurisme mais une compassion pour ces garçons, c’était comme un tapis roulant vers la fin d’un tunnel sombre avec tous ses pièges.
A cette époque, je venais aux États-Unis tous les deux ans pour renouveler ma carte verte et travailler également au bureau de Magnum NY avec les photographes, j’ai passé mon temps libre et mes soirées à aller au Gleason’s Gym, au Madison Square Garden et dans les salles de rings clandestins du centre-ville.
Les garçons étaient de tous âges et de toutes couleurs, le 42nd Street Gym au-dessus d’un tailleur formait un contraste inhabituel : il avait de grandes fenêtres donnant sur une rue transversale, une bonne ambiance conviviale sous la direction d’un manager énergique. Une de mes photos préférées dans le livre est une double page (pp. 18/19), un boxeur latino-américain fait les cent pas devant un mur d’affiches de boxe dans ce club. Atmosphère macho et tempéraments flamboyants. A l’extérieur les prostituées sont debout dans la rue ou dans l’embrasure d’une porte ou d’escalier.
Permettez-moi d’aller aux pages 60 et 61 qui ont chacune plus à dire que la surface picturale de la photo.
Page 60 j’étais en vacances au Maroc à Fès et j’ai demandé à quelques personnes si elles connaissaient des clubs de boxe. A la nuit tombée on m’a emmené par des ruelles sombres et sinueuses jusqu’à une grande porte en bois qui s’ouvrait sur une pièce à colonnes. Au fond sur une petite estrade se trouvait un bureau. C’est là que l’entraîneur/manager était assis entouré de photos décolorées de boxeurs.
J’ai remarqué en regardant vers le plafond de petites fenêtres nues sans vitres et des bruits d’enfants dans les ruelles du soukh. Les enfants regardaient au niveau du sol à travers les trous pour voir ce qui se passait en dessous dans le bureau. J’étais dans une ancienne synagogue juive. La guerre franco-algérienne, avait fait fuir de nombreux marchands juifs français qui ont émigré en France.
Sur la page 61 ci-contre se trouve également une photo étonnante d’un garçon d’environ seize ou dix-sept ans que j’avais déjà rencontré lors d’un concours d’amateurs sur la côte normande française non loin du Havre. Comme Joël Bonnetaz, son ambition était d’améliorer sa vie. Ce garçon de moins de dix-sept ans s’appelait Vasilica Vasiliv. Il s’était enfui de la Roumanie communiste avec un autre ami dans l’espoir de trouver une nouvelle vie et cherchait de la nourriture en fouillant les poubelles. Pour dormir il trouvait des fossés et des cabanes jusqu’au moment où la Police française l’a trouvé et placé dans un refuge pour jeunes. Un entraîneur de boxe local dont la femme connaissait une femme roumaine a finalement réussi à faire héberger Vali (comme je l’appelle maintenant) dans une auberge de jeunesse et, plus tard, dans la maison de l’entraîneur où le garçon s’est formé dans le grenier en tapant seulement sur un sac de boxe et un cercle à la craie sur le plancher.
Les deux garçons roumains se sont évadés à pied ou par d’autres moyens vers la France. Ils voulaient monter sur un bateau pour un « nouveau monde ». La nuit, ils sont montés à bord d’un pétrolier dans le port et se sont attachés avec des cordes aux balustrades du pont du navire. Suspendus dans l’obscurité, hors de vue de l’équipage et avec l’espoir que plus tard ils pourraient se cacher dans un conteneur de fret ou un autre espace de stockage.
Mais la mer est agitée. La houle s’est écrasée contre le revêtement métallique du navire. Un garçon s’est décroché et s’est noyé, l’autre, Vali a été sauvé. Le lendemain matin, un bateau de la police française l’a ramené au Havre.
Mais il ne parlait que le roumain. Le service social de la ville l’a hébergé et a finalement trouvé quelqu’un pour être son protecteur. Vali est maintenant marié et a un enfant, il me téléphone le jour de mon anniversaire et le jour de l’an. Je l’ai revu à Paris car il parle maintenant couramment le français, est devenu chauffeur de bus. Comme Joël Bonnetaz il n’y avait chez ces garçons que de la gentillesse, du courage et l’ambition de s’améliorer dans la vie. Lui et sa femme italienne ont eu cette année un bébé, alors mes e-mails ont été bombardés d’images de la progéniture. Bizarrement, Vali continue de m’appeler Mr. Jimmy …
Le livre, le texte et l’exposition ont été très appréciés par Henri Cartier-Bresson. Il m’a encouragé dans cette « entreprise longue en dehors des heures de bureau ». Quand j’ai pris ma retraite en 2000, je n’ai pas voulu accepter la « fête de bureau » car plusieurs personnes de la direction de Magnum avaient bloqué ma carrière et mon salaire. Une vingtaine d’amis proches et du personnel de l’agence ont été invités dans mon appartement. Parmi eux se trouvait Joël Bonnetaz, parce que j’ai aussi fait plein de croquis de boxeurs et ai donné à de nombreuses reprises l’hospitalité dans ma chambre d’amis à des boxeurs. En quelque sorte un retour de mon admiration pour les combats qu’ils avaient vécus.
Un film documentaire en couleur a été réalisé sur moi et la boxe, il s’appelait Dans l’ombre du ring et a été projeté un soir à la télévision nationale française et en Allemagne lors d’une rétrospective hommage à Sylvester Stallone (Rocky). Je n’ai jamais rencontré Joyce Carol Oates mais j’avais lu son livre sur le fait qu’étant petite fille, son père l’emmenait régulièrement à des matches de boxe, elle aimait vraiment mon travail même si je ne l’avais jamais rencontrée en personne.
C’est ce que j’ai entrepris en tant que photojournaliste d’investigation même si je n’avais jamais voulu être photographe à plein temps. Maintenant je fais partie de l’équipe Magnum Photos de la Fondation pour la préservation de l’histoire visuelle. C’est mon « temps et mon argent » que j’ai investi pendant trente ans à couvrir ce sport, après avoir rencontré Ali, Frazier, Emile Griffiths, et les icônes du pugilat et de nombreux boxeurs jeunes et ambitieux.
Cela me donne maintenant une grande satisfaction d’expliquer ce voyage dans ma vie pour enquêter sur les luttes des personnes racialement et économiquement opprimées et leurs espoirs et leurs rêves… Au départ, j’avais appelé le projet The ring of dreams …
Tout est venu d’un choc : je suis allé en Angleterre rendre visite à un célèbre neuropathologiste (page 187). Il m’a montré les lobes de cerveau de boxeurs et m’a désigné les zones coagulées de sang à la suite de coups de poing continus reçus par la tête des adversaires. C’était un peu comme visiter Frankenstein, j’avais fait beaucoup d’autres recherches sur les lésions cérébrales et en ai discuté avec les médecins des académies sportives. Aux Jeux Olympiques, les crânes doivent désormais être protégés par des casques de protection…
Alors que je termine de taper ceci, sur l’étagère en bois au-dessus de moi, sont accrochés divers gants de boxe et aussi un sac transparent avec les bandages coupés dans leur ruban de masquage, ils sont maintenant solidifiés et forment une étrange catacombe de bravoure.
(c) Jimmy Fox, 45 rue de Lourmel, Paris 75015.
Note
[1] SHARPE (Supreme Headquarters Allied Powers Europe) Grand Quartier général des puissances alliées en Europe, quartier général du Commandement allié Opérations ACO de l’OTAN.Dernière révision le 9 octobre 2024 à 9:42 am GMT+0100 par la rédaction