Le jury de cette 30e édition du Prix Roger Pic de la Scam a consacré Baudouin Mouanda pour son portfolio Ciel de saison.
Un travail remarquable, nécessaire, documentant et interrogeant le réel avec humanité, singularité et humour. s’inscrit dans une filiation naturelle et complice avec l’œuvre de Roger Pic.
L’exposition se tiendra du 13 octobre 2022 au 17 mars 2023, à la Galerie de la Scam. La remise du prix et le vernissage de l’exposition auront lieu le 13 octobre à 19h30 à la Scam (sur invitation).
Pic en nous
par Rémi Lainé, réalisateur et président de la Scam
Photographe dans la veine des plus grands, documentariste, pêcheur de sons, curieux des nouvelles formes de prise de vue, il a traversé son temps le regard aux aguets, avec épinglées au cœur les « vertus de l’espérance » selon les mots de Régis Debray, que reflètent la plupart de ses images. Si son approche des grands dirigeants révolutionnaires, Castro, Mao ou Hô Chi Minh lui a valu, suprême honneur, le titre décerné par la presse conservatrice d’« attaché de presse des barbares », il semble plutôt que tout de lui renvoie à l’humanisme, cette foi en l’autre qui rend le monde meilleur.
Né en 20 du nom de Pinard, ça ne s’invente pas, il s’est choisi comme pseudonyme Pic diminutif de picrate, « vin de piètre qualité » en argot. L’homme devait avoir chevillé à l’âme un certain sens de l’autodérision, cette belle marque de sensibilité et d’intelligence. Biberonné au Front populaire qu’il a vu émerger, épris de culture (« cinglé de théâtre » disait-il, il a engrangé 280 000 photos de scène), aventurier tout terrain et boulimique d’images, il s’est engagé très tôt dans un combat pour faire reconnaître le droit des preneurs de vues. Leur droit à gagner leur vie. Dans un métier très empreint d’individualisme, il s’est toujours inscrit comme un homme du collectif et c’est ce qui fait de lui un pionnier d’exception. Évangéliste du droit, il s’était alerté de la judiciarisation excessive de ses revendications qui, appliquées à l’excès, pourraient conduire un photographe à devoir payer pour prendre une vache dans un pré, « puisque la vache appartient à quelqu’un et le pré également ».
Penser qu’il aurait pu serrer la main de Clemenceau et que, sur ses vieux jours, il s’est intéressé à l’« immatriculation numérique des images » qui circulent sur internet, donne une idée de l’envergure et de la longévité du personnage. Il y avait chez cet homme un côté explorateur visionnaire. Lorsqu’il courait le monde, il opérait « … caméra à l’épaule, magnétophone sur le ventre, petite perche dans la ceinture pour le micro, sac à dos pour les magasins de la caméra 16mm, batteries de secours, appareil photo et pellicules, petite caméra de secours, un œil dans la caméra dans la main droite, l’autre dans le Leica tenu dans la main gauche ». À contre-courant des nostalgies annonciatrices d’aigreur, il a vécu – et on le comprend volontiers vu ce qui précède -, l’arrivée des caméras numériques « si légères et maniables » comme un apport décisif, « une renaissance ».
Roger Pic a été très tôt un compagnon de route de la Scam, la communauté des auteurs et autrices du réel créée il y a quarante ans. Que le prix photo qu’elle décerne chaque année porte son nom répond à un impératif organique, naturel. Il a décliné son art dans tous les répertoires qui sont aujourd’hui ceux de la Scam, le documentaire, le journalisme, la photo bien sûr, l’écrit, la radio, la vidéo. Nous, les 50 000 auteurs et autrices avons, même sans le savoir, toutes et tous en nous quelque chose de Roger Pic.
Rémi Lainé, réalisateur et président de la Scam