Prix Albert Londre, le journaliste Marc Kravetz né le 2 octobre 1942 est mort à Paris, ce 28 octobre 2022, grand reporter au quotidien Libération, chroniqueur à France Culture fut un membre de l’équipe fondatrice de Libération. Ses obsèques auront lieu lundi 14 novembre 2022 à 15h30 au crématorium du Père Lachaise.
« Il n’y a qu’une seule vérité qui compte dans notre métier, c’est celle du terrain. Tu vas quelque part et les gens t’expliquent ce qui se passe ; ça n’a souvent rien à voir avec ce que tu pensais. » Marc Kravetz [1]
Il y a des morts que l’on redoute. Celle de Marc Kravetz en était une pour moi. Je ne sais plus comment et quand j’ai entendu parler de Kravetz, je pense que cela doit dater de l’époque où j’étais encore étudiant journaliste à Bordeaux.
Je fréquentais les milieux anarchistes et gauchistes. Les situationnistes depuis la sortie du fascicule « De la misère en milieu étudiant [2]» étaient également très inspirants avec leurs tracts bande dessinée détournée. A Bordeaux, en 1969/70, les objecteurs de conscience étaient très présents. Lutte contre l’intervention de l’armée française au Tchad en toile de fond. Et puis, à Paris, le Parti Socialiste Unifié de Michel Rocard et Marc Heurgon suscitait des espoirs. Maurice Clavel était un tribun formidable, publié dans le Nouvel Obs ou Combat. De fil en aiguille, je squattais la mouvance mao qui allait devenir le cœur du futur quotidien Libération.
Mais quel bordel Libé ! La naissance du quotidien se fit à coup d’assemblées générales quasi ininterrompues. Tous les journalistes professionnels qui avaient soutenu à J’accuse ou à l’APL, ceux qu’on appelait « les maos », avaient quitté le navire, face au chaos rédactionnel. Seul Philippe Gavi et, peut-être un ou deux autres encartés s’accrochaient au journal. Je fuyais l’agence de presse Fotolib, qu’avec une douzaine de camarades nous avions créée en même temps que le journal. Ras-le-bol des gauchistes !
Se réfugier à Libé, ne fut peut-être pas la meilleure idée que j’eus en cette année 1975, mais, où aller travailler quand on croit à la Révolution ? Et puis, Jean-Louis Peninou, Jean-Marcel Bouguereau et Marc Kravetz avaient rejoint la bande, c’étaient, à mes yeux, des militants plus sérieux que les « mao spontex ». Serge July et Marc Kravetz venaient de faire une petite révolution en décrétant qu’ils étaient les deux « coordinateurs » de la rédaction. Ils m’avaient reçu. On ne disait pas « rédacteur en chef » à cette époque-là : c’était un gros mot.
Serge et Marc me proposèrent d’intégrer le service « Social » qu’ils venaient de créer. Par crainte de me heurter aux mêmes militants que je fuyais, je refusais et proposais de m’occuper de la page « Radio – Télévision ». Pour une bonne idée, c’en était une : l’assemblée générale décrétât quelque temps plus tard qu’il fallait « casser sa télé ». La suppression de la rubrique allait de soi.
Serge July essuyait toutes les critiques, toutes les insultes que lui réservaient des éléments radicaux de la rédaction. Il faut dire qu’il venait d’évincer les initiateurs Jean-Claude Vernier et Jean-René Huleu défenseurs d’un Libé transparent… Marc Kravetz, comme Jean-Louis Peninou ou Jean-Marcel Bouguereau, était un peu moins ciblé, mais à peine. En assemblée générale, il ne se départissait pas d’un éternel petit sourire dont il n’était pas aisé de savoir si, c’était de l’ironie ou de l’indifférence polie. Il m’apparaissait comme un élément responsable dans le foutoir ambiant.
Et puis, un jour, il partit en reportage rejoindre son pote Géné au Liban. Avec Géné, nous avions eu droit, en décembre 1975, à un formidable reportage, quatre doubles pages, quatre jours, sur la culture du « red lebanese », un fameux cru de haschich. Géné n’avait pas encore lancé son « Appel du 18 joint ». C’était déjà la guerre à Beyrouth, une guerre qu’il couvrit ensuite abondamment comme tant d’autres conflits du Moyen-Orient. Cette belle plume fut récompensée par un Prix Albert Londres bien mérité.
Il nous reste ses livres et ses émissions de France Culture, où l’on peut encore entendre sa voix chaleureuse. Je vous conseille cette archive de France Inter : Le journal Libération, épisodes 1 et 2 où Marc Kravetz, interviewé par Jean Lebrun, parle de Libération.
Nous n’étions pas amis, juste d’anciens camarades d’une époque qui a marqué au fer rouge nos vies. Son départ, à l’aube du 50ème anniversaire de la création de Libération, me touche tout particulièrement car il sonne le début de la fin de cette génération jadis encensée, tellement contestée et contestable.
Michel Puech
Condoléances à sa famille, à ses proches, à ses amis et à ses lectrices et lecteurs.
Notes
Marc Kravetz écrit dans Action en 1968, entre a Libération en 1974, Prix Albert Londre en 1980, au Matin de Paris en 1981, dirige Air France Magazine de 1987 à 2000 et chronique à France Culture en 2011
[1] Fabrice Rousselot dans son hommage à Marc Kravetz in Libération du 31 octobre 2022
[2] De la misère en milieu étudiant est le titre d’une brochure d’une vingtaine de pages distribuée le 22 novembre 1966 à l’inauguration officielle du Palais Universitaire de Strasbourg, puis aux 18 000 étudiants de la ville par la section locale de l’UNEF, dont l’Internationale situationniste (IS) avait pris le contrôle six mois plus tôt. WikipédiaDernière révision le 9 octobre 2024 à 9:59 am GMT+0100 par
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