C’est le joli petit livre d’un premier reportage, quelque peu oublié, mais qui suscite la réflexion à l’heure ou sur le front ukrainien bourdonnent et tuent les missiles russes. Moscou en 1994, est à la charnière entre la dictature du prolétariat et l’actuelle dictature de Joseph Poutine. Belles images N&B dans la veine de la photographie humaniste et documentaire. Franck Pourcel, plus de vingt ans après, à rouvert les boites ou il avait oublié ce reportage.
« Moscou 1994. La capitale russe n’est plus soviétique depuis trois ans. Elle est désormais la capitale d’un nouvel État, la Fédération de Russie, qui n’a jamais existé dans ces nouvelles frontières, héritées de l’éclatement de l’URSS, en décembre 1991. Pourtant, elle reste profondément soviétique par ses paysages urbains, le mode vestimentaire de ses habitants, les éléments de fonctionnement citadin qui nous sont présentés, tels ces « samedis communistes » où les résidents d’un immeuble nettoient collectivement leur cour, mais aussi ces gamins qui se balancent sur un tourniquet improbable que tout autre pays européen aurait depuis longtemps fermé pour risque majeur à la personne. »
Qui d’autre que Jean Radvanyi, ce géographe, professeur émérite, spécialiste du Caucase, de la Russie et des États postsoviétiques pouvaient mettre en histoire le reportage photographique de Franck Pourcel ? Parce qu’il est aussi spécialiste du cinéma de ces contrées, il sait contextualiser et appréciés le travail du photographe. Ils ne se connaissaient pas, mais leurs travaux respectif ne pouvaient que se rencontrer.
« La photographie a ceci de particulier qu’elle est simultanément une représentation objective d’une réalité et une interprétation subjective de cette même réalité en fonction des choix éminemment personnels de chaque photographe. Franck Pourcel choisit son Moscou : celui des quartiers populaires, des marges de l’immense agglomération moscovite ../..Il contourne les monuments que tout touriste se doit de visiter, à l’exception du Kremlin entraperçu au travers d’un pare-brise sali par la pluie et d’une vue de l’uni- versité, un des six gratte-ciel staliniens. Il évite tout autant les quartiers historiques et privilégiés du centre. Le noir et blanc renforce encore cette impression de crise, d’abandon, de détresse qui caractérisait effectivement la réalité de ce pays dans ces dernières années du xxe siècle. Avec la disparition du système soviétique, toutes les pratiques des citoyens ordinaires s’effondraient les unes après les autres : des modes de vie quotidiens aux protections sociales en passant par les certitudes idéologiques et les fonctionnements politiques. »
Un premier reportage oublié
« J’avais pris la route, d’abord en autostop jusqu’à Paris. » écrit Franck Pourcel « J’avais trouvé un bus pour Amsterdam puis Berlin, un troisième pour Varsovie. Le retour d’un bus de travailleurs émigrés m’avait conduit à Minsk, en Biélorussie. J’étais enfin arrivé en gare de Belorusskaya à Moscou, en train, avec la crainte de trouver une ville encore fermée aux Occidentaux. Une ville qui me fascinait et que je fantasmais à travers la révolution de 1917, les espoirs de l’idéologie communiste de Marx et Lénine. La dureté du régime de Staline avait instauré la terreur, le monde était effrayé, bouleversé. La guerre froide avait séparé l’Occident de l’Union soviétique. Mais la chute du mur de Berlin, la perestroïka de Gorbatchev et la fin du rideau de fer avaient ouvert les frontières. Je ne savais pas réellement ce que je venais chercher. »
Aujourd’hui, alors que la guerre sépare, à nouveau, Moscou de l’Europe occidental, les photographies de Franck Pourcel sont un témoignage historique capital car, là-bas, à l’Est, tout a changé.
« À force d’investissements considérables, Moscou va rapidement se transformer sous la tutelle de ses maires successifs. Iouri Loujkov (maire de 1992 à 2010) crée Moskva-City, un ensemble de gratte-ciel modernes, bureaux et centres commerciaux sur les bords de la Moskova, et multiplie avec sa femme, oligarque dans le bâtiment, les opérations immobilières. Les quartiers centraux sont rénovés, ripolinés avec un succès certain, quitte à en chasser les couches populaires. Son successeur, Sergueï Sobianine, lance la construction de dizaines de nouvelles stations de métro et parachève le projet poutinien de faire de la capitale russe une des grandes mégalopoles mondiales. Mais qui profitera de ces transformations impressionnantes et plutôt réussies ? » s’interoge Jean Radvanyi.
Livre
Moscou 1994 de Franck Pourcel & Jean Radvanyi
Editions Le Bec en l’air – 30€
Dernière révision le 9 octobre 2024 à 10:00 am GMT+0100 par
- William Klein & François Missen
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