Le photographe Jean-Marc Charles est décédé le 23 février 2023 à Paris, à 69 ans des suites d’une longue maladie. De Kairouan à Versailles, de Shanghai à Paris, de Mexico à Byblos, il a immortalisé les créations éphémères des artistes de la lumière. Il était né le 13 février 1954 à Thionville, mais vivait depuis quelques années à Campuac en Aveyron où il s’était retiré.
« Mes photos sont régulièrement publiées dans The New York Times, Le Monde, Paris Match et Le Figaro Magazine mais pour être tout à fait honnête, là où mes photos finissent m’importe peu. Lorsque j’ai débuté la photo, j’étais chez Rapho et j’ai eu l’occasion de rencontrer de grands photographes. L’un d’eux m’a dit :
« Écoute petit, où, quand et comment sont publiées tes photos n’a pas d’intérêt, l’important c’est qu’elles soient publiées. Une photo que personne ne voit n’est pas une photo. » Je n’oublie pas ces mots. [1]»
En 1976, au volant de sa Renault 4L, le jeune Jean-Marc Charles sillonne l’Asie pendant 8 mois. Ce périple sera le point de départ de sa vocation photographique. Il rejoint d’abord l’agence Rapho où il enchaîne les reportages aux quatre coins du monde ; puis pendant une quinzaine d’année l’agence Sygma.
« C’était un précurseur des illuminations » se souvient François Le Diascorn, un de ses collègues à l’agence Rapho. « Quand, je suis arrivé à l’agence Jean Marc Charles, Hervé Donnezan, Jean Patrick Pasquier, Michel Setboun en étaient les piliers ». « Jean-Marc Charles était mon meilleur ami à l’agence » se souvient Michel Setboun. « Il est arrivé de son Thionville natal au début des années 80. On déjeunait souvent au bistrot, à La Tartine ou au Ruby. Il rêvait de vivre de sa photographie, comme nous tous.»
« Je ne suis pas près d’oublier mon grand ami Jean-Marc » confie le photographe catalan Hervé Donnezan « On était vraiment très, très, proches et nous avons partagé toutes les péripéties de la famille Rapho. En avril 1990 nous avons fait ensemble un reportage en République Démocratique d’Allemagne (RDA) et puis, avec Michel Setboun on formait un trio qui a fait beaucoup de corporate, comme on disait au siècle dernier. »
« Il était chaleureux et confraternel » se souvient Sylvie Languin, responsable des exportations à Rapho. « C’était un pilier de l’équipe de la jeune génération des années 80, très présent et apprécié à l’agence. Il habitait rue du Mont Thabor à Paris, à côté de l’agence alors rue d’Alger, toujours disponible, fiable et efficace pour les commandes de reportage ou d’illustration, comme on disait à l’époque. Je me souviens de ses reportages parisiens : les 100 ans de la Tour Eiffel, L’heure bleue, qui l’avaient amené à construire un travail personnel sur la lumière et les illuminations des villes et des paysages dont il a fait un livre, LUX. »
La « révolution lumière »
Jean-Marc Charles n’a pas été très « en vue » du petit monde de la photographie. Discret, son œuvre est un peu méconnue des conservateurs, des commissaires d’exposition et des directeurs artistiques de festivals qu’il ne courtisait pas ; ce qui pose la question de la conservation de son important fonds photographique. Pourtant, son œuvre est marquante. Il fut un pionnier de la « planète lumière »
C’est en juin 1989, à l’occasion du centenaire de la Tour Eiffel qu’il découvre le monde du spectacle des sons et lumières Cette révélation le pousse à recentrer son travail autour de l’illumination ou la mise en lumière des villes et de leurs monuments.
« Il est rare et précieux de rencontrer des personnes de façon fortuite. Ce fut le cas avec Jean-Marc Charles. » se souvient Jean-François Bollard, architecte et à l’époque responsable du « Service de l’éclairage public » de l’EDF. « Il descendait l’escalier du Service de l’Eclairage Public, rue Antoine Bourdelle à Paris, moi je montais à mon bureau. Nous prîmes le temps d’échanger très longuement sur la façon d’œuvrer ensemble. Après avoir parcouru le monde, Jean-Marc avait décidé de mettre ses compétences de photographe au service de la lumière. Depuis ce jour Jean-Marc a photographié bon nombre de réalisation lumière aussi bien pour le compte d’EDF, que pour la société Citelum. La qualité de ses reportages photos propose aux lieux et aux regardants une autre dimension, une autre vie que l’œil n’avait pu distinguer. »
« Ça a accroché immédiatement parce qu’on avait pas mal d’atomes crochus. » se souvient Richard Thomas, un organisateur de spectacles sons et lumières. Ils se rencontrent par hasard le 6 juin 1994 pour le cinquantenaire du débarquement en Normandie et vont collaborer longuement dans plusieurs régions du monde. « Déjà, dans le travail, on s’entendait très bien. Moi je pilotais toute la partie technique et comme je gérais toute la partie lumière, du coup, pour lui, pour les photos, je lui faisais des pauses dans les répétitions du spectacle parce que très souvent, c’était de la mise en lumière dynamique. Je lui mettais le truc en pause et comme ça, il prenait le temps de faire ses photos. On marchait bien ensemble. Jean-Marc avait un moment favori pour la lumière, c’était soit au coucher, soit au lever du soleil. C’est là où il avait le meilleur rendu de lumière, en tout cas, c’est ce qu’il m’a toujours expliqué. On a toujours travaillé comme ça. Très souvent, le soir, c’était difficile parce qu’on était toujours en train de régler des trucs sur le projet. La plupart du temps, c’était le matin qu’il faisait ses photos. En gros, on ne se couchait pas et on attendait que le jour commence à poindre. Là, on avait une demi-heure pour faire les photos. »
En 2003, il publie LUX, le monde en lumière (Coédition Le Seuil/Turner & Turner). Cet ouvrage remarqué, réalisé en collaboration avec le directeur artistique Olivier Binst, rassemble des clichés de monuments éclairés comme la pyramide du Louvre, la cathédrale d’Amiens, le Colisée de Rome ou la grande mosquée de Kairouan. Le livre sera pour de plus jeunes photographes une source d’inspiration. En 2005 il publie Les Couleurs de la Lumière (Editions Le bec en l’air) puis, en 2006, Paris d’ombre et de lumière (Editions Paris Villages).
En 2004, avec son complice Richard Thomas, il crée le collectif Loargann [2]. Dans le crépuscule, il photographie des espaces naturels, culturels ou historiques mis en lumière par la lune et un système d’éclairage éphémère. L’idée fondatrice est une envie de se libérer des contraintes de prises de vue classiques. Le droit à l’image sur les édifices et monuments patrimoniaux limitant et compliquant la marge de manœuvre du photographe, surtout en France, Jean-Marc Charles a voulu travailler sur des sujets libres : la nature, le végétal, le minéral. Même si, là encore, le photographe doit toujours faire attention à ne pas empiéter sur des domaines privés sans autorisation. L’esprit était de transposer des techniques photographiques de studio en extérieur, et de réaliser ses propres mises en lumière avec ses sujets, ses couleurs, sa lumière, ses moments. Le travail artistique ne dépendait plus seulement des œuvres réalisées par des concepteurs lumière, des équipes techniques, des architectes, des maîtres d’œuvre, des maîtres d’ouvrage etc., mais bien de ses propres envies. La première prise de vue, réunit le collectif Loargann [3] en septembre 2004 à Meneham [4] , ancien village de pêcheurs à la pointe de la Bretagne et jouxtant Kerlouan.
Rugby, bonne chère et bons vins
« Souvent ensemble sur le terrain professionnel, » se rappelle Jean-François Bollard « Nous partagions d’autres passions : le rugby, des échanges engagés où l’humain est présent, la cuisine savoyarde, de grands discours sur les vins notamment celui d’Ayze qu’il m’a fait découvrir lors d’un de ses reportages. De Jean-Marc, je garderai l’image de ce professionnel dans l’âme, artiste et poète, curieux de tout, engagé en amitié . »
« En dehors de la lumière, en dehors du spectacle, Jean-Marc et moi, on avait des passions en commun. » se souvient Richard Thomas comme Jean-François Bollard, Olivier Binst, Laurent Redolfi et d’autres de ses amis. « Lui était un gros fou, complètement fou de rugby. Très vite, on a fait des samedis rugby. Quand je parle de samedis rugby, c’est bien se nourrir et bien boire aussi. C’était la fête. On allait évidement voir des matchs. Quand j’ai mis en lumière les Tower Bridges à Londres pour les Jeux olympiques en 2012, j’avais réussi à avoir des places à Twickenham pour voir jouer les All Blacks contre les Anglais. Et puis on avait institué un concours qui consistait à revenir de nos voyages toujours avec un vin étonnant et pas forcément cher. C’était le jeu. Quand je suis allé au Mexique, dès que j’avais un moment, je cherchais quelques bouteilles de vin pour lui faire découvrir. Après, on avait une belle cave rue du Mont Thabor avec quelque chose comme 1 000 ou 2 000 bouteilles. On a fait des belles soirées là-bas et signé pas mal de contrats dans cette cave ! »
Et puis, Jean-Marc Charles quitte Paris pour s’installer en Aveyron. Mais il n’était pas question pour lui de remiser ses appareils photo au placard. Pendant des années il a arpenté le département, photographiant en couleur les paysages et en N&B les gens pour un livre, aujourd’hui à l’état de maquette. « Un trésor » dit Olivier Binst avec lequel il a travaillé à ce projet dont on peut espérer qu’il voit le jour, un jour.
« Au cours de l’année 2010, un ami journaliste me demande de l’accompagner dans un voyage de presse consacré aux 20 ans de l’AOC Marcillac, le vin de l’Aveyron. » a écrit Jean-Marc Charles dans un texte que nous a confié sa fille Valérie. « Dans un premier temps, j’ai failli me désister mais à la lecture du dossier de presse, la visite de l’abbatiale de Conques a retenu toute mon attention et tout particulièrement les verrières conçues par le grand peintre ruthénois Pierre Soulages que j’avais eu l’occasion, le bonheur et l’émotion de rencontrer à l’occasion de sa grande exposition au Centre Georges Pompidou en mars 2010. Ma décision était prise, je participerai à ce voyage de presse en Aveyron. Belle journée d’automne où le rouge des vignes de Marcillac contraste avec le vert des prés, pierres envoûtantes de l’abbatiale de Conques, émotions médiévales à Belcastel, surprenante coulée de lave à Roquelaure, canyon à couper le souffle à Bozouls sans oublier l’essentiel, le chaleureux accueil des Aveyronnais, des gens simples, généreux, contents de ce qu’ils ont : la qualité de vie. »
Michel Puech
L’hommage de Richard Thomas à Jean-Marc Charles
Livres
Notes
[1] Jean Marc Charles interviewé par David Widen dans Vice https://www.vice.com/fr/contributor/david-widen
[2] En breton, Loargann signifie «pleine lune »
[3] Jean-Marc Charles, Richard Thomas, Patrice Ninon et Benjamin Bramante
[4] Meneham : situé sur la commune de Kerlouan , le village de Meneham est un site patrimonial « phare » du pays des Abers – Côte des Légendes. Remontant, pour ces éléments les plus anciens, au
XVIIème siècle, il est classé site d’intérêt patrimonial national en 1975.Dernière révision le 9 octobre 2024 à 10:25 am GMT+0100 par
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