Joëlle Verbrugge Photo: Alix Le Brozec
Elle est une des meilleures références en France dans le domaine du droit et la photographie. Photographe elle-même et avocate, Joëlle Verbrugge explore ce territoire, plutôt aride pour beaucoup d’entre nous, depuis de longues années apportant un éclairage bienvenu sur les questions juridiques que peut se poser n’importe quel photographe ou vidéaste, amateur comme professionnel.
Elle est l’autrice de nombreux ouvrages traitant du sujet et a publié des centaines d’articles sur son blog « Droit et photographie » tout en collaborant régulièrement avec la presse professionnelle. Elle fait également des conférences, des formations et, bien évidemment, poursuit son activité d’avocate, même si on peut se demander où elle peut bien trouver le temps nécessaire à cette activité débordante. Elle vient de sortir un livre sur la photographie de rue instructif et nous lui avons posé quelques questions à ce propos.
Entretien avec Joëlle Verbrugge
Pouvez vous présenter en quelques mots ?
Je suis avocate depuis 1991. Après dix ans au Barreau de Bruxelles, depuis 2002 j’exerce au Barreau de Bayonne. Parallèlement, j’ai toujours fait de la photo et j’ai créé mon blog « Droit et photographie » dans lequel j’essaie d’expliquer et de simplifier le droit pour les photographes, vidéastes et même les utilisateurs d’images. J’ai aussi commencé à écrire des articles, des bouquins, je ne me suis plus arrêtée.
Votre dernier livre est consacré à la photo de rue. Pourquoi spécifiquement sur ce sujet ?
C’est un thème que j’avais traité de manière disparate dans certains livres, mais je me suis aperçu que cette pratique suscitait beaucoup d’anxiété chez les photographes, certains allant même jusqu’à renoncer à en faire par peur de cet aspect droit à l’image. J’ai rassemblé tout ce qui concerne le sujet pour offrir quelque chose de pratique et de facile à lire, permettant de se poser les bonnes questions, d’arrêter d’avoir peur quand il ne le faut pas, mais de sentir le danger quand il y en a.
Quelle est la différence entre la photo de rue et la photo dans le domaine public ?
Il n’y en a pas vraiment. J’ai regroupé tout ce qui concerne la photo dans le domaine public, la rue évidemment, les places, les forêts et aussi les musées, les lieux publics. Ce qui est important, c’est qu’il ne doit pas s’agir d’une séance posée, mais vraiment de l’impromptu, le photographe se promenant et en profitant pour capter des instants, à la Doisneau. Ce que l’on voit dans le travail des maîtres de la photo de rue, français ou américains, c’est vraiment le moment présent et les hasards que la vie met devant nous. Mais il n’y a pas vraiment de définition, ni juridique, ni photographique d’ailleurs de ce qu’on appelle photo de rue.
Comment peut se faire l’équilibre entre la protection de la vie privée et la liberté de création artistique ou d’information ?
Ça a évolué avec le temps et ça évoluera peut être encore, parce c’est une science humaine, le droit et la jurisprudence évoluant avec les changements des mœurs, des techniques, des sociétés. Pendant toute une période, avant 2008, c’était très confus, les photographes ne savaient plus ce qu’ils avaient le droit de faire et ne pas faire, il y avait des juridictions et des jurisprudences qui allaient un peu dans tous les sens. Et puis, il y a eu le fameux arrêt Banier de la cour d’appel de Paris qui a un peu clarifié le débat et a posé le principe applicable. Quand il y a conflit entre la liberté d’expression artistique et le droit à l’image et au respect de la vie privée de la personne photographiée, il faut déjà que celle-ci soit reconnaissable. Le juge considère que, par principe, la liberté d’expression artistique du photographe doit l’emporter, sauf si la photo est contraire à la dignité humaine. Sauf également si la diffusion de la photo pose à la personne, « des conséquences d’une particulière gravité », mais c’est à la personne plaignante de le démontrer. Dans ce fameux arrêt Banier, la personne qui attaquait n’a pas réussi à le démonter et a donc perdu. C’est très important parce que justement, cela pose le principe de base que la liberté d’expression doit l’emporter parce qu’elle est l’un des piliers d’une société démocratique et que les artistes qui échangent des idées, qui permettent de communiquer et de réfléchir doivent être privilégiés par rapport à la vie privée, mais uniquement dans la limite des deux garde fous précédemment cités.
Quelles sont les principaux conseils que vous pourriez donner à un(e) photographe qui voudrait pratiquer la photo de rue ?
D’abord connaître ses droits précisément pour savoir quoi répondre à une personne qui vient vers le photographe en s’énervant parce qu’elle a été prise en photo, se sentant dans son bon droit. Ne pas partir tout de suite dans une confrontation, ce qui ne va pas arranger les choses, mais essayer de rester pédagogue. Savoir qu’on est en droit de faire ne veut pas dire qu’on va l’imposer par la force. Rappeler aux gens qu’on peut en discuter, laisser votre adresse mail, offrir une photo et être conscient qu’il y a des cas dans lesquels la diffusion d’une photo peut avoir des conséquences dommageables. Dès qu’on rentre dans l’intimité des personnes, il faut faire preuve de bon sens. Il vaut mieux aborder les gens gentiment et pacifiquement et tester leur réaction. Prenons l’exemple d’un couple d’amoureux qui ne serait pas légitime, les gens vont réagir très vite et très fort et vous allez rapidement comprendre au vu de cette réaction qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Dans la majorité des cas, les photographes qui procèdent comme ça, disent « En fait, ça se passe très bien ». Evidemment, ce n’est pas à vous à faire la police des bonnes mœurs, mais c’est vous qui serez assignés si jamais ça cause des problèmes. Donc, il faut être informé, prudent, répondre poliment, engager une discussion qui doit toujours rester cordiale et ne pas oublier qu’il y a aussi des photographes qui ont parfois abusé. Le plus souvent, ça se passe bien. Et ne pas oublier que personne ne peut vous obliger à effacer vos cartes mémoires, même un policier.
Autre conseil, être attentif au fait que, dans le cadre de vos images, peuvent se trouver des œuvres protégées et pour lesquelles il est important de savoir ce que l’on peut faire ou pas.
Préparez-vous d’autres ouvrages ?
Oui, dont un livre sur l’intelligence artificielle en photo et en vidéo. Pour l’instant, il y a plus de questions que de réponses. On assiste à la naissance de quelque chose et la théorie juridique va se monter pierre par pierre. Donc, je suis obligée de poser des questions, exposer les analyses possibles, dire ce qui a déjà été fait dans certains pays ou bien les thèses des uns et des autres. Et puis on va être obligé d’attendre de voir comment les tribunaux vont trancher les choses. Juridiquement, c’est très complexe.
Le livre
Parcours Juridique – La photo de rue:
https://www.bookelis.com/droit/54496-La-photo-de-rue.html
Les autres ouvrages
https://blog.droit-et-photographie.com/publications
Une interview sur les aspects juridiques de l’intelligence artificielle en photographie:
https://blog.droit-et-photographie.com/quelques-questions-posees-par-li-a-en-photographie/Dernière révision le 9 octobre 2024 à 10:31 am GMT+0100 par
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