« Je ne rêve pas. Dufaye a explosé, des morceaux de sa cervelle sont sûrement encore accrochés au plafond de son appart’, son sang doit couler sur les murs. Des lambeaux de sa chair propulsés par l’explosion doivent commencer à pourrir. Je serre Pauline plus fort dans mes bras. Et là, surprise. Le temps s’immobilise. Arrêt sur image. Je vois la scène. Dufaye explose au ralenti. Du sang, des viscères, de la cervelle. Un feu d’artifice. C’est comme un film qui se déroule dans ma tête. Et pouf ! La culpabilité me quitte d’un seul coup, par enchantement. Je me sens étrangement sereine, mon angoisse évaporée. Une noyée qui sort de l’eau. »
C’est sûr que se faire salement virer ça donne des envies de meurtre. Nous sommes nombreux à qui cela est déjà arrivé mais, fort heureusement, moins nombreux à être passé à l’acte même si un amer regret nous a longtemps tourmenté. Pourtant ça aurait pu soulager de trucider celui qui vous a fait comprendre que vous n’étiez qu’une « variable d’ajustement » afin de préserver le sacrosaint profit de ceux qu’on ne voit jamais au charbon et dont on finirait par douter de l’existence si ils ne venaient pas se rappeler à notre mémoire juste le temps de foutre en l’air la vie de quelqu’uns. J’ventile, j’disperse, doux fantasme qui met un peu de baume au cœur en attendant que se referme la blessure, si jamais c’était possible.
Louise Oligny a écrit un roman qui parle de tout ça sous la forme d’un polar, histoire d’une photographe qui se fait dégager salement d’un magazine. Trop vieille et trop chère, alors hop à la poubelle! Ça va vite partir en vrille, plus de fric, illusoire secours vertigineux de l’alcool et des antidépresseurs, mais qui sème la fureur récolte la tempête! Tableau jubilatoire d’une certaine presse bien réac où l’individu n’est que chair à profit, le récit est bien déjanté, drôle, efficace, se lit avec plaisir et plus d’un s’y reconnaitra, photographe ou non, tellement il y a du vécu et de la dignité humaine là dedans.
Entretien avec l’autrice Louise Oligny
Est ce que tu peux, en quelques mots, te présenter ?
Je suis photographe de presse depuis longtemps, même si depuis quelques années ma pratique est un peu plus artistique. J’organise notamment, avec l’illustratrice Clémentine du Pontavice, des ateliers qui s’appellent « Réparer l’intime », à la Maison des Femmes de Saint Denis. J’y photographie des femmes à qui je donne ensuite la photo pour qu’elle se redessinent à partir de leurs images. C’est un atelier qui a la prétention d’être thérapeutique et un partage de notre savoir faire en tant qu’artistes que l’on met au service de femmes. Finalement, je fais des photos qui ne sont plus maintenant vues que par une personne, qui ne sont pas destinées à être rendues publiques, à part quelques unes avec lesquelles on a fait un livre avec l’accord des personnes évidemment. À croire leurs témoignages, ça a changé des vies.
T’as d’autres talents ?
Je fais de la musique et de la trompette.
Pourquoi avoir écrit ce roman ?
J’ai écrit ce bouquin parce qu’ il y a des choses qui se font en cercle dans ma vie. Quand j’étais très jeune, j’écrivais beaucoup et puis j’ai arrêté. Je m’y suis remise parce que j’aime beaucoup les romans policiers. Alors, pourquoi ce sujet là qui n’est, finalement, pas très éloigné de ce que j’ai toujours fait en photo? J’avais fait un reportage dans le Nord-Pas-de-Calais sur des fermetures d’usines où les gens faisaient grève non pas pour sauver leurs emplois mais seulement pour avoir de meilleures conditions de départ. Ça m’avait beaucoup frappée. Plein de gens avaient travaillé toute leur vie suivant un modèle et, tout à coup, ils voyaient leur vie voler en éclat dans une région qui était déjà sinistrée. Je pense aussi à un autre travail avec un ouvrier de 58 ans qui était dans un programme de réinsertion et avait travaillé de 16 ans à 55 ans dans une usine qui avait été délocalisée. Tout à coup, on ferme la boite, on s’en va ailleurs et ces gens là, ils restent sur place. Je parle de ça dans mon livre, en situant l’intrigue dans le milieu de la presse parce que je suis photographe et que je connais plein de confrères ou journalistes à qui c’est arrivé. Au début de l’écriture, est paru une étude sur la santé des photographes qui était terrible, parlant de gens complètement précaires, qui ne se faisaient plus soigner et, dans le lot, il y avait quand même de très grands photographes.
Le problème, c’est qu’il y a beaucoup d’emplois qui disparaissent sauf pour celles et ceux qui ont fait beaucoup d’études ou qui viennent d’un milieu social privilégié.
Alors, on dit, il faut avoir une carrière où on va faire plusieurs métiers, plusieurs changements. Parfait, mais il faut que les entreprises disent « Moi, je trouve ça génial d’engager quelqu’un à 56 ans, qui vient de changer de vie, de métier, qui veut faire autre chose. » Compliqué dans une société où on fait de l’ubérisation avec des gens qui vont de contrat en contrat, mais pour qui à partir de 50 ans, tout s’arrête. Alors aller jusqu’à la retraite à 64 ans…
Pour traiter un sujet qui est très social, pourquoi avoir choisi le genre roman policier ?
Un autre genre de livre aurait pu être écrit avec les mêmes fantasmes de déclassement. Mon personnage est un peu odieuse au début du livre. Elle est photographe, ça va bien pour elle, elle travaille dans un grand journal et fait beaucoup de reportages de société mais avec un pied à l’extérieur. Et quand elle est licenciée, elle se rend compte qu’elle vient de passer de l’autre côté du miroir. Il y a aussi cette idée de quelqu’un qui change de perspective.
Alors, le roman policier, parce que j’aime beaucoup ça, je l’ai dit. C’est comme les films d’horreur. Quand tu regardes des films d’horreur américains, ce sont pratiquement les seuls où les gens vivent à peu près normalement. Les romans policiers, ça ouvre sur beaucoup de choses et puis, c’est de la pudeur, de la retenue. Mon personnage est quand même très enragé, je parle de sujets assez durs, de déclassement social, de chômage, de violence et je trouvais ça mieux de les raconter avec une petite intrigue policière. Et avec un peu d’humour, c’est une manière plus délicate pour faire avaler la pilule et ne pas prendre le lecteur en otage.
CA a été difficile à écrire ?
Non, ça a été assez facile. Peut être parce que je n’avais pas d’éditeur ni un plan de carrière dans cette voie. Donc c’était vraiment plus quelque chose de l’ordre de l’amusement, d’assez joyeux, sans que quiconque ne porte un jugement sur ce que je faisais, sachant que le plus dur pour moi ce n’est pas de faire mais le regard des autres.
Dans cette histoire, y a-t’il des éléments qui sont basés sur des événements réels, des choses qui se sont passées avec personnes que tu connais ?
J’ai situé l’intrigue dans ce milieu qui est celui de mon métier et que je connais bien, mais c’est quand même l’état du monde du travail actuel où passé un certain âge, tu es nettement moins sexy pour les employeurs.
Ça résonne aussi avec l’actualité du moment à propos du problème de la réforme des retraites.
Pour moi qui suis canadienne, la retraite au Québec, c’est 65 ans. Ce n’est pas tellement 64 ans qui me choque, mais il ya a quelque chose de choquant. Un peu comme s’il y avait la gangrène à une jambe et sur l’autre un bleu et que l’on ne soigne que ce dernier. Faisons déjà juste un truc un peu féministe, le salaire égal pour les hommes et les femmes, des économistes ont dit qu’on gagnerait pas mal d’argent comme ça. Et puis qu’on fasse ce qu’il faut pour que les gens puissent travailler jusqu’à 60 et quelques années. Et puis après, on verra pour l’âge de la retraite. Des médecins, des avocats, des journalistes qui mènent des belles carrières, je n’en connais pas qui prennent leur retraite à 60 ans. Ceux qui veulent prendre leur retraite plus jeunes, c’est soit parce que le chômage va s’arrêter et qu’ils vont pouvoir faire la soudure, ou parce que physiquement, ils n’en peuvent plus. Donc, on règle ces problèmes et après quand les gens pourront se projeter dans une carrière possible jusqu’à 65 ans, pourquoi pas 65 ans ?
Autre chose, et je le vois bien dans mon travail à la Maison des femmes avec des victimes de violences venant de tous les milieux sociaux, il y a beaucoup de gens qui vivent dans notre société grâce au travail bénévole des retraités qui suppléent aux carences de l’Etat. Alors, si on dit à tous ceux qui sont proches de la retraite et voudraient aller travailler, par exemple, aux Resto du cœur, maintenant vous allez travailler jusqu’à 64 ans, que l’Etat compense leur absence en finançant ce travail social qui n’est pas fait par lui. Il y a beaucoup d’associations qui s’appuient sur le travail des retraités et si ils ne sont plus là, pourquoi pas ? Mais qu’ils soient remplacés par des travailleurs sociaux qu’ils faudra bien payer en dégageant les budgets nécessaires.
Donc je trouve que les vrais problèmes de fonds qui brisent les gens ne sont pas abordés, le vrai drame étant d’y arriver à 62 ou 64 ans.
Et maintenant, d’autres projets ?
Oui, je suis en train d’en écrire un deuxième polar sur la violence faite aux femmes, quelque chose duquel je suis proche, et d’autres en chantier mais qui ne sont pas des romans policiers,
Gilles Courtinat
https://www.marabout.com/livre/colere-chronique-9782501160827/
Une sélection de polar parlant de photographie
La santé des photographes, étude de Ryk Florence, Sulzer Emmanuel
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