Alors que Libération fête en grandes pompes ses cinquante années d’existence et, pour la première fois, fait référence à Fotolib, la première agence photo liée au quotidien, c’est également les 50 ans de Sygma, de Sipa et de Viva. Mais la révolution va avoir lieu à Gamma, à la suite d’une crise qui s’ouvrit en avril 1973.
Désarçonnés par la disparition de Gilles Caron en 1970, les trois associés restant (Hubert Henrotte, Jean Monteux et Hugues Vassal) font face à une rébellion de nouveaux photographes non-associés. Attirés à Gamma par le fulgurant succès de l’agence, James Andanson, Henri Bureau, Alain Nogues, Christian Simonpietri et leurs camarades revendiquent les même droits que les photographes associés et fondateurs. En fait, la bataille a pris naissance autour du « cahier des reportages », la bible où sont notés les sujets à couvrir. Les uns rayent les noms des autres. L’essence du conflit se situe entre deux conceptions de l’agence. Pour les uns (Caron, Depardon) c’est une coopérative à la Magnum avec recrutement par cooptation. Pour les autres, il s’agit de tout couvrir et de faire leur place au soleil. S’ajoutent quelques rivalités féminines : Raymond Depardon veut que Marie-Laure de Decker intègre le staff mais Hubert Henrotte est contre. Lui-même a séduit Monique Kouznetzoff dont plusieurs espéraient les faveurs…
L’ambiance se dégrade jusqu’au déclenchement d’une incroyable grève de l’ensemble du personnel, photographes compris ; puis, au départ de la quasi-totalité du personnel et des photographes. Le 13 mai 1973, c’est le coup d’État ! Un commando déménage nuitamment les archives (négatifs et planches-contacts) !
La création de Sygma et Sipa…
Poussé par les photographes, Hubert Henrotte négocie avec François Granier le rachat de l’agence APIS qui, après quelques hésitations, va prendre le nom de Sygma. C’est le début d’une véritable guerre entre les agences Gamma et Sygma. Tous les coups sont permis, y compris les moins confraternels !
Le 26 novembre 1973, Gökşin Sipahioğlu enregistre la société Sipa Press au tribunal de commerce de Paris. Il officialise ainsi une activité d’agent qu’il exerce depuis qu’il a cessé de collaborer à Gamma en 1969.
La concurrence que vont se livrer les « trois A » va bouleverser le marché de la photographie de presse et entrainer le déclin (et pour certaines, la disparition) d’agences de presse créées avant-guerre ou juste après comme Keystone (1927), Lynx (1930), Bernand (1935), Universal photo (1949), Atlantic Press (1950), Holmes Lebel (1950), Omnicron Photos (1953), Les Reporters Associés (1953), Dalmas (1954), Parimage (1955), Europress (1956) ou encore VIP Press (1964).
Il est intéressant de noter que ces déclins sont causés par la modification de la pratique commerciale instaurée par Gamma et reprise par Sygma et Sipa.
Les vendeurs comme Jean Monteux (venu des Reporters Associés) ou Alain Dupuis (venu d’APIS), stimulés par la concurrence, sont plus agressifs et vont petit à petit faire monter les prix.
Les photographes de Gamma, puis de Sygma viennent eux aussi des anciennes agences : Henri Bureau, Alain Dejean et Alain Nogues ont quitté Les Reporters Associés, Christian Simonpietri était diffusé par Holmes Lebel ; sans oublier Gilles Caron qui venait d’APIS ou encore Raymond Depardon qui venait de Dalmas .
Le régime dit « 50/50 » devient la règle : partage des recettes et des dépenses entre les photographes et l’agence. Ce principe de coproduction est socialement et légalement discutable et sera non seulement discuté, mais contesté devant les tribunaux par les photographes de Gamma à la fin des années 1990. Mais en 1973, nous n’en sommes pas encore là. La loi Cressart, assimilant les piges à des salaires n’a pas encore été votée.
… et celle de Viva
Alain Dagbert, Claude Raymond-Dityvon, Martine Franck, Hervé Gloaguen, Richard Kalvar et Guy Le Querrec qui se sont rencontrés à l’agence-galerie Vu (1970-1971), ont fondés Viva, qui va donner un nouveau souffle à la photographie française. On s’en apercevra dix ans plus tard.
Viva n’a pas connu un succès considérable dans la presse des années 1970, mais elle a influencé le milieu photographique. Les préoccupations esthétiques des membres de l’agence annoncent une nouvelle époque : expositions photos à la Fnac, création des Rencontres de la photographie d’Arles, ouverture de galerie d’Agathe Gaillard, etc.
Magnum Photo et Rapho poursuivent quant à elles leurs activités avec un succès certain en s’ouvrant à la photographie dite « magazine ». Mais, en cette année 1973, s’amorce la fin des trente glorieuses et une page se tourne.
De nouvelles petites agences vont difficilement voir le jour : Fotolib avec Libération comme principal client, mais aussi les éphémères et sulfureuses Hupper et Norma. Il faudra attendre la fin des années 1970 et le début des années 1980 pour que de nouvelles agences comme Collectif, La Compagnie des Reporters, Imapress, Rush, Vandystadt arrivent a prendre pied sur le marché de la photo d’actualité largement dominé par Gamma, Sipa et Sygma.
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