Kind of color, le titre de cette exposition de Guy Le Querrec est un clin d’oeil à l’album de Miles Davis Kind of blue, mais quoi de plus normal en somme que cette référence pour un photographe qui aime passionnément cette musique, lui ayant consacré plusieurs livres et dont le travail a été récompensé en 2017 aux Victoire du Jazz. De lui, on connait surtout ses photographies en noir et blanc, l’Afrique où il débute, le jazz donc, la Bretagne, la Chine, les Etats Unis.
Sa signature est faite de moments du quotidien, de hasards bienvenus, de la malice que son regard porte sur ses contemporains. Membre de l’agence Magnum Photos depuis plus de 45 ans il se définit lui même comme « un photographe, véritable funambule sur le fil du hasard qui cherche à attraper les étoiles filantes » et parlant de lui, Raymond Depardon disait :
« Il est à la fois le poète et le bouffon (…) c’est un virtuose avec un héritage sans doute « magnumien », l’instant décisif, et il a aussi une forte personnalité. C’est un grand tireur, il déclenche son appareil au bon moment, il a beaucoup travaillé là-dessus, il nous a tous complexés ! C’est quelqu’un de très présent, il est authentiquement français, il porte en lui tout un monde, Guy est le vrai Parigot ! Et il aime le mot, il aime rire (…) Si je devais donner un conseil à quelqu’un, je lui dirais d’écouter Guy car il sait transmettre l’amour de la photo, la science. Il est psychologue, sorcier, conseiller, il aime les gens, l’être humain. Il aime aussi la musique. On a aussi ce point en commun, nous sommes des Africains tous les deux ! On a ce projet utopique de se rencontrer au milieu de l’Afrique, lui venant de l’ouest et moi de l’est. Un jour, peut-être, on fera ce reportage. L’Afrique lui va bien, il est peut-être le plus africain des photographes français. Il est le griot, il est le musicien, le danseur, le clown, la grâce, la parole, il aime les Africains, les gens, les femmes, la musique, les notes, les chansons. C’est un personnage à la fois très français, et en même temps universel. Il n’y a pas beaucoup de Guy Le Querrec dans le monde ! »
C’est une agréable surprise de découvrir son travail en couleur, peu ou pas vu, d’autant plus que l’on y retrouve ce qui fait tout le charme et l’intérêt de sa photographie. Un cadre très bien composé, un regard malicieux auxquels s’y ajoute un réel talent de coloriste qu’on ne lui connaissait pas.
Jean-Luc Monterosso, co-fondateur et ancien directeur de la Maison européenne de la photographie le confirme :
« Cette exposition tombe à point nommé en parallèle avec celle de Bruno Barbey à l’Académie des Beaux Arts. D’un côté Barbey considéré comme un photographe de la couleur dont on montre le travail en noir et blanc. Et ici, les images en couleur d’un auteur réputé pour son noir et blanc. Je trouve cela tout à fait intéressant parce que ce sont des photos inédites. Guy Bourreau a fait un très beau travail et il a retrouvé ces images pour les sortir de l’anonymat des archives de Guy Le Querrec. On reconnaît à la fois son œil, lui qui disait qu’il faut se frotter l’œil au papier de verre, sa grande formule. Et puis en même temps, son humour. Parce que dans ses images, il y en a toujours mais sans rien à voir avec celui de Martin Par. C’est un humour gentil, je dirais, plus pétillant, moins sarcastique. »
Sentiment que partage la galeriste Annie Boulat :
« Moi, je suis étonnée parce que honnêtement, je ne connais pas très bien le travail de Guy. Je connais évidemment le noir et blanc un peu comme tout le monde, mais là, je trouve que c’est plein d’humour, c’est plein de couleurs, c’est une leçon d’vie extraordinaire. On peut dire aussi que c’est le travail d’un coloriste alors que d’habitude, les photographes qui font des choses en noir et blanc ne sont pas toujours bons en couleur. Mais là, ça explose, c’est formidable et on retrouve sa patte dans les cadrages et l’humour.»
Une histoire d’amitié
Cette histoire c’est aussi la rencontre et la complicité de deux Guy, le photographe et un autre homme d’images, Guy Bourreau à qui revient l’initiative du projet.
« La genèse, c’est Gary Winogrand, son travail sur la couleur à New York. Je le découvre au Musée de Brooklyn en 2019 et je me prends une claque. Revenu en France, dans un petit coin de ma tête, j’ai une question, c’est est ce que mon ami Guy Le Querrec n’aurait pas lui aussi des Kodachromes qui patienteraient et qui n’entendraient que mon regard. Je lui ai posé la question et il m’a dit « Oui, j’en ai » et a fait un petit geste de la main vers huit caissons dans lesquels il y avait environ 7 000 photos. Il m’a dit « Bon, tout est là, mais j’ai d’autres choses à faire, je ne peux pas m’engager dans un projet comme celui là. » Sachant que cela n’aurait servi à rien d’insister, j’ai gentiment reculé et attendu quelques mois et je suis revenu à la charge en juillet 2020, à la sortie du confinement. Il m’a dit alors : « Écoute, moi, je ne peux pas m’engager là dedans, mais c’est ton projet, je te donne carte blanche. »
C’est lui qui a eu cette expression elle n’est pas de moi. Il a dit « Je te donne une carte blanche pour la couleur.» du Le Querrec tout craché. À partir de là, j’ai fait plusieurs séjours chez lui. Toute la difficulté quand on cherche à faire un livre ou une exposition, et je voulais faire les deux, c’est de savoir si on part sur un thème si on a une matière suffisante pour faire un ensemble cohérent ou si on part sur autre chose. Moi, je partais sur autre chose parce que ce qui m’avait frappé dans l’exposition Winogrand, c’est qu’on retrouvait dans ses photos couleurs toute la structure, toute l’écriture qu’il avait en noir et blanc. C’est exactement ce qui m’est arrivé avec les images de Guy construites exactement comme ses noirs et blancs, mais avec en plus l’ajout de la dimension couleur.
J’ai fait une première sélection d’environ 300 photos puis je suis descendu à 140 à peu près. Là, on était fin 2020, je devais trouver un lieu d’exposition et un éditeur, ce qui n’a pas été facile car il y avait une sorte de goulot d’étranglement du au retard accumulé à cause du covid. En 2022, j’ai présenté le travail à Jean François Camp et à Annie Boulat et à Dominique Gaessler. C’est comme ça qu’on est arrivé à monter une exposition courte mais solide qui montre bien, à mon avis, cette écriture que je suis allé chercher. Et puis, il y a le livre avec plus de photos, ce qui représente plus un parcours à travers les thèmes connus de Guy, le jazz, l’Afrique, le concert Mayol, l’Inde, la Chine, ses grands thèmes.
Je veux rendre un hommage appuyé à Guy, parce que c’est une totale carte blanche qu’il m’a confié, et quelque part, ça m’a quand même collé une sacré pression. »
Dominique Gaesler, éditeur de Trans photographic press, a quand à lui été chargé de réaliser le livre :
«Après avoir plongé dans les archives couleur de Le Querrec, Guy Bourreau m’a appelé. Il en avait extrait à peu près 200 images très à part dans le travail du photographe qui vit au milieu de ses archives. Son atelier, c’est trois pièces avec des rayonnages extrêmement bien rangés. Dans un coin, il y a le mobilier, dont on peut voir une photo dans le livre, qui contient les diapos fruit de 20 ans de pratique entre 1970 et 1990. Que des Kodachromes. Donc, des images un peu saturées, très difficiles à tirer, mais on y est arrivé. On a fait une sélection de presque 60 images ce qui fait de ce livre un petit parcours dans son travail. C’est franchement très à part dans son travail, mais on retrouve quand même sa verve photographique, tous ses cadres, ses clins d’œil, toute la part humoristique dans certaines de ses images et tout est inédit. Je pense que même ceux qui connaissent bien le travail de Guy, n’en ont jamais vu. C’est simple, même sa fille et sa femme ne les connaissaient pas. »
Exposition
Kind of Color de Guy Le Querrec
Jusqu’au 13 juin 2023
56, Bld de La Tour-Maubourg – 75007 Paris
ouvert du mardi au vendredi de 11h00 à 19h00 – le samedi sur rendez-vous
Livre
https://www.transphotographic.com/produit/kind-of-color-de-guy-le-querrec/Dernière révision le 29 octobre 2024 à 12:17 pm GMT+0100 par Gilles Courtinat
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