Goran Tomašević, né en 1969 à Belgrade dans la Yougoslavie de Tito, va grandir dans un climat de manifestations qui portent les germes de la guerre civile. Il n’a que 12 ans quand son père lui offre un appareil photo. Pour les connaisseurs, un FED 5 V, le précurseur du Leica qui va lui permettre de progresser très vite dans cette discipline, véritable mode d’expression de son adolescence. Ses récits photographiques, il les construit à la manière d’un reportage, et c’est tout naturellement qu’il se tourne vers le photojournalisme, en commençant par des sujets politiques et les manifestations anti-Milosevic.
Puis, c’est la guerre des Balkans, les bombardements de l’Otan, Goran va vivre les affres de la guerre civile qui déchire son pays. D’origine serbe, il couvre la situation, en Bosnie et en Croatie d’abord pour le quotidien kosovar Pristina, puis pour l’agence Reuters.
Difficile de savoir si cette période déterminera à jamais le fil de son parcours sur les terrains de guerre, seule certitude, « Quand les histoires se passent chez vous, c’est là qu’elles font le plus mal ». Il perd des amis, des parents, des collègues dans cette guerre, son reportage dans un hôpital en Albanie, où agonisent les survivants d’un bombardement de l’Otan, lui reste longtemps dans la tête.
Et pourtant, Goran fait en sorte de contrôler ses émotions, même si c’est un défi sur une zone de guerre. L’émotion est imprévisible et dangereuse. Sur un terrain sensible, c’est un ennemi. On se doit de dompter ses propres émotions, mais aussi celles des gens qui vous entourent. L’émotion, elle jaillit souvent quand tout est fini, au moment du tirage des photos qu’il a prises.
Sur le terrain, le photojournaliste est concentré sur l’observation des faits, le souci de porter la réalité du terrain dans ses nuances à la connaissance de tous, mais une fois spectateur de son propre travail, il se laisse déborder par l’émotion. Car les images de Goran sont expressives, elles portent une profonde humanité. Sans doute la métaphore du Caravage est-elle pertinente, on retrouve le clair-obscur jusqu’au ténébrisme de la mort, la violence et la brutalité des scènes et une bouleversante sensibilité en toile de fond.
Au plus près des combattants, de leurs tranches de vie et de morts, à partager l’effroi et les souffrances, en les capturant dans son appareil, en 30 ans de conflits, Goran Tomasevic livre ici les précieux témoignages de l’Histoire, celle que personne d’autre n’a raconté. Avec le souci de tout raconter en une prise, et non pas ressentir le besoin de faire une série de plusieurs clichés pour raconter un tableau. Un style à part, qui lui a valu les plus grands prix internationaux du photojournalisme, et d’être nommé par Reuters le photographe de l’année à quatre reprises.
Eric Valmir
Secrétaire général de l’information du Groupe Radio France
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Dernière révision le 29 octobre 2024 à 12:17 pm GMT+0100 par