Une nouvelle exposition permanente de photos retraçant l’œuvre du photographe hongrois Robert Capa a été inaugurée le 13 juin dans les bâtiments rénovés du Capa Center à Budapest. Un écrin pour cet enfant juif ne Endré Friedmann ayant fui la capitale hongroise en 1931 et qui a été sacré comme « le plus grand photoreporter de guerre ».
Après des mois de travaux, les échafaudages ont enfin été démontés devant l’immeuble qui abrite, depuis 2013, le centre de photographie contemporaine Robert Capa, plus connu sous le nom de Capa Center. Désormais, les passants peuvent de nouveau admirer la belle façade Art Nouveau de l’ancien cinéma Tivoli datant de 1912 puis transformé quelques années plus tard en musée privé par son propriétaire, le collectionneur d’art Lajos Ernst. Endetté et en détresse, il s’est suicidé en 1937 en se jetant dans le Danube. Mais, au-dessus de la porte d’entrée, la mosaïque « Ernst museum » a été conservée.
Depuis le 13 juin, en poussant la lourde porte de fer entourée des magnifiques vitraux colorés par le peintre impressionniste hongrois József Rippl-Rónai (1861-1927), c’est désormais Robert Capa, caméra au poing, photographié en 1937 par sa compagne Gerda Taro, qui accueille le visiteur. L’immense hall de l’ancien cinéma a été repeint en blanc et les sculptures au pied des colonnes ont été redorées. La partie rénovée du bâtiment a été entièrement transformée en un espace d’exposition multifonctionnel. Une rénovation rendue possible grâce à une subvention de plus de 2 millions d’euros versée par le gouvernement hongrois. « Il a fallut quatre ans de travaux interrompus par deux ans de Covid pour mener à bien ce projet architectural et culturel », explique Orsolya Kőrösi la directrice du Centre Capa qui fête, cette année, ses dix ans d’existence. « C’est aussi la plus belle manière pour Budapest de rendre hommage à Robert Capa, un de ses plus célèbres enfants connu dans le monde entier, et lui redonner sa juste place », ajoute Gabriella Csizek, la commissaire de la nouvelle exposition permanente intitulée « Robert Capa, the photojournalist ».
Cantonnée jusqu’alors dans une petite pièce au premier étage de l’immeuble où étaient accrochées une cinquantaine de ses plus célèbres photos, l’exposition permanente du « plus grand photoreporter de guerre » n’attirait guère les foules. Désormais, ce sont 500m2 répartis sur deux étages qui accueillent 137 photos encadrées auxquelles s’ajoutent 400 autres clichés – dont plusieurs en couleurs – qui peuvent être vus sous forme de projection. Avec le Centre international de la photographie (ICP) à New York fondé en 1974 par Cornell Capa (1918-2008) et le Fuji Art museum à Tokyo, le Capa center de Budapest est aujourd’hui le troisième musée à exposer en permanence l’œuvre de Robert Capa sous la bannière de l’ICP où sont conservés les soixante-dix mille négatifs du photographe. C’est parmi ces archives que son frère Cornell a sélectionné en compagnie de l’historien de la photographie Richard Whelan les 937 images qui, selon eux, caractérisent le mieux la carrière de Capa entre 1932 et 1954, année de sa mort en Indochine où il sauta sur une mine antipersonnel à l’âge de quarante et un ans. Une sélection tirée en seulement trois exemplaires dans laquelle les musées ou les galeries doivent faire leurs choix pour chaque exposition. La direction du Capa center qui a acheté cette série en 2008 avec l’aide de l’Etat hongrois, a sélectionné 137 photos pour son exposition permanente qu’elle pourra remplacer par d’autres au fil des ans. Elle souhaiterait également acquérir les 48 photographies originales du reportage de Capa en Hongrie réalisé en 1948 et publié dans la revue américaine « Holiday » sous le titre « Conversation in Budapest ».
Mais, cette nouvelle exposition ne s’arrête pas à un alignement de photos. C’est surtout une extraordinaire remontée dans le temps en forme de voyage intérieur. A travers des objets, des écrits et des sons, l’on suit le parcours du jeune Endré Erno Friedmann obligé de fuir Budapest en 1931 pour Berlin puis Paris où il deviendra le grand photojournaliste Robert Capa, forgeant sa légende sur tous les champs de bataille du XXème siècle avec, en bandoulière, son charme et ses appareils photo.
Dans le petit couloir qui mène aux salles d’exposition, le visiteur entre immédiatement dans le vif du sujet avec la planche contact des photos de Léon Trotski prise par Capa en 1932 à Copenhague (Danemark) où, lors d’un meeting, il harangue la foule avec fougue et détermination. Des photos rares de l’ex-dirigeant de l’Armée Rouge alors pourchassé par Staline. Ce fut le premier reportage commandé à celui qui ne s’appelait pas encore Capa. En quelques photos prises en contre plongée, il montre le principe qui allait le guider tout au long de sa vie de photojournaliste, que ce soit aux côtés des Républicains espagnols ou sur les plages du débarquement le 6 juin 1944 : être au plus près de l’action.
En déambulant dans les salles de l’exposition qui, de manière chronologique, vont de la guerre d’Espagne à l’Indochine en passant par la Seconde guerre mondiale, Israël, l’URSS, le Japon, le Mexique, la Hongrie et Hollywood, on est (de nouveau) frappé par la pertinence de ses photos qui reflètent l’époque dans laquelle il évolue. Il photographie la guerre au mépris du danger et avec une grande compassion pour ceux qui combattent. On y perçoit ses états d’âmes d’immigré, ses engagements contre l’injustice et cette solidarité avec des gens qu’il ne connaît pas mais dont il partage intimement le même destin. « Il n’a jamais considéré qu’il était important d’enregistrer uniquement l’événement lui-même, mais aussi les antécédents et les conséquences : il savait qu’une guerre ne commence jamais avec le premier coup et ne se termine jamais avec le dernier », souligne Gabriella Csizek.
Ainsi, même si l’on croit tout connaître des photos de Capa vues et revues dans les nombreux livres qui lui sont consacrés, on découvre toujours une photo que l’on n’avait pas remarqué ou qui était resté dans les cartons. On s’arrête à nouveau, comme si c’était la première fois, devant les images emblématiques de Capa prises pendant la guerre civile espagnole ou celles du débarquement à Omaha Beach. Il y aussi ces photos prises en Israël tout juste créé, et celles de la vie quotidienne en Union soviétique se préparant à la chute du rideau de fer. Sans oublier plusieurs portraits de femmes aimées et sublimées comme Ingrid Bergman et Gerda Taro dont l’ombre plane sur la cinquantaine de photos consacrées à la guerre d’Espagne. Parmi elles, les trois célèbres photos du milicien républicain Federico Borell Garcia – « The Falling Soldier » – fauché par une balle et dont le mouvement de sa chute se dessine habilement au sol dans un halo de lumière. « Le jarret vif, la poitrine au vent, fusil au poing, ils dévalaient la pente couverte d’un chaume raide. Soudain, l’essor est brisé, une balle a sifflé – une balle fratricide – et leur sang est bu par la terre natale », avait légendé avec grandiloquence le magazine VU lors de sa première publication en 1937.
Il y a aussi la reproduction de « la valise mexicaine » récupérée en 2007 dans laquelle sont rangés 4500 négatifs de la guerre civile en Espagne appartenant à Capa, Gerda Taro et David Chim Seymour. Non loin, on découvre l’hologramme du Contax de Capa qu’il utilisait lors de ses reportages. « Nous n’avons pas retrouvé l’appareil dont Capa s’est servi et nous l’avons donc remplacé par cet hologramme », sourit Gabriella Csizek.
Au fil de la déambulation, quatre espaces d’informations permettent de se familiariser avec la personnalité de Capa et de découvrir son œuvre à travers de nombreux outils interactifs, cartes, films, rares interviews radio, images et documents. « L’exposition est une combinaison de tradition et d’innovation, nous avons imaginé une exposition utilisant des outils multimédias dans un espace art nouveau », souligne Gabriella Csizek en espérant que les nouvelles générations ne connaissant pas encore Capa seront séduites. « Nous voulions ramener Capa à la maison », poursuit Orsolya Kőrösi. « Robert Capa est hongrois mais il est souvent présenté comme photojournaliste américain. C’est pourquoi il y a une salle où nous présentons sa famille avec des documents contemporains, des photographies et des films ».
La dernière image de l’exposition n’est pas signée de Robert Capa mais d’Elliot Erwitt, son confrère de l’agence Magnum que Capa avait fondée à New York en 1947 avec Cartier Bresson, George Rodger et « Chim ». Dans le cimetière militaire d’Arlington en Virginie (USA), on y voit Julia Friedmann, la mère de Capa, éplorée à genoux sur la pierre tombale de son fils. L’image est poignante. Elle avait refusé que les honneurs militaires lui soient rendus car, disait-elle, Capa détestait la guerre… « Le correspondant de guerre a sa vie entre les mains et il peut la miser sur un cheval ou sur un autre. Il peut aussi la remettre dans sa poche à la dernière minute. Moi, je suis un joueur… », disait Robert Capa.
Daniel Psenny (à Budapest)
Capa Center
Nagymező u. 8, Budapest, 1065
Horaires d’ouverture : Lundi : fermé. Mardi–vendredi : 13h–18h. Samedi–dimanche : 10h–18h
Billet plein tarif : 4 000 HUF. Billet famille (2 adultes et leurs enfants de moins de 18 ans): 8 000 HUF. Billet étudiant (pour les 6-26 ans avec une carte d’étudiant nationale ou européenne): 2 500 HUF. Billet senior (plus de 70 ans) : 2 500 HUF.
Achat de billets en ligne : Web officiel du Capa center
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Dernière révision le 12 mars 2024 à 10:50 am GMT+0100 par la rédaction
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