Je n’aime pas Arles, c’est un fait. J’ai raté les débuts des Rencontres quand, parait-il tout se passait sans « chichi », à la bonne franquette. Aujourd’hui, Arles est une ville ruinée sous tutelle de l’Etat, mais sous la botte du pognon, de l’esbrouffe, de l’art contemporain, « l’art comptant pour rien » comme dit une amie.
Frank Gehry, qui fut ailleurs mieux inspiré, a détruit la ligne d’horizon avec une tour qui écrase la ville. Ce machin abrite la fondation LUMA – à ne pas confondre avec « L’Huma » – qui semble ainsi marquer son hégémonie sur la ville.
Je fus donc très brièvement en Arles pour assister à la dernière conférence de Françoise Denoyelle autrice de Les agences photo, une histoire française (Editions de Juillet) avec Lionel Charrier et Guillaume Binet, les fondateurs de M.Y.O.P., débat animé par Pierre Ciot, photographe et Vice-président de la SAIF,
L’endroit investi par l’agence, un ancien hôtel restaurant en friche, acquis par feu Jean-Paul Capitani d’Acte Sud, est fort bien aménagé par les photographes. Exposition photo dans la chaufferie, dans les toilettes, projections dans le bar, et le plus surprenant : une exposition dans et autour de la piscine désaffectée. Rien à dire c’est bien vu, et l’on y voit le meilleur de leurs productions.
Une petite douzaine de personnes pour assister à cette conférence programmée pour dix heures du matin et qui commence à onze. Même pour la conférence avec Raymond Depardon, il n’y avait pas foule. Il parait que les fêtes arlésiennes durent jusqu’au petit matin, ceci expliquant cela. Et, je veux bien le croire, à en juger par les visages fatigués, et par la quantité de mégots écrasés dans la pinèdes par une bande d’écologistes.
Que dire de la conférence ? Guillaume Binet passe la brosse à reluire à l’historienne Françoise Denoyelle : « J’ai envie de dire qu’on a fait MYOP pour être dans votre livre sur les agences… ». Un autre motif ? Les agences du passé « les trois A » diffusaient à n’importe qui, n’importe quoi sans contrôle des photographes… Pourquoi les nouveaux talents éprouvent-ils le besoin de dénigrer leurs aînés ? Cela dit, en leurs temps, les Gamma, Sygma, Sipa n’avaient eux aussi que mépris pour Les Reporters Associés, les Dalmas, APIS et consort… L’histoire bégaie, c’est connu.
De Libé à Libération
Je suis venu en Arles cette année pour voir à l’abbaye de Montmajour, l’exposition de Libé, je veux dire celle du quotidien Libération ; car comme le dit Dov Alfon « Oui nous allons célébrer Libé mais surtout Libération ». Un énorme livre, une exposition pour exposer son « amour de la photo ».
Evidemment, un tel évènement, compte-tenu de la longue histoire de ce quotidien, ne pouvait que provoquer quelques grincement de dents. C’est Sylvie Bouvier, ancienne salariée du service photo qui a ouvert le bal par une lettre ouverte sur Facebook à Lionel Charrier, actuel chef du service photo :
« 50 ans ! Malgré cet âge vénérable, Libération, et ses innombrables photos allaient être célébrées » à la Libé « , avec de l’inattendu, de l’autodérision, de la modernité. Mais non, tout au contraire, vos projets sont d’un formalisme de bon ton, consternant. Le livre 50 ans dans l’oeil de Libération aux Editions Seuil, vous l’ avez conçu, réalisé, seul. C’est à dire sans les membres actuels, ou passés, du service photo. Excepté Christian Caujolle à qui vous attribuez toutes les innovations. » Il n’est pas question du journal dans ce livre ! « , prévenez-vous dans une interview. Vous apposez pourtant son logo géant en couverture, et vous intercalez même quelques doubles pages, reproduisant les Unes les plus célèbres. Votre ambition semble double dans ce livre de 336 pages : raconter 50 ans d’actualités, et 50 ans des meilleures photos publiées par Libération. Dans les deux cas, autant rêver de faire entrer la Méditerranée dans une bouteille d’un litre ! ».
Le propos est sévère, et je ne peux y souscrire totalement car Lionel Charrier à fait appel aux anciens photographes de l’agence de presse Fotolib, première agence photo liée au journal, pour comprendre comment « Libé » avait utilisé la photo dès sa création. Et il a eut le mérite de mettre en avant, par exemple, le travail de Christian Weiss. Et puis comment publier des photos de tous les photographes qui ont collaboré à Libération ? Là, ou Sylvie Bouvier n’a pas tord, c’est effectivement que le livre et l’exposition ne sortent pas d’un « joyeux brainstorming » à la Libé du temps jadis.
« N’as-tu pas compris que nous avions été dépossédés par le temps ? » lui a répondu avec son tact habituel Sorj Chalandon. « Rayés de l’Histoire, de la mémoire, de nos combats anciens ? Tu n’existes pas, je n’existe pas, la liste des vieux et des morts qui avions combattu pour ce journal est close. Et c’est bien. C’est comme ça. C’est la vie…/…Tu étais gamine quand tu es entrée au journal, j’avais 21 ans quand j’ai franchi sa porte en septembre 1973. Et puis quoi ? On fait quoi 50 ans après ? On rumine ? Non. Nous lisons ce quotidien comme un autre journal que le nôtre, fait par d’autres depuis déjà bien longtemps…/… J’ai refusé toute contribution ou interview pour cet anniversaire. Le dernier tour de piste est toujours pitoyable. En revanche, je lis Libération chaque jour avec plaisir. Ce n’est plus notre « Libé », mais c’est un journal digne. Nous sommes comme des parents qui regardons partir leur vieil enfant. Il fête son anniversaire avec ses copains, ses copines, les proches de sa nouvelle vie. Et nous, sommes quelque part, tout en bout du bout de table. Personne ne fait gaffe à toi, à moi, aux fantômes de notre jeunesse. Et si quelqu’un demande qui est cette Sylvie ou ce Sorj qui semblent faire la gueule dans leur coin, un autre répondra : « des parents éloignés, peut être ». Tu sais quoi? Ça me va.»
Le sage Sorj fait un peu l’impasse sur l’histoire, et je ne peux souscrire entièrement à son propos. Il est bon de rappeler que Libération est né de l’Agence de Presse Libération fondée par Jean-Claude Vernier et Maurice Clavel, deux grands oubliés, tout comme Jean-René Huleu venu de Paris Turf pour créé Libération. Il n’est pas inutile non plus, comme le rappelle Béénédicte Mei dans un post sur Facebook de souligner que Simone de Beauvoir a été gommée de la désormais célèbre photographie de Jean-Paul Sartre en Lituanie… Comme si Sartre seul avait fondé Libération !
« On se dit que c’est toujours la même histoire. L’indispensable compagne a été coupée, supprimée pour ne mettre en valeur que l’homme. La photo était pourtant un tout, les montrant tous les deux, ensemble. » précise Bénédicte Mei dont les dessous de la photographie d’Antanas Sutkus lui ont été révélés par Patrick Duval.
« Durant les mois qui ont permis la création de Libération, Simone était là aussi, rue de Bretagne et ailleurs. Elle participait aux réunions de la fondation du journal et de façon très vive. C’est elle qui avait demandé à Jean-Paul à l’automne 1974 de rencontrer à son domicile bd Edgar Quinet toutes les filles, et exclusivement elles, travaillant au journal. Simone considérait que le devoir de Jean-Paul en tant que directeur du journal était de se renseigner pour savoir si les femmes du journal étaient considérées à égalité. Lui-même nous l’a expliqué au début de cet entretien, ce samedi matin pluvieux : « Simone me l’a demandé ». Et la conclusion a sonné comme un précepte philosophique : « Ne vous soumettez jamais ». »
Mais comme dit Sorj Chalandon « C’est la vie ! » Et bien non, cher Sorj, de temps à autres il est bon de rappeler à certains d’où ils viennent et quelles furent nos idéaux, même s’ils n’étaient pas tous justes, ni surtout réalistes. Mais d’avoir pris nos désirs pour des réalités à permis à d’autres de faire vivre le seul quotidien de l’après seconde guerre mondiale. Ça vaut quand même le coup de le rappeler au « nouveau monde ».
Il reste que l’exposition à abbaye de Montmajour vaut le détour, et le livre mérite d’être dans toutes les bibliothèques des amateurs de photojournalisme ; et même, pourquoi pas dans celles de quelques EPADH.
MP
Lire & Voir
- 50 ans, dans l’œil de Libé à l’Abbaye de Montmajour Abbaye de Montmajour jusqu’au 24 septembre 2023 de 10H00 – 18H15 – Dernière entrée 17h
- Like, la revue n°12 et 13, l’histoire des débuts de la photographie à Libération, une enquête bien documentée
- Et pour les parisiens : Mercredi 19 juillet à à partir de 18h30 – La Comète vous invite à une rencontre en présence de Lionel Charrier, directeur photo à Libération, à l’occasion de la sortie du livre 50 ans dans l’oeil de Libé. Rendez-vous au Quai de la Photo, Centre d’art photographique, 9 Port de la Gare, 75013 Paris.
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Note
[*] « Chaud, chaud, chaud, l’été sera chaud ! » Slogan de la Gauche Prolétarienne, organisation de tendance maoïste crée en 1969 et qui fut à l’origine de la création de Libération pour éviter que les milliers de militants de l’époque ne soient tentés par la lutte armée comme ce fut le cas en particulier en Allemagne et en Italie.Dernière révision le 29 octobre 2024 à 12:20 pm GMT+0100 par
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Nous avons corrigé une erreur : Pierre Ciot n’est pas Président de l’UPP, comme il était écrit ce matin, c’est Matthieu Baudeau, l’actuel président de l’Union des Photographes Professionnels. Avec nos excuses. Pierre Ciot est Vice-président de la SAIF,