C’est toujours un moment glaçant. Il ne fait souvent pas très chaud en octobre, en Normandie. On s’aventure, dans un jardin d’année en année plus luxuriant. Il n’y a pas de soleil et les oiseaux ne chantent pas, mais c’est un lieu agréable. Il serait vraiment apaisant, sans ces dizaines de stèles gravées de milliers de noms de correspondant de guerre, de reporter, d’enquêteur de journalistes morts pour nous informer.
Il est 17 h.30, à Bayeux, ce jeudi 12 octobre, on se rassemble autour de la stèle 2022-2023, avec ses quarante noms gravés. Il y a les discours, généralement peu convenus et fort en émotion. Cette année hommage fut rendu plus particulièrement à deux confrères, Arman Soldin de l’AFP tué le 9 mai dernier en Ukraine et Dom Philips, journaliste assassiné au Brésil avec son guide, Bruno Pereira, défenseur des droits des peuples autochtones.
J’ai choisi de vous faire écouter la prise de parole de Siam, la sœur de Dom Phillips. Elle dit parfaitement le travail de son frère. Elle explique très clairement comment nous pouvons soutenir l’équipe de journalistes et d’écrivains qui a pris en charge de terminer « Comment sauver l’Amazonie ? », le livre qui a couté la vie à Dom Phillips.
Ecouter Siam Phillips (podcast 10’03)
Prise de parole de Me Siam Phillips, sœur de Don Philipps
Bayeux, jeudi 12 octobre 2023
Je remercie Reporters sans frontières pour l’hommage rendu à mon frère Dom ; et de nous avoir invités à participer à cette commémoration. J’ai entendu la situation en Amazonie être décrite comme une guerre menée contre la nature et Dom comme un soldat.
Mais Dom, n’était pas un soldat, c’était un auteur, un journaliste. Il passait le plus clair de ses journées assis à son bureau devant son ordinateur. Il faisait des choses physiques, du paddle, de la randonnée dans les collines, de la natation, mais ce n’est pas dans ses bras que se trouvait sa force, c’était dans son esprit, dans ses mots.
Ce n’est que le 6 juin 2022 que j’ai que Dom était un journaliste de guerre et je l’ai appris de la manière la plus horrible qui soit par la nouvelle de sa disparition.
Au long de cette effroyable tragédie, c’est à travers les mots écrits par les journalistes qui sont sur le terrain au Brésil que nous sa famille, ses amis, avons pris connaissance de ce qui était arrivé à mon frère et à Bruno Pereira.
Dès Les premières heures de leur disparition, le lien avec ces journalistes, dont beaucoup étaient des confrères et des amis de Dom, a été d’une importance capitale pour nous aider à comprendre ce qui s’était passé, connaître les détails de leurs missions, de leurs expéditions et de leurs dernières heures.
La police, les affaires étrangères ou le Consulat ne nous ont appris que peu de choses. Toutes les informations du gouvernement ou des sources officielles arrivaient avec des jours ou des semaines de retard. J’ai donc une expérience directe de l’importance du journalisme dans notre société.
Notre famille, que ce soit au Royaume-Uni ou au Brésil, soutient RSF dans ses objectifs et son rapport Les terres brûlées du journalisme en Amazonie.
Des journalistes indépendants écrivent des articles fabuleux sur l’Amazonie, sur les chercheurs d’or, les bûcherons et les chasseurs clandestins qui, aujourd’hui, s’associent avec des trafiquants de drogue équipés d’armes puissantes, d’avions, de bateaux et dotés d’une bien meilleure infrastructure.
Les organisations criminelles ont beaucoup augmenté sous le régime de Bolsonaro. Les peuples de la forêt mènent une lutte acharnée pour protéger leurs terres. Ils sont menacés ou assassinés sur la ligne de front. Il faut que cette réalité de violence et d’impunité soit rendue publique, nous avons besoin que les journalistes indépendants obtiennent un soutien financier leur permettant de travailler en sécurité et de témoigner de ce qu’il se passe réellement au sein du vaste territoire amazonien.
Une grande part des médias brésiliens est financée par le secteur privé, dont l’agro-industrie, qui a des intérêts économiques et politiques dans l’Amazonie elle- même et dans d’autres régions sensibles.
Depuis qu’il s’était installé au Brésil en 2007, Dom couvrait les aspects politique, culturel, sportif et sanitaire du pays pour The Guardian, The Washington Post, Bloomberg News, entre autres.
Dom a commencé à écrire sur l’Amazonie en février 2015, par un article pour The Washington Post sur l’extraction du minerai de fer dans le parc national dans vallée de Javari.
Dom retournait souvent en Amazonie, où il racontait les tribus indigènes en péril et les bûcherons et les éleveurs de bétails illégaux qui empiétaient sur leurs territoires. Par exemple, en 2018, il m’écrit « Le voyage en Amazonie était incroyable, vraiment intéressant. Je t’enverrai des photos, mais nous faisons très attention le plus possible. Nous ne prenons aucun risque inutile. Sujets importants. » Dom.
Comment sauver l’Amazonie ?
Andrew Fishman, l’un des auteurs du groupe de travail, a déclaré « Dom a été assassiné alors qu’il racontait l’histoire des défenseurs de l’Amazonie qui se font tuer. Laisser son livre inachevé signifiait laisser les destructeurs de l’Amazonie gagner sans se battre. Ce serait desservir son héritage et tout ce en quoi nous croyons en tant que journalistes. Nous avons organisé un financement participatif pour trouver l’argent qui nous manquait pour finir le livre. Vous pouvez le trouver sur GoFundMe, Dom Philips.
Des mois se sont écoulés depuis son assassinat et le Brésil a un nouveau président, mais la destruction de l’Amazonie continue et la violence qui a tué Dom et Bruno aussi.
Notre famille attend que justice soit rendue. Nous espérons que le procès aura un impact positif sur la sécurité et la santé de la région de la vallée de Javari et en Amazonie en général.
Alessandra Sampaio, la veuve de Dom, travaille dur pour monter une ONG à sa mémoire basée à Rio de Janeiro. Elle s’appellera Institut Dom Phillips.
Cette ONG développera des projets de partenariats visant à créer du lien dans la société et à encourager son application dans les réseaux amazoniens et leur savoir- faire ancestral, leur esprit de communauté et leur connexion avec la nature. L’objectif est de susciter une prise de conscience environnementale qui cherche des solutions régénératives.
Plus qu’une campagne politique, l’accent sur l’éducation reflète l’approche professionnelle de Dom. L’une de ses consoeurs journalistes, qui était aussi une amie proche, Sylvia Colombo, a écrit « Dom n’a jamais été un activiste, mais toujours un journaliste passionné qui allait toujours un peu plus loin que les autres. »
Pour conclure, nous sommes ici pour rendre hommage à Dom que j’ai eu la chance d’avoir pour frère, et à tous les hommes et femmes dont les noms sont inscrits sur les stèles à côté de nous. Après la tragédie de l’année dernière, j’aspire à me souvenir de tous nos bons moments.
Merci tout le monde. Merci.
Ce podcast a été enregistré le 11 octobre 2023 par Michel Puech
La réalisation est de Jean-Louis Vinet
Avec la voix de Rose Monet et la musique de PAZ
Dernière révision le 15 avril 2024 à 6:06 pm GMT+0100 par la rédaction
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