Patrick Gomont est un maire très apprécié – au point de s’excuser d’avoir à trop saluer ses concitoyens et concitoyennes, à trop serrer des mains sur le parcours depuis la Mairie jusqu’à la terrasse de café qui nous accueille près de la « Halle aux grains »
C’est aussi l’effet du Prix Bayeux en cours, au 3éme jour de son 30ème anniversaire, souligne-t-il avec évidente modestie. Tant le pari d’afficher sur les murs de la ville les photos des conflits en cours, et ce en grand format fût à sa création un pari, voire un défi politique largement détaillé dans l’interview ci-jointe.
L’ensemble des prestations, conférences, rencontres avec la confrérie des reporters de guerre ne provoque que totale adhésion et fierté citoyenne dans les collèges, lycées et soirées thématiques toujours combles.
Monsieur le Maire se réjouit sans la moindre vanité d’avoir participé entre autres initiatives – à la création du Prix Public AFD, pour faire voter chaque année -en parallèle au jury des professionnels 100 bayeusains choisis sur les listes électorales – exemple même et raison d’être de la pérennisation du Prix.
Patrick Gomont l’a souligné avec une émotion maîtrisée :
« Dans un monde idéal, le Prix Bayeux n’aurait pas de raison d’être. Mais, et c’est une des leçons, si ce n’est LA leçon de ces trois décennies : la cruauté des hommes est bien souvent sans limites. L’Ukraine l’an dernier, le conflit Israélo-palestinien cette année. A chaque édition sa nouvelle guerre. Hélas, la 31e édition s’écrit sous nos yeux ».
Verbatim de l’interview
Alain Mingam : D’abord merci de m’accueillir en pleine actualité brûlante qui nous oblige à justifier ô combien l’existence du prix Bayeux. Première question, quel rôle est selon toi celui du Prix Bayeux à travers, justement, les drames que traversent la planète dans une multiplication de conflits . En tant que maire, qui a participé, à la création active de ce prix, comment veiller à l’exemple d’une participation citoyenne ?
Patrick Gomont: Pour nous, effectivement, dans le contexte international qui devient de plus en plus délétère, face à des conflits qui démarrent, c’est assez terrible .La motivation existentielle du Prix est de tout faire en sorte que nous puissions éclairer les consciences autour des jeunes, des collégiens, des lycéens. Nous essayons avec la communauté éducative, de leur ouvrir les yeux sur le monde. Et puis attirer le grand public pour venir aussi chercher l’information la plus crédible auprès des grands reporters de guerre les plus légitimes . Pour nous, c’est ce qu’il y a de plus précieux : le rôle vraiment déterminant du Prix Bayeux dns l’exercice de la démocratie. C’est vraiment un outil indispensable aujourd’hui.
Alain Mingam Revenant justement sur l’évolution de cet outil, puisque j’ai eu la chance d’y participer dès la première année, quels sont les avantages que vous avez su donner au prix pour pouvoir justement maintenir cette exigence de qualité qui fait la référence aujourd’hui nationale, régionale et internationale de Bayeux ? Les raisons essentielles de ce succès ?
Patrick Gomont : La volonté de l’équipe organisatrice de pérenniser l’événement . Jean- Léonce a dû te le dire, quand il s’est vu confier l’organisation du prix, le maire de l’époque était plutôt contre. Mais Le prix s’est ancré dans la ville et d’année en année, chaque équipe a apporté sa pierre à l’édifice. C’était assez confidentiel, assez normal, puisqu’on ne savait pas du tout où on mettait les pieds, ce qu’on allait faire précisément. L’enjeu pour nous, c’était de démocratiser le prix, de l’ouvrir. Il fallait que les bayeusins n’aient pas l’impression d’un « entre soi » qui eût été fatal.
Alain Mingam 1: D’ailleurs si je me souviens bien, puisqu’à l’époque c’est bien toi qui a pris l’initiative, je crois, de sélectionner chaque année 100 électeurs et électrices pour venir constituer le jury du Prix grand public.
Patrick Gomont : Oui ce jury a été essentiel parce que c’était encore une fois primordial que le public soit associé. Et la mise en place d’un chapiteau, a été un élément clé. C’est fou, parce qu’il suffit de louer une tente, et ça marche. Mais c’était vraiment vital pour le Prix, parce que la ville a changé de jauge, pour tout de suite accueillir huit cent personnes. C’était formidable. Avec tous ces rendez-vous qui ont permis de booster le prix auprès du grand public, en fidélisant aussi un certain nombre de grands reporters.
Alain Mingam : Parmi, justement, le palmarès de ces trente années années avec des moments extrêmement forts, quels sont les plus émouvants ? Par rapport à la qualité, d’une part, des reportages, bien évidemment, et puis, dans la révélation exceptionnelle du métier de grand reporter de guerre. Qu’est-ce quels sont les événements qui t’ont le plus marqué, pendant ces 30 années ?
Patrick Gomont : Il y a eu beaucoup d’événements marquants. C’’était très émouvant. Avec des témoignages qui sont toujours très forts permettant de mieux saisir, l’évolution aussi du métier et du danger, pour lutter contre le non-respect des grands reporters. Claire, et moi avons vécu des rendez-vous qui ont été très forts comme les expositions dans la ville. C’était un pari risqué, politiquement, localement, au sens noble de la politique locale. Car mettre des panneaux de douze mètres carrés avec des photos de guerre était un véritable défi pour interpeller, éveiller les consciences, aller vers celles et ceux qui ne viennent pas dans les lieux fermés des expositions. Une façon de leur dire « venez voir » . Nous sommes allés les percuter, et cette démarche a été très bien perçue. Et « Guerre ici » l’exposition de Patrick Chauvel mêlant réalité et fiction -avec photos de snipers près de la Cathédrale, puis à l’intérieur celle de Laurent Van der Stock. Des photos de guerre dans un lieu de culte. A Bayeux, on n’avait jamais vu ça. Dans le cadre de la 21e édition du Prix des correspondants de guerre à Bayeux, les photographies de Laurent Van der Stockt ont investi l’intérieur de la cathédrale et ses murs gothiques. Baptisée « 200 000 syriens », ces portraits en grand format racontaient l’horreur du drame syrien magique, incroyable.
Alain Mingam: Percuter est-ce vraiment indispensable face au dilemme de faire venir le public le plus large possible face à l’horreur du monde dont, aujourd’hui, nous trouvons une dramatisation nouvelle à travers ce qui se passe en Palestine et en Israël. ? Et ce dans le choix des photos pour monter ce défi, aucune intervention d’une manière ou d’une autre sur les premiers choix de photos ? Était -ce la seule responsabilité de Magali et Aurélie le choix déterminant ?
Patrick Gomont : Dans les comités de pilotage, nous sommes plusieurs. Aurélie, à l’époque Magali et Aurélie aujourd’hui, nous fait des propositions, bien évidemment, et le comité de pilotage échange et valide. Je ne suis pas là pour censurer. Si l’image est trop violente, nous l’évoquons mais non, je pense que c’est vraiment un travail d’équipe. Et à mon avis, c’est la meilleure façon pour que le prix continue après moi.
Alain Mingam: Comment est née « Regards de 15 ans » quelle que soit l’écriture journalistique- photo -texte ou vidéo -, pour drainer , attirer vers vous, les jeunes ? .
Patrick Gomont : Oui, c’est pour nous très important , et moi, je reprends toujours une phrase que tu avais prononcée: « Le Prix Bayeux doit faire de nous des ambassadeurs de paix. »il faut en sorte qu’on ouvre les yeux de ces générations qui demain vont voter dans le cadre de l’Union européenne. Il faut qu’elles ne passent pas à côté de l’information et à cet effet , je pense que le prix Bayeux est un moment incontournable. Même si c’est dur, mais au moins, nous avons la certitude, que pendant une semaine, avec les équipes pédagogiques, les jeunes auront réfléchi sur ces thématiques de conflit. Ça devient pour moi incontournable.
A.Mingam: Albert Camus, l’a souligné « le futur est un présent, que nous fait le passé » Et je trouve cette phrase admirable, très pertinente. Crois-tu qu’aujourd’hui, les expositions de Bayeux constituent le futur qui va demain, s’ancrer dans les mémoires des citoyens du monde que nous sommes à l’heure du village numérique qu’est devenue notre planète? Une évidence pour toi ?
Patrick Gomont : Oui, pour moi, c’est très important, car c’est un sujet vraiment primordial de préserver ces fonds documentaires. Pour toujours nous rappeler effectivement que rien n’est acquis. Et nous servir plutôt de notre passé pour essayer d’anticiper l’avenir car on a le sentiment, malgré tout que l’homme ne se sert pas assez souvent de son histoire, et pas toujours en bien.
Alain Mingam : Est -elle toujours présente en toi l’émotion provoquée, par le profond dilemme professionnel qui avait été très riche en polémiques , à-propos des décapitations de Racca,- reportage d’d’Emin Ozem ,qui avait été primé par le grand public et rejeté par le jury professionnel auquel j’appartenais. ?
Patrick Gomont : Oui, cela est vrai : que ce fût un moment particulièrement intense avec beaucoup de questions, de questionnement. Mais cela étant, je pense que pour nous tous, organisateur, membre du jury et reporter, il est bien aussi de voir quel est le regard du public et sa réaction. C’est une particularité, qui est aussi la force du Prix Bayeux. Entre désaccords ou réserves et c’est normal. Mais je pense que, pour vous, la force du prix, c’est la richesse de ces échanges.
Alain Mingam: Paris-Match avait alors publié ce reportage avec un édito de son directeur – feu Olivier Royant , soulignant : « qu’il fallait tout montrer » .En tant que maire de Bayeux, penses -tu qu’aujourd’hui plus que jamais, face à la réalité du Monde, il faut la montrer dans toutes ses horreurs?
Patick Gomont: Oui, moi, je pense qu’il le faut. il faut montrer les choses après, tout en étant vigilant, par exemple envers les collégiens en premier lieu. On prend soin de leur sensibilité outre mesure. Un peu moins avec les lycéens, puisqu’on peut leur soumettre tous les reportages télévision. Je ne sais pas si le mot, soft et est vraiment indiqué quand on parle de conflit, de guerre, mais d’autres le sont moins. L’Exposition aujourd’hui sur l’Ukraine, au sein de l’ancien Commissariat de police municipale ‘est terrible. Oui, mais ça fait partie de la guerre, de l’horreur du monde. Et c’est aussi important, malgré tout, qu’il y ait des gens qui en prennent conscience.
Alain Mingam: En tant que maire de Bayeux, fort de ces 30 années de succès du Prix Bayeux , es-tu convaincu de la vigilance pédagogique ,reposant sur l’opportunité de vouloir tout montrer à la jeunesse, dans un contexte qui le justifie, car fait par des professionnels les plus légitimes qui soient .
Patrick Gomont: Oui, car , effectivement, je fais partie du Comité de pilotage, de ceux qui vont « trancher ». Car l’idée ‘est, pour nous, au sein de ce comité, de tout entendre. S’il y a débat ce n’est jamais inintéressant.
Alain Mingam : Est-ce que tu as eu conscience, aujourd’hui, très évidente, de ce que le Prix Bayeux instaure comme participation de la jeunesse? Tu as évoqué tout à l’heure la nécessité du décryptage que ce soit, comme ici avec Ouest France, Le renouvellement générationnel ne se fait pas. Les jeunes sont partout comme sur tic toc, mais ils n’achètent pas, ne lisent pas. Est-ce que là-dessus, par exemple, avec les instances éditoriales d’Ouest- France ou autres, vous avez des discussions, ou est-ce qu’il y a des volontés réciproques de faire en sorte que, à travers les Retours des quinze ans », vous entretenez ce défi ?
Patrick Gomont : Oui, oui, c’est un véritable défi. Oui, parce qu’il y avait hier en tout début d’après-midi, les rencontres Ouest -France, le HCR, et sur chaque siège, il y avait un petit marque-page de ouest France, avec un cover- code et une incitation à l’abonnement pour rien, quasiment. Oui, c’est une façon de se dire : il faut amener des jeunes à cela, et puis, organisé par un journal, qui plus est quotidien, pour oublier les anti-papier et les convaincre de la validité de l’information sur le net. Et qu’avec l’aide du prix ils puissent ‘s’intéresser à l’actualité. Et faire en sorte que de quelques-uns ils deviennent le plus grand nombre. C’est aussi la mission qu’on peut avoir pour le prix Bayeux, Ce serait un rêve !
Alain Mingam:. Fort de ce succès, est-ce qu’aujourd’hui y-a-t-il toujours la volonté de faire l’itinérance européenne du Prix qui n’avait pas abouti à une époque. Puisque la réussite est plus que jamais là ?
Patrick Gomont : Oui, ce, n’est pas facile pour nous, parce que nous sommes quand même sur une petite ville de moins de quatorze mille habitants. Que le Prix, est déjà un événement sur le plan budgétaire et conséquent. Que tous ces tous ces axes de développement nous demandent des moyens qui, ces dernières années, nous ont fait un peu défaut. Avec la même petite équipe.
De temps en temps, on essaye toujours, encore récemment. Juste avant le covid, on avait une délégation d’Inde qui était venu. Nous avons réussi à faire circuler une expo aussi chez eux. Mais c’est vrai que c’est un chantier qui peut être passionnant, même essentiel, mais qui est difficile pour nous.
Alain Mingam: Est-ce que, justement, n’est-ce pas une forme d’urgence – du fait des profondes inquiétudes sociétales autant que géopolitiques qui traversent notre époque et toutes les opinions publiques – peut être que le mot est excessif. Mais est-ce que, du fait justement de cette inquiétude qui traverse toutes les opinions publiques, le Prix Bayeux ne pourrait-il pas étendre l’ influence bénéfique qui est la sienne , pour devenir un exemple de solidarité et de vigilance exemplaire ! N’est -ce pas aussi le défi naturel qui va s’imposer à vous ?
Patrick Gomont: Si si, si, c’est une préoccupation qui ne se voit pas. Déjà depuis quelques années, au niveau de l’Europe on travaille sur l’idée d’un lieu qui puisse servir le prix Bayeux tout au long de l’année. Nous voulons nous faire financer avec des fonds européens pour faire en sorte qu’effectivement tout ce travail fait sur la liberté de la presse, la liberté, la démocratie soit reconnue au niveau européen. Nous avons quelques pistes intéressantes dans l’espoir qu’à un moment donné, cela puisse « payer ». Mais je pense que le Prix, est un travail long, et malgré la continuité du soutien chez les élus, dans l’Équipe organisatrice, pour faire en sorte que, d’année en année, nous progressons et nous mettons encore une pierre supplémentaire à l’édifice mais c’est un travail de fou.
Dernière révision le 4 novembre 2024 à 9:26 am GMT+0100 par la rédaction
- Marion Mertens
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