Correspondance de Budapest
Le ministre de la Culture du gouvernement de Viktor Orban a licencié le directeur du musée national hongrois qui n’a pas voulu interdire aux moins de 18 ans l’exposition du World Press Photo 2023 comprenant un reportage photo sur une communauté homosexuelle à Manille.
Au pays du premier ministre hongrois Viktor Orban, mieux vaut obéir et marcher droit. Lundi 5 novembre, le ministre de la Culture et de l’Innovation János Csák a limogé László L. Simon, le directeur général du Musée national hongrois sous le motif “qu’il a fait preuve d’un comportement qui rendait impossible le maintien de son emploi ». En clair, László L. Simon n’a pas respecté la décision de son ministre de tutelle d’interdire l’exposition photo du “World Press Photo“ (WPP) 2023 aux visiteurs de moins de dix-huit ans qui, selon le ministère, violait la loi sur la protection des familles. En cause: un reportage photo sur une communauté gay à Manille (Philippines) – les Golden Gays – primé par le jury du WPP. (voir le papier paru dans l’édition de la semaine dernière). Cette loi votée en juin est censée protéger l’enfance contre les contenus pédophiles. Mais, elle est surtout dirigée contre les associations LGBTQI que le gouvernement Orban et ses alliés d’extrême-droite combattent sans répit.
Ainsi, mi-octobre, Dóra Dúró, députée et vice-présidente du mouvement Mi Hazánk (« Notre patrie »), parti politique hongrois d’extrême droite homophobe, anti-tsigane et antisémite avait demandé au ministre de la Culture de vérifier si le contenu de l’exposition était conforme à la loi. En septembre 2020, cette députée s’était déjà illustrée en déchirant publiquement un petit livre de contes inclusifs qualifié de “propagande homosexuelle”. A peine saisi au sujet de l’exposition, le ministre lui avait donné raison et demandé au directeur du Musée national de renforcer les contrôles en n’autorisant l’entrée au musée qu’aux personnes âgées de plus de dix-huit ans.
Sur sa page Facebook, László L. Simon avait répondu dans un long communiqué que « le Musée national ne peut pas légalement donner suite à la demande de János Csák, car il ne peut pas demander la carte d’identité de quiconque » même si, écrit-il, les instructions du ministère ont été suivies avec l’accrochage d’un panneau « interdit aux moins de 18 ans ». Au passage, il remercie la députée Dóra Dúró pour la publicité faite à l’exposition. En effet, durant tout le week-end du 5 novembre (dernier jour de l’exposition), des centaines de personnes s’y sont précipitées en formant de longues files d’attente devant le musée. La députée n’a pas apprécié cette ironie et a accusé le directeur du musée de “se moquer du gouvernement“.
Dans son communiqué, László L. Simon qui fut, il y a quelques années, député du Fidesz, le parti de Viktor Orban, et secrétaire d’Etat dans son gouvernement, explique que s’il “reconnait“ la décision de son licenciement, il “ne peut l’accepter“. Il poursuit: “En présentant les images de l’exposition World Press Photo, le musée n’a intentionnellement violé aucune loi (…) Le Musée national hongrois est un espace intellectuel et culturel autonome. Dans nos expositions doivent apparaître des images sur les guerres, les mouvements politiques et même sur les déviances dans le monde. Quiconque ne comprend pas ce qu’il faut faire au Musée national n’est pas conscient de la mission des musées historiques ». Plus personnel, il affirme: “En tant que père et grand-parent de quatre enfants, je rejette fermement que nos enfants soient protégés par moi ou par l’institution que je dirige”.
Interpellée au Parlement sur cette affaire par l’opposition affirmant que « désormais, János Csák est officiellement le ministre chargé de la liquidation de la culture », Dóra Dúró, droite dans ses bottes, a estimé que « le problème n’était pas que quelqu’un photographie des homosexuels, mais que cela soit exposé dans une collection publique ». Selon elle, « cette exposition était de la propagande ». En début de semaine, plusieurs médias hongrois rappelaient que l’exposition avait été inaugurée par Balázs Orbán, le directeur politique de Viktor Orban, qui n’avait rien trouvé à redire sur les photos. Il avait même déclaré que « c’est un honneur et un plaisir que l’exposition visite Budapest ».
Dans un entretien au quotidien hongrois Népszava, Joumana El Zein Khoury, directrice générale du World Press Photo, déclare « avoir été choquée » d’apprendre cette décision. « Il n’y a rien d’explicite ou d’offensant dans ces images. Cette série de photos est un enregistrement réfléchi et honnête de la vie d’une communauté LGBTQI+ âgée aux Philippines », poursuit-elle en invitant les Hongrois à venir visionner les images sur le site du WWP.Dernière révision le 12 mars 2024 à 10:42 am GMT+0100 par la rédaction
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