Dans l’ombre portée de la célèbre Cathédrale de Bayeux, Il est aussi un autre monument en chair et en os, qui n’a jamais été ni de marbre ni de pierre devant les atrocités des guerres, révélées, exposées sur les murs de sa ville.
Car Jean -Léonce Dupont – dévoué corps et âme à la politique- est le père Fondateur du Prix Bayeux depuis sa fonction de 1er adjoint en 1994 à la Mairie de Bayeux*. En effet il n’est pas un ou une journaliste qui n’ait jamais estimé le Prix – avant tout comme « une famille de cœur et d’esprit » à la rencontre du plus large et fidèle public qui soit.
Aujourd’hui Président du Conseil départemental du Calvados – au terme d’un parcours très détaillé dans l’interview ci-jointe – Jean-Léonce Dupont ne cache pas ses mots. « 30 ans déjà, c’est peu de dire que je suis partagé entre une réelle fierté et une profonde tristesse. Que dire quand on ressent cette ambivalence à vouloir raconter cette extraordinaire aventure du Prix et en même temps réaliser la petitesse des mots, le côté limité de nos initiatives devant les drames qui se déroulent sous nos yeux ». Avec la complicité de son successeur et ami Patrick Gomont à la tête de la municipalité, Jean-Léonce Dupont, avocat permanent de la liberté de la presse, a toujours fait du Prix le devoir « d’ un hommage à la liberté et à la démocratie » pour «éveiller les consciences -permettre une meilleure connaissance de notre monde contemporain en particulier auprès des jeunes ». Cette année 16 943 jeunes ont profité de l’opération « Regards de 15 ans » désormais annuelle depuis 2009 pour voter sur les choix des reportages et images préférés.
Les tragiques évènements qui se déroulent en Israël, en Palestine étaient déjà très présents à Bayeux, au cœur même du Prix et dans les propos très chargés d’émotion du Président Jean -Léonce Dupont « Je partage l’idée que la barbarie est une blessure à l’humanité tout entière et j’ai envie de dire « Je hais la haine Une évidence à faire circuler d’urgence !
Verbatim de l’interview
Alain Mingam : Jean Léonce bonjour merci à toi de te présenter à nouveau, pour arriver à cette éminente fonction qui est la tienne aujourd’hui :celle de Président du Conseil Départemental du Calvados.
Jean-Léonce Dupont : J’ai été élu la première fois comme conseiller municipal de Bayeux en 1977 pour suivre ensuite un cheminement laborieux de septième adjoint, deuxième adjoint, premier adjoint, Président, fondateur de l’Intercommunalité de Bayeux aujourd’hui « Bayeuxintercom », maire d’abord puis conseiller général, sénateur, puis vice-président du Sénat, Questeur du Sénat, Vice-Président du Conseil Départemental du Calvados et Président .
Alain Mingam : Dès le départ, lorsque tu as été élu maire de Bayeux, tu as été sollicité par une Agence en communication politique dirigée par Danielle Breda-Louis . Citons la pour lui rendre l’idée d’un projet qui avait été déjà refusé par la ville de Caen si ma mémoire est bonne ?
Jean-Léonce DUPONT / Je ne suis pas alors maire de Bayeux, mais premier- adjoint à la mairie de Bayeux, dont le maire est Jean Le Carpentier. Effectivement, le cabinet de communication Danielle Breda Louis – dans le cadre du cinquantième anniversaire du débarquement, lance l’idée d’un Prix des correspondants guerre et va trouver plusieurs interlocuteurs, dont le Mémorial de Caen, qui ne se déclare pas intéressé.
Le maire, Jean Le Carpentier, me prie de prendre contact : « Écoutez, je ne suis pas sûr que ce soit intéressant, mais recevez la personne, parce que s’il y a quelque chose à faire, c’est à vous de me le dire ». Je reçois Daniel Breda Louis. Car je suis déjà depuis six mois, un an, à réfléchir sur l’après -cinquantième anniversaire du débarquement. Je suis dans l’idée, et me trompe d’ailleurs, que le cinquantième sera un point d’orgue et qu’une réflexion s’impose sur l’après. Pourquoi dis-je que je me trompe ? Parce qu’en réalité, nous avons eu des vétérans et nous aurons les derniers au moment du quatre- vingtième anniversaire.
Nous sommes juste avant le cinquantième, que faire après ? Pour maintenir un flux de visiteurs absolument considérable, nord-américains, anglais et australiens entre autres . Et je fais des appels à idées. Parfois abracadabrantesques du style réorganiser des scènes de débarquement sur les plages avec, des jeeps et des écrans de fumée. On me parle de création, en réalité ce ne sont que des fonds documentaires avec toutes les vidéos existantes. Puis arrive cette idée de Prix de correspondants de guerre. Je rencontre la personne et me dis qu’il y a quelque chose, effectivement à faire, Mais il me parait évident que Bayeux doit accueillir et devenir le PRIX BAYEUX des CORRESPONDANTS de GUERRE. Et j’insiste sur cette légitimité, pour défendre l’idée d’un combat permanent pour la défense de la démocratie et de la liberté. Ce qui justifie le sous-titre du Prix Bayeux comme hommage à la démocratie et la liberté. Nous avons un Mémorial de la paix à Caen, mais c’est plus cohérent à Bayeux d’avoir l’opiniâtreté d’une sauvegarde de la démocratie, au travers de la liberté de la presse et du respect des reporters. Et c’est plus que légitime.
Parce que, Bayeux est la 1ére ville de métropole libérée le 7 juin 1944, parce que nous sommes à quelques kilomètres des plages de la liberté, mais surtout parce le général de Gaulle vient faire son 1er discours sur le sol de France à Bayeux. Une autre raison lorsqu’il quitte le pouvoir, il réfléchit déjà à ce que sera la Vième République, c’est-à-dire la démocratie contemporaine de la France. Et il vient à Bayeux parce que, pour lui, c’est l’endroit où, arrivé en juin 44, il considère que le soutien de la population a fait de son combat légitime un combat légal. Très frappé par ce soutien populaire et, plus que symbolique le Général de Gaulle il y fait donc le fameux discours de Bayeux qui, est à l’origine évidemment, de nos institutions actuelles. Je pense aussi à la proximité de Tocqueville – dans le Cotentin – sur le thème des libertés, tant, naturellement, c’est la tapisserie de Bayeux qui est un des premiers grands reportages de guerre, avec la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant. Et quand je dis un hommage à la démocratie, à la liberté, j’ai la faiblesse de penser que, peut-être qu’un jour il n’y aura plus de combats, il n’y aura plus de guerres.
Alain Mingam : Et ce qui, aujourd’hui, est tout à fait démenti par à la fois la guerre en Ukraine, en Israël et en Palestine. Une simple question : cet hommage à la liberté, à la démocratie, n’avait-il pas aussi le souci d’assurer un renouvellement de génération, puisque le cinquantième, c’était la fin d’une époque. ?
Jean-Léonce Dupont : Tout à fait ,l’idée était sur ce thème. Parce que le débarquement, c’est la libération du continent européen du totalitarisme et la mise en place d’une démocratie. On part de cet événement historique pour légitimer les références au passé et naturellement, pour coller à l’actualité et travailler pour les générations à venir. Et quand je dis que j’avais, avec une grande naïveté l’idée de penser, qu’un jour, peut-être, il n’y aurait plus de guerres, dans le même temps, je me disais : même s’il n’y a plus de guerre, je pense qu’il faudra quand même toujours se battre pour la démocratie.
Alain Mingam : Est-ce que, lors de la création du prix, je m’en souviens, dès la première année, peut-on dire que la mairie de Bayeux, puissance d’accueil , avec la légitimité que tu viens de rappeler, a bénéficié d’une intervention directe sur le contenu du prix, sur la manière de le gérer dès le départ ?
Jean- Léonce Dupont : Oui, quelque part, c’est-à-dire que nous créons un prix, mais qui se décline en un prix reportage presse écrite, un prix reportage télévision, un prix radio, un prix photo dans les premiers jurys, durant quelques années. Les premiers jurys étaient constitués d’une population mixte, à la fois de professionnels, de correspondants et de quelques personnalités. Je ne sais plus te dire combien d’année ce format a duré. Jusqu’au moment où on s’est dit non, objectivement, c’est une affaire de professionnels qu’il faut laisser aux professionnels.
Alain Mingam : Avec une excellente idée qui en témoigne. C’est le prix « Grand public », c’est-à-dire qui met face-à-face les professionnels et le public réuni le samedi matin à la « Halle ô Grains ». Pourquoi uniquement sur la série Photos ?
Jean-Léonce Dupont :La photo ça va, ça vient, je crois, au bout de la troisième année. Mais en réalité dès le premier prix, nous l’avions espéré et nous n’avions pas réussi., Nous avions essayé d’y associer les scolaires et j’avais pris contact avec les établissements bayeusains et, pour tout dire, j’ai eu un refus comme quoi, c’était une opération de récupération. Et puis, la deuxième année, j’ai un lycée qui participe, qui trouve que c’est extraordinaire, que c’est un matériau pédagogique à maintenir, et qui, naturellement, fait passer le message. Dès lors, je peux y associer d’abord l’ensemble des lycées de Bayeux puis élargir. On en reparlera peut-être tout à l’heure sur un vrai axe pédagogique, en lien avec toute la communauté éducative. Et je le raconte, parce que les deux premières éditions du prix sont quand même en cercle restreint.
C’est un hommage aux journalistes correspondants de guerre, avec principalement des confrères et consœurs qui décident de l’attribution des prix. La réputation grandit, « transpire » un peu à l’extérieur, provoque des demandes, petit à petit, qui viennent de tous horizons en nous disant : ça a l’air très intéressant, est-ce qu’on ne pourrait pas y être associé ? Ainsi naît à partir de la troisième année, un prix spécial, qui est le prix du Grand public, sachant que, même au-delà de quelques personnes intéressées, il a nous a stimulé une large audience, et dès le départ un certain nombre de gens à venir. Aujourd’hui, dans un contexte très différent, notre problème c’est plutôt de maîtriser un trop grand nombre de personnes qui souhaitent participer.*
Alain Mingam : Je me souviens d’autant plus que, c’est suite à une discussion avec toi et Patrick, que je propose l’apport de l’AFD – (l’Agence Française de Développement) pour soutenir effectivement le Prix Grand Public. C’était parce que vous en aviez aussi besoin, pour soulager les financements de la mairie, puissante invitante. Ne faut-il pas élargir les contributions budgétaires dans le besoin qui est aussi lié à tes différentes fonctions ?
Jean-Léonce DUPONT : En effet, nous subventionnons un peu au départ au titre, du Département, et bénéficions aussi d’une subvention de la Région. Ce qu’il faut aussi comprendre, je crois qu’on peut le dire aujourd’hui avec recul, avec sourire. Il y avait peu de personnes convaincues, y compris en interne, dans la ville de Bayeux. Hormis un service animé par une directrice qui était complètement volontaire et avec laquelle on a monté le PRIX .L’ensemble des autres services, le secrétariat général, les autres élus, se disaient : c’est un épiphénomène.
Alain Mingam : Ils ne se sentaient pas concernés ?
Jean-Léonce Dupont : Ils n’avaient pas envisagé, en réalité, quelle dimension pouvait prendre le Prix. C’était un événement du 50ième anniversaire point barre. La première édition se passe bien, parce qu’on utilise évidemment le 50iéme pour booster le Prix dès la première année, à un niveau international, avec des participants qui viennent d’Amérique du Nord, d’Angleterre, d’Australie. Et se pose alors le problème des langues et de la capacité d’intégrer l’ensemble des reportages. Ce qui nous amènera à la rédaction d’un règlement intérieur pour pouvoir analyser et juger le plus objectivement possible. Mais, globalement, l’événement se passe très bien et beaucoup pense qu’on va en rester là.
Et c’est vraiment la petite histoire. Mais le maire de l’époque, du fait de sa dernière année de mandat se pose la question de décider si nous continuons ou pas. Il est plutôt pour l’idée que c’est très bien de l’avoir fait pour le 50ième, puis on arrête là ». Mais il faut voter des crédits pour éventuellement passer à la deuxième édition. Et c’est un vrai sujet car le Prix a failli vraiment passer à la trappe, totalement capoter. J’ai essayé d’être convaincant et finalement, avec succès, puisque le maire accepte de renouveler les crédits. Et au moment de la deuxième édition, je suis devenu maire. J’ai donc pu agir avec la conviction qu’on pouvait pérenniser le Prix et entreprendre ce qu’on avait vraiment imaginé depuis le départ, c’est-à-dire quelque chose dans la durée. Car dès la première édition, nous avions pensé à un jour construire un mémorial des reporters, ce que Patrick Gomont a très bien mené à terme bien des années après.
Alain Mingam : Lorsque Patrick t’a donc succédé à la mairie, six ans plus tard, est -il logique de souligner que le Mémorial de Bayeux, en partenariat avec RSF a été le fait de ton initiative pleinement soutenue par l’adhésion du nouveau maire qu’est Patrick Gomont ?.
Jean-LéonceDUPONT : Patrick, a toujours totalement intégré l’importance et la dimension du Prix à poursuivre, je le dis très honnêtement, dans tous les aspects d’un développement continu. Le programme du premier prix, il tenait sur un 21x,29,7. Aujourd’hui, le programme du prix, c’est un catalogue de 35 pages. Bien sûr, nous avons innové. C’est assez passionnant, parce qu’en réalité, pendant toutes ces années, à chaque édition, on se dit : « là on est à un sommet, difficile de faire mieux ». Et en réalité, du fait aussi de l’apport extérieur de journalistes qui participent au prix et qui donnent des idées, au fil du temps, tu es bien placé pour le savoir, nous avons fait évoluer ce prix de façon absolument significative.
Alain Mingam : Assurément, avec un relatif échec, car nous l’avions à l’époque souvent entrevu, débattu. A savoir une itinérance européenne au-delà du constat de la participation de journalistes venus de toute l’Europe, l’itinérance européenne que tu avais souhaitée à Berlin, Rome ou Amsterdam…ne s’est pas faite. Pourquoi selon toi ?
Jean -Léonce Dupont : C’est vrai, dès le départ, il y a 4 idées : la première, il faut durer; la seconde, il faut agir vers et pour le grand public; la troisième, il faut créer quelque chose de spécifique pour les jeunes; la quatrième, il faut aller à l’internationalisation maximum d’intervenant(e)s qui viennent à eux pendant la semaine.
La durée c’est gagné, le grand public c’est gagné avec des dizaines de milliers de personnes qui vienne à Bayeux pendant la semaine. Avec une moyenne de 30 à 50 000. Et sur la dimension pédagogique, on a fait le prix des lycéens suivi « des classes -lycées », de la même manière qu’on peut avoir des « classes- montagnes », « des classe- neige », « des classes- mer », nous créons des « Classes Prix Bayeux » avec des jeunes qui viennent pendant plusieurs jours utiliser tous les matériaux du Prix : les rencontres avec le salon du livre, les soirées thématiques, les expos, matériaux absolument extraordinaires. On a mis sur pied, quinze ans après, lors du quinzième anniversaire, le « Regard desjeunes de quinze ans » pour les collégiens gagnant du « Prix des regards de quinze ans », car c’est seize mille collégiens qui ont participé au Prix en votant de façon numérique. Et là, sur ce « Regard des jeunes de quinze ans », nous avons une internationalisation réussie. On a une soixantaine de départements français de métropole et d’outre-mer qui ont participé et nous avons aussi une bonne dizaine de pays, qui participent, de l’Allemagne à la Tunisie, au Maroc, et qui font voter des jeunes de quinze ans pour la photo qui représente à leur yeux le symbole de l’année passée. C’est l’avantage’ internet, qui permet une véritable internationalisation.
Alain Mingam : Sans léger déficit dans la communication ? Car on n’a pas toujours entendu parler de cette formidable mise en valeur du « Regard des quinze ans », non ?
Jean-Léonce Dupont : On l’a lancé au moment du quinzième anniversaire, il y a quinze ans. 15 ans après nous sommes donc la célébration analogique du « Regard des jeunes de quinze ans. Nous étions à quelques centaines la première année, car comme toujours, on part du territoire de Bayeux. Au départ, on mobilise les collégiens de Bayeux, ensuite on passe au département, puis à la Normandie, et ensuite à la France entière et à l’étranger. Nous sommes passés de quatre cents à seize mille. C’est formidable, assez extraordinaire.
Alain Mingam : Un constat important qui est le décryptage de l’actualité parce que c’est l’aboutissement du Prix. La guerre est toujours sale, horrible, quelles que soient ces raisons, comme l’évoquent vos discours de Patrick et toi et ceux des intervenant(e)s? Quel est le sens premier que tu donnes aujourd’hui au succès et à la réussite du Prix ? Une vocation civique ?
Jean -Léonce DUPONT : Oui, Je pense vraiment que le Prix est l’idée même de donner des clés de compréhension sur la dureté du monde- parfois très cruel- dans lequel nous vivons. Nous le ressentons très fort au travers de toutes les actions pédagogiques dont je parlais et au travers, de tous les témoignages qu’on a du public ici à Bayeux, pendant le moment du Prix. C’est une volonté de savoir, de comprendre et d’échanger, de rencontrer. Parce que je crois que le Prix, en tout cas pour moi, est le succès, d’une osmose réelle entre les journalistes, reporters de guerre, et le grand public.
Parce que, me semble-t-il, l’atmosphère de simplicité, pour ne pas dire d’humilité, qui règne n’est pas du tout « paillettes ». C’est une rencontre directe, dans les deux sens que j’ai à la fois du public et des jeunes, qui sont « hyper contents ». Et les témoignages des journalistes qui me disent : il y a ceux qu’on rencontre en direct, les personnes avec qui on peut échanger de cette manière spontanée ou lors, des soirées thématiques, malgré un confort sommaire, sur des sièges pas très confortables. On voit même des gens rester trois heures voir et entendre les tenants et aboutissants d’une grave actualité. Un confiné de considérations la fois géopolitiques, humaines, qui fait dire à tous les professionnels présents : il n’y a qu’à Bayeux qu’on arrive à avoir 1500 personnes sur une thématique aussi difficile, pour rester aussi longtemps et écouter avec autant de passion.
Alain Mingam : Mais quand quelqu’un me dit : « tu vas au festival de Bayeux ?» je corrige immédiatement « On ne peut pas faire un festival de la guerre ». C’est le PRIX BAYEUX. Est-ce que, justement, lorsque vous décryptez une édition, vous soulignez les très rares imperfections autant que les évidents succès de la programmation menée de main de maître par Aurélie Vieil ?
Jean-Léonce Dupont : Oui on passe au crible toute l’organisation .de ce qui a été, de ce qui n’a pas marché, de ce qui est perfectible, et très honnêtement, je dois dire que l’organisation aujourd’hui est tellement poussée qu’il y a de plus en plus de difficulté à trouver ce qui ne va pas. Mais, je reste toujours en éveil. C’est parce que je crois énormément à la critique positive, avec la volonté d’améliorer l’ensemble Ce qui est extraordinairement important. Mais, très honnêtement, nous avons aujourd’hui une organisation, vraiment, tellement poussée ,extrêmement bien réglée. La contrepartie, c’est attention à ne pas tomber dans une certaine habitude.
Alain Mingam : L’habitude peut-elle être pour toi très contraignante, avoir un effet de désintérêt, de désaffection ?
Jean-Léonce Dupont: Non, l faut toujours garder capacité à surprendre, puisque dans le monde qui est le nôtre, si on est simplement dans la reproduction, un moment de lassitude peut sévir assez vite. Les thèmes, sont toujours en mouvement de toute façon. Nous avons eu la période afghane, la période yougoslave, serbe, nous sommes maintenant dans la période ukrainienne et depuis peu dans la période palestinienne. Mais à côté de ces conflits dominant nous avons également, toujours essayé de mettre en valeur, certaines guerres qu’on avait même pu, à un moment donné qualifier de guerres oubliées puisqu’il y a, une quarantaine de conflits, pratiquement en permanence sur notre terre.
Alain Mingam : Faire revenir dans l’actualité des conflits oubliés ou restés dans l’ombre portée des conflits majeurs c’était un impératif régalien pour vous ??Entre ce qu’était le Rwanda, un continent à la dérive et en 2005 la soirée débat -que j’avais intitulée « ShalomAleikoum – Aleikhoum Shalom : quels chemins vers la paix ?» Question revenue plus que jamais à l’ordre du jour. Aujourd’hui, à travers ce rappel le Prix assumait son rôle très révélateur de sentinelle. Les gens étaient ravis de voir qu’on n’oubliait rien de l’actualité du monde. Et quelle était la forme de vigie que vous aviez mise en place dans le cadre du comité de pilotage, Patrick et toi en tant que Président, pour faire en sorte, qu’il y ait toujours cette capacité de surprendre ?
Jean -Léonce Dupont : Il y a, j’insisterais quand même, pour moi et pour Patrick, un intérêt permanent -sur l’évidence de l‘actualité géopolitique qui nous fait choisir les sujets émergents. Mais il y a aussi les équipes qui travaillent sur le Prix, en contact pendant toute l’année avec les professionnels, pour nous « remonter » aussi un certain nombre de propositions Et c’est le comité de pilotage qui décide comme pour les expositions, le choix de l’affiche et du Président du Jury. C’est un travail commun, et jamais d’une seule ou de deux personnes. Patrick Gomont est maire depuis 20 ans et je crois l’avoir toujours accompagné pour n’avoir jamais manqué depuis 30 ans un comité de pilotage.
Alain Mingam : As-tu de ce point de vue-là, souvenir de moments extrêmement poignants ? A l’occasion d’un Prix, une anecdote gravée en ta mémoire ?
Jean -Léonce Dupont : Oui, oui. Au départ, quand on lance le prix, la remise des Prix avec le jury, se fait à l’occasion d’un dîner, non pas de gala, parce que ça serait prétentieux mais dans une salle commune. Nous sommes à table et le dîner est coupé de projections de scènes parfois d’horreur, de violence extraite des reportages primés. Le décalage est total, complet, Quand j’y pense aujourd’hui, je me dis que vraiment c’était une soirée de remise de prix vraiment trop décalée. Une autre fois circule à table un livre exceptionnel, qui porte bien son nom « Requiem » * en hommage aux photographes tués pendant la guerre du Vietnam et en Indochine.
Pour moi comme pour beaucoup de la majorité d’entre nous c’était une vision déplacée et une émotion trop intense renouvelée. Nous avons donc pris la décision de faire une soirée de remise des prix à part. : Et pour marquer ce changement notoire, nous vient l’idée de demander à Christine Ockrent de présider un jury. Elle accepte mais se décommande 15 jours avant. Jean-Paul Mari nous conseille de faire appel à Jean Daniel, qui fait de même. Émotions garanties, parce que tu te retrouves à quelques jours près dans une improvisation qui n’est pas tout à fait évidente.
Alain Mingam : Mais est-ce que, du point de vue du contenu, par rapport au comité de pilotage, aux membres du conseil municipal, des instances diverses que tu gérais, jamais le moindre soupçon de critique ? Toujours une adhésion totale au travail des reporters?
Jean -Léonce Dupont: De ce point de vue là, ça a toujours été un boulevard. Car dans mes fonctions de parlementaire, j’ai été amené à voyager dans un certain nombre de pays avec contacts assurés auprès des alliances françaises et ambassades. A chaque référence et -évocation du PRIX BAYEUX, l’intérêt était plus que manifeste immédiatement. Je ne dirais pas dans toutes les catégories, mais franchement, notre problème, c’est plus de trouver les moyens pour mettre en place que de mettre en place. Et il s’agit toujours de moyens humains et financiers supplémentaires. La limite du Prix aujourd’hui, ce sont les moyens humains et financiers.
Alain Mingam : Aujourd’hui, justement, quel est le budget de fonctionnement du PRIX ?? c’est une question incontournable.
Jean -Léonce Dupont : Il faut demander à Patrick. Moi. Ce que je peux te dire, c’est que le département amène cette année 150,000€ que la Région, fait certainement de même. Mais pour avoir un budget plus ample j’ai une franche conseillère départementale, qui est également mon binôme, qui s’investit beaucoup au niveau européen et assure une promotion du Prix, sur laquelle nous espérons des retours très positifs.
Alain Mingamq : D’autres émotions, très certainement ?
Jean -Léonce Dupont : On les revit très souvent, telle cette grande émotion toujours vivace. Au Mémorial la présence d’une femme, dont le compagnon journaliste vidéaste-sud-américain été assassiné et qui nous remercie très fortement, au bord des larmes car dit -elle « Il n’y a pas dans mon pays une culture de l’écrit et le seul endroit où le nom de mon compagnon est inscrit c’est ici ». Des moments très, très forts, aussi pendant les soirées de remise, des Prix comme avec Yannis Behrakis venu recevoir son 2ième Prix de la soirée : le « Prix Photo AFD Grand public ». Je me souviens encore de ton article * « Homme de cœur aussi reconnu que son talent il tient son trophée à la main et vient annoncer, par respect pour les Bayeusains et Bayeusaines, qu’il fait don du montant du Prix (3000€) à Médecins sans frontières » Il provoque une longue ovation de près de 10’ tout le public debout » Cela reste inoubliable. .
Je rebondis sur l’Internationalisation avec un atout pour ce faire dans le choix des Présidents de jury .Choix qui témoigne d’une ouverture permanente sur le monde , et sur l’Europe avec des personnalités différentes mais incontestables . .
Alain Mingam : Cette internationalisation fait aussi l’objet de revues de presse qui participent à la reconnaissance annuelle du Prix. La « couverture » médias te semble- t-elle suffisante avec le soutien très bénéfique du 2iéme Bureau ?
Jean Léonce Dupont : Oui, formidable, on a, on a une revue de presse sur les supports « papier », plus évidente que sur le numérique, Mais nous avons globalement une couverture -presse colossale. Cette année, c’est aussi deux à trois expositions par an avec la toute récente : celle de l’ensemble des15 photos primées par les « Regards des jeunes de 15 ans », sur les façades de l’Hôtel du Département et de la Préfecture à Caen comme sur les grilles du Sénat à Paris .
Alain Mingam : Aujourd’hui, du fait de l’actualité brûlante , saignante en Palestine et en Israël, n’est -ce- pas l’opportunité pour vous de provoquer, de créer « une escale » dans l’itinérance espérée du Prix à travers sa reconnaissance européenne ou mondiale? Avec un best off- dans les grandes villes intéressées ?
Jean-Léonce Dupont : A étudier .Parce que, dans mon idée initiale, , je m’étais dit :Un Prix à Bayeux très bien, et dès qu’il sera suffisamment développé ,reconnu , en réalité, il nous faudrait avoir un comité sur chaque continent qui fasse une 1ére sélection, et que BAYEUX soit uniquement la phase finale .Pour l’instant c’est non .Mais je pense qu’au niveau européen nous avons des choses à mener, sur l’Internationalisation comme dans toute la francophonie objectivement, , et nous mobiliser, à mon avis notamment sur le continent africain.
Alain Mingam : Tu as anticipé la question suivante. De la Guinée au Mali, en passant par le Niger les rapports conflictuels avec la France se multiplient. En application de la déontologie, très vivante ici, à Bayeux depuis toujours, n’est-ce pas l’occasion aussi d’aller vers l’Afrique, de faire en sorte que ce soit une prise en considération, sans préjugés, de ce qui se passe et faire de cette itinérance africaine, une forme, de nouvelle ouverture sur le monde pour le PRIXBAYEUX ? Sans ramener la France à la polémique qu’il y a avec Macron. Et le Prix ne peut-il pas jouer un rôle d’ambassadeur de paix, sinon de tolérance sans frontières aucunes ?
Jean -Léonce Dupont : En réalité, c’est très important mais cela pose une impérative, inexorable orientation de fond que, pour l’instant nous n’avons pas prise. Et en ce qui me concerne, que je n’ai jamais voulu prendre. Car nous sommes toujours sur la ligne prioritaire, générale des combats pour la défense de la démocratie et de la liberté, et la mise en valeur du rôle du journaliste – reporter de guerre, de la pédagogie et de la compréhension du monde. C’est la base. Mais pas d’action politique. Le champ est immense et il pourrait y avoir des déviations. Jamais, dans mes interventions lors des remises de Prix, à une seule ’exception près pour les Kurdes -qu’on a terriblement lâchés, c’est la seule fois ou j’ai mis une dimension géopolitique dans mes propos. Nos permanents objectifs sont de comprendre le monde en pleine mutation et le métier de journaliste, l’importance de la presse, en voie de fragilisation – face aux réseaux sociaux – aux fake news face, à des systèmes économiques et technologiques en pleine mutation. Le PRIXBAYEUX n’est pas un outil d’orientation politique. Ce n’est pas tout à fait son rôle, ou en tout cas pas sans les moyens d’assumer, c’est très clair. Le Prix tel qu’il existe chaque année, fait la démonstration, de d’abord privilégier la pédagogie sans jamais passer à côté du bruit et de la fureur du monde -pour porter toujours en lui la reconnaissance unanime qu’il mérite » Il faut aussi se rappeler que le PRIX a 30 ans. Cela veut donc dire qu’il y a moins d’années à venir, de participation que d’années passées. C’est clair, rester plutôt dans cette dimension-là, pour éviter de déraper.
AlainMingam : Dans le cadre du respect profond que génère le Prix Bayeux quelles perspectives dans un futur immédiat ?
Jean -Léonce Dupont : Rassembler tous les témoignages que nous avons constitués. Constituer un centre de données sur les différents supports papiers, photos, numériques, radios vidéo, de tous les conflits contemporains. Un travail d’archivage et de stockage, bien sûr. Ce que je voulais faire dès le départ. Pour toutes les universités, les Écoles et Instituts de journalisme et l’enseignement, qui a besoin d’avancer. J’aimerais qu’on ait des équipes vidéo- qui suivent tout le Prix, qui témoignent de la richesse des échanges, des rencontres avec le public , et scolaires pour prolonger les soirées qui sont transmises en direct .
Les gens nous disent que nous avons tous les moyens pour décider. Non, sur les soirées thématiques pas encore. Mais j’y crois, comme toujours. Nous n’avons aujourd’hui qu’une seule équipe vidéo qui « couvre » la soirée de remise des Prix retransmise d’ailleurs sur les réseaux .Mais je suis très confiant .
Alain Mingam : Grand merci Jean-Léonce pour clore toujours avec passion intacte cette itv sur la grande histoire du PRIX BAYEUX .Dernière révision le 4 novembre 2024 à 9:26 am GMT+0100 par la rédaction
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