Une femme apparaît, farouchement indépendante, discrète mais déterminée, mal connue de ses pairs, qu’elle a pourtant appréciés tout au long de sa vie et beaucoup soutenus.
On emploie souvent l’expression disparaître pour annoncer un décès. Mais chaque élément de la notice biographique d’Helen Marcus, morte le 1er octobre 2023 à New York à l’aube de ses 98 ans, dévoile, comme un tirage émergeant lentement du révélateur, le profil d’une personnalité hors du commun.
Sa carrière de photographe, passion ancienne exercée professionnellement dans sa maturité, lui a fait rencontrer des personnalités très diverses, célébrités et écrivains au nombre desquels Norman Mailer, Jerzy Kozinsky, Toni Morrison, Mary Higgins Clark, Tom Wolfe, qu’elle a immortalisés, essentiellement en noir et blanc, avec un soin particulier pour les lumières, suivant l’enseignement reçu de Philippe Halsman, qui travaillait pour le magazine Life.
Elle avait eu auparavant une première vie active de productrice associée, puis de productrice à part entière, de trois grandes émissions de jeux télévisés, fonction qu’elle a exercée de 1955 à 1974 avant de se laisser absorber complètement par la photographie.
Ses contributions de plus en plus régulières, portraits et photos de voyage, ont paru dans de nombreux magazines comme Time ou Forbes ainsi que dans le New York Times. Cette pratique l’a amenée à prendre fait et cause pour la défense des auteurs et du copyright en fondant en 1982 la section new-yorkaise de la société américaine des photographes de magazine (ASMP) et en assurant la présidence nationale de l’ASMP de 1985 à 1990, rare femme dans un milieu masculin.
Sam Roberts, journaliste du New York Times, rapporte dans sa nécrologie le mécontentement de Marcus à la lecture d’un article paru en 2008 dans le quotidien où il était question des couvertures de magazines talentueuses de George Lois, célèbre directeur artistique, sans jamais mentionner le nom de l’auteur des photographies utilisées. D’où une lettre ulcérée dans laquelle Marcus s’exclamait en substance : c’est comme parler des fresques de la Chapelle Sixtine en citant le Pape qui les a commandées mais pas le peintre qui les a réalisées !
Elle deviendra par la suite présidente du W. Eugene Smith Fund (1998 à 2009), la fondation créée en 1979 au nom du grand photographe américain, qui décerne chaque année une bourse en soutien à un projet photographique. La première lauréate de cette bourse en 1991, une femme, Jane Evelyn Atwood dont elle appréciait le travail, fut au centre de notre conversation, la seule fois où j’ai rencontré Marcus, à Paris, sous les ors baroques de l’hôtel Meurice où elle m’invita à partager un petit déjeuner.
Très francophile, elle ne cachait pas son plaisir d’être dans la capitale française. C’était en novembre 2011, elle avait 86 ans et en paraissait largement quinze de moins. Depuis nous avons échangé de temps en temps par email. Il n’était pas seulement question de photographie mais beaucoup de tennis, son autre grande passion. Elle ne manquait jamais un match du circuit à la télévision. Son dernier message date de mai dernier, juste avant Roland-Garros.
Curieuse de tout, elle fut parmi les premiers Américains à être officiellement invitée à voyager en Chine en 1979, aux lendemains de la Révolution culturelle. Certaines de ses photographies figurent dans les collections de l’International Center of Photography (ICP) à New York et de la National Portrait Gallery de Washington. Notamment celle de Toni Morrison que la Poste suèdoise a pris comme modèle pour le timbre destiné à honorer le prix Nobel de littérature 1993 de l’écrivaine africaine-américaine. « Probablement ma photographie la plus utilisée ! » remarquait souvent en riant Helen Marcus.
Dernière révision le 25 août 2024 à 5:39 pm GMT+0100 par la rédaction
- Helen Marcus
Une femme apparaît - 24 novembre 2023