Le jeudi 25 avril 1974, le temps est gris quand Lisbonne se réveille avec des automitrailleuses Panhard à chaque coin de rue. Dans les premières heures, le monde ne sait quoi penser de ce coup d’État militaire. Qui sont ces capitaines en tenue de combat coloniale ? Des fascistes comme au Chili quelques mois auparavant ? On découvre vite qu’ils mettent des œillets dans le canon de leurs fusils. Ce n’est pas un putsch mais la « Révolution des œillets », des œillets rouges !
Les photographes de Sygma, Gamma, Sipa se ruent à Lisbonne. Les premiers photographes arrivés sur place, les Henri Bureau, Jean-Claude Francolon, Gilles Peress sont vite rejoints par d’autres, Gérald Bloncourt, Jacques Haillot, Marie-Laure de Decker pour couvrir le grand meeting du 1er mai 1974. La fête du travail mais surtout celle de la liberté retrouvée. Et, l’été arrivant le Portugal devient l’endroit où il faut être.
Le photographe Alècio de Andrade, brésilien arrivé à Paris depuis déjà dix ans – les militaires d’extrême droite sont au pouvoir au Brésil – a un énorme avantage sur nombre de ses confrères : il parle le portugais. Et, il est envoyé par la prestigieuse agence Magnum Photos.
L’heure est à la révolution !
Une révolution qui se terminera par le vote de la nouvelle Constitution du pays deux ans plus tard. « D’aucuns évoquent alors une révolution imparfaite, sinon manquée. » écrit l’historien Yves Léonard qui ajoute :
« Comme souvent, le philosophe Eduardo Lourenço voit juste : « Une révolution, c’est peut-être cela. On ne sait pas où on va, mais on y va, poussé par des rêves plus puissants que nous. » Souligner cette part du rêve, c’est rappeler l’essentiel pour raconter l’histoire de la révolution des Œillets. »
Alècio de Andrade comprend parfaitement la situation. Il y a la langue qu’il maitrise, mais il saisit aussi les rêves car « c’était un rêveur » se souvient Pascal Frey alors commercial à l’agence Magnum Photo. Alècio n’est pas que photographe, c’est aussi un poète, un pianiste qui fréquente de nombreux artistes du continent sud-américain, et pas que. Il est ami avec l’écrivain Julio Cortázar qui lui fait rencontrer sa future compagne Patricia Newcomer aujourd’hui responsable de la valorisation de son œuvre.
Avec le même Julio Cortázar, il publiera « Paris ou la vocation de l’image » (1981) puis « Enfances » aux Editions Seuil (1986), texte de Françoise Dolto. Grâce à Patricia Newcomer, six ans après sa mort sortira le remarquable « Le Louvre et ses visiteurs » (2009) résultat de près de quarante ans de séjour au Musée, appareil en bandoulière. Un ouvrage indispensable dans toute bibllothèque d’amateur de photo !
Il y a quatre ans, par l’intermédiaire d’Anne Lima des Editions Chandeigne, Patricia Newcomer rencontre l’historien Yves Léonard, spécialiste de l’histoire contemporaine du Portugal. Ce dernier regarde les planches contact d’Alècio… Le Portugal qu’il y découvre l’émeut lui qui n’avait que treize ans à l’époque. Lycéen à Arago (Voir commentaire), un « bahut » parisien très politisé, il est marqué comme toute sa génération par la révolution portugaise. Il est l’auteur de nombreux livres sur le sujet.
« Lumière d’avril – Portugal 1974 » est un petit livre par le format, qui mérite de beaux achats en cette veille de festivités de fin d’année. Les éditions lusophones d’Anne Lima ont eut la bonne idée de le publier à petit prix 16€. Belle couverture, bonne main, comme on disait jadis en parlant de la prise en main des magazines. Un texte court, concis, précis accompagne parfaitement les photographies quasi inédites d’Alecio de Andrade. Relativement peu publiées à l’époque, ces photographies essentiellement en N&B, comme la majeure partie de la production de l’époque montre un Portugal oublié. Le Portugal d’un peuple pauvre, très rural qui aujourd’hui nous semble a des années lumières de notre époque. Et pourtant ! La quête de liberté est éternelle et ce témoignage fait revivre les rêves caressés par toute une génération qui a aujourd’hui les cheveux blancs.
Tous nos articles concernant la révolution des oeillets
LUMIÈRE D’AVRIL PORTUGAL 1974
Photographies d’Alècio de Andrade Texte d’Yves Léonard
Éditions Chandeigne 10, rue Tournefort – 75005 Paris
ISBN : 978-2-36732-251-3
Le site d’archive d’Alécio de AndradeDernière révision le 4 novembre 2024 à 9:26 am GMT+0100 par
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Nous avions fait deux erreurs en écrivant que Yves Léonard avait 16 ans en 1974 au lycée Henri IV. Avec ses remerciements pour l’article, il précise : « je n’avais que 13 ans en 1974 (je suis né en 1961) et j’étais alors au lycée Arago, place de la Nation à Paris, un lycée très politisé effectivement. Je ne suis entré au lycée Henri IV qu’en 1978, en classe préparatoire aux Grandes écoles (de 1978 à 1980) ». Avec nos exccuses
Nous avions écrit qu’Alècio de Andrade était réfugié à Paris. Patricia Newcomer nous précise : « Alécio n’était pas « réfugié ». Il est arrivé à Paris avec une bourse d’étude du gouvernement français pour l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC).Bien sûr, il était très marqué par le coup d’état militaire en avril 1964 dans son pays d’origine. » Avec nos excuses.