La disparition en ce début d’année 2024, de Michel Nouaillas un des vétéran du photojournalisme du siècle dernier, a plongé L’œil de l’info dans les archives pour remettre dans la lumière une de ces agences de presse photo éphémère, mais importante, l’Intercontinentale qui a donné naissance à l’AFP-PHOTO.
« L’Agence France Presse (AFP) crée en octobre1944 un service photo, AFP-PHOTO, en s’associant à un petit groupe de photographe indépendants (Georges Mélamed, André Raimbaud et Robert Palat) qui, après avoir couvert la Libération de Paris, signent un contrat avec la direction de l’agence. L’AFP-PHOTO est dirigé par un ancien correspondant de guerre, Henri Membré. Le nouveau service ne rejoint pas la place de la Bourse mais emménage au l00 rue Réaumur, dans les laboratoires et bureaux de l’ex Paris-Soir, pas très loin du siège de l’ AFP. [1]»
La direction de l’AFP trouve très vite que la photographie coute trop chère. Claude Roussel, secrétaire général de l’AFP défend le service photo mais devra attendre quelques années avant de tout faire pour remettre la photo à la place qu’elle occupe maintenant dans l’agence.
Le service ’AFP Photo s’arrête le 31 décembre 1947, et une ancienne société anonyme datant de 1918, l’Agence Radio-Télé est réactivée sous le nom d’Agence Intercontinentale, grâce à une subvention de 5 millions de francs [2](18 M€) fournie par les affaires culturelles du Quay d’Orsay le 1er février 1948.
Son but est de gérer « les services annexes », la photographie est ce qu’on appelle alors les features, c’est-à-dire des articles magazines émanant des journalistes de l’AFP mais qui sont des développements de l’actualité et sont signés du nom du journaliste. Cette filiale est confiée à B. en 1948, à Georges Astorg de 1948 à juillet 1951, puis à Emile Tenenbaum, d’août 1951 à la fin de l’Intercontinentale en décembre 1958.
10 avril 1951, l’agence adhère à l’Union Européenne de la Photo (EPU), qui réunit les agences nationales de nombreux pays européens auxquels s’associent les japonais. Il s’agit de faire face à la concurrence d’Associated Press et de United Press qui se sont dotés de système de transmission par télé-photo. Ainsi lors des Jeux Olympiques de Rome en 1960, l’EPU installe un pool de photographes et de techniciens pour couvrir l’évènement.
En 1953, le directeur général de l’AFP Maurice Nègre écrit au secrétaire d’État à la présidence du Conseil, le 5 février 1953, pour obtenir deux millions de francs (+5M€) pour l’achat d’un poste récepteur Belin.
« L’importance croissante de l’illustration dans la presse, le perfectionnement incessant des moyens de transmission des photographies à grande distance font que l’information est toujours publiée en même temps que les photographies qui l’illustrent, quelle que soit la distance où l’événement se déroule. Pour obtenir ce résultat, les agences étrangères possèdent depuis longtemps des appareils de téléphoto, ce qui nous place dans une situation d’infériorité très nette.[3] »
En 1961, Michel Nouaillas qui a travaillé avec Emile Tenenbaum, se souvient qu’il « fallait encore aller à la Poste, rue du Louvre, pour envoyer des belins car nous n’en avions que deux. [4]»
L’Intercontinentale emploie six photographes permanents à Paris et des pigistes dans des bureaux en province ainsi qu’à Alger.
L’Intercontinentale et la guerre d’Algérie
« Une équipe de photographes est missionnée comprenant, René Jarbaud, Jean-Claude Combrisson, Fernand Parizot, et envoyée en Algérie. Ces photographes sont déterminés à fournir un effort particulier pour la couverture algérienne. D’après le témoignage de l’assistante de la filiale Intercontinentale, Fernande Marter[5], la photo ne semble pas souffrir de la censure : « aucune pression n’a été ressentie sur la couverture photo » qui a peut-être bénéficié du « peu de cas que l’on faisait des documents photographiques à une époque où la presse magazine commençait seulement à émerger. »
« Avec l’éclatement de la guerre en Algérie en 1954, la censure et l’autocensure ont frappé quand la gégéne (la torture à l’électricité) tournait à plein régime contre les nationalistes du FNL. L’AFP n’a pas été épargnée dans cette période noire illustré par la saisie de médias comme L’Express [6] »
Mais, « la photo qui fait partie d’une filiale a sans doute bénéficié d’une grande autonomie jusqu’en 1959 …/… Néanmoins, Emile Tenenbaum le directeur du service photo d’Intercontinentale, jusqu’en 1959, s’interdit de diffuser des photos d’atrocités. Il a par exemple refusé un cliché venu du Maroc « où l’on voyait des têtes d’Européens décapités alignées en travers d’une rue à la manière d’un passage clouté.[7] »
« Bien sur qu’il avait la censure » s’exclame Micchel Nouaillas « on ne pouvait pas envoyer n’importe quoi. Durant la guerre d’Algérie on recevait des photos prises par les rebelles algériens comme on disait à l’époque. Elles arrivaient via l’AFP Tunis. Je ne sais pas trop si ces photos étaient faites par leur propagande.[8] »
Dans une étude « La représentation des Algériens à travers trois séquences l’année 1955, mai 1958, décembre 1960 », l’auteur Eléonore Bakhtadzé note que dans le classement de l’époque il n’est jamais question de « guerre ». Ce n’est que dans les années 1990 que les archives photographiques seront reclassées sous le terme « Guerre d’Algérie ».
Mais, « l’agence Intercontinentale avait diffusé dès le mois de mai 1955[9], une photographie représentant trois jeunes maquisards algériens fournie par le bureau de l’AFP à Tunis. Ce sont de très jeunes gens, presque des adolescents, vêtus comme des paysans (sarouel et turban rabattu autour du cou), qui posent fièrement sur un fond de rochers avec dans les mains des fusils hors d’âge. Ce n’était pas une photographie officielle originellement destinée à la presse, mais une simple photo souvenir destinée aux familles des hommes “ montés ” au maquis et, sans doute, saisie lors d’une opération militaire. On ignore par quel détour exactement elle est parvenue au bureau de l’AFP de Tunis.[10] »
Eléonore Bakhtadzé note également que « Cette photographie a été archivée par l’Intercontinentale le 18 mai 1955 …/… Dans l’état actuel de nos connaissances, cette photographie n’a pas été publiée à l’époque de la guerre d’indépendance. Elle semble avoir connu un long sommeil dans les archives photographiques de l’AFP. Mais quelque cinquante ans après, elle aborde une nouvelle carrière, à l’occasion de l’exposition Photographier la guerre d’Algérie, en 2004, à l’Hôtel de Sully, à Paris ».
« Filiale de l’AFP jusqu’en 1959, le service photographique, encore marginal, bénéficie d’une certaine autonomie et de peu de moyens. Les événements d’Algérie y sont traités dans le flot de tous les autres événements. C’est la grande diversité des sources (pigistes, reporters et journalistes présents sur le terrain, appelés du contingent, agences étrangères, Service cinématographique des Armées, envoyés spéciaux…) dont certaines restent inconnues, qui font la richesse des six boîtes d’archives aujourd’hui étiquetées Guerre d’Algérie. »
En janvier 1959, l’AFP réintègre le service photo d’Intercontinentale en son sein d’abord sous la direction de Gaston Launay puis quelques années plus tard sous celle de Michel Nouaillas[11] qui va marquer l’histoire du service. Après des études en Angleterre, Michel Nouaillas débute à UPI comme traducteur puis en 1961 intègre l’AFP comme rédacteur au service étranger avant d’être nommé au service photo. « Il y avait un staff de photographes à Paris mais très peu en Province où ils devaient être deux ou trois. À l’époque, le service se trouvait dans un ancien magasin d’alimentation. J’y ai connu la fin des plaques, le début du Rolleiflex à 12 vues, ce qui impliquait que le photographe saisisse le bon moment de l’histoire pour appuyer sur le bouton. [12]». En 1971, il devient chef du service photo.
La photo à l’AFP compte alors quarante-deux salariés, dont cinq photographes à Paris, sept dans les capitales régionales à Lille, Metz, Nice, Marseille, Toulouse, Rennes, Bordeaux. Après les vicissitudes de l’après-guerre, le service photo de l’AFP change de braquet. A la concurrence des agences anglo-saxonnes s’ajoute celle des agences dites magazine. La remontada est amorcée, le mouvement va se poursuivre dans les années 1970 et surtout 1980.
« Un peu d’informations en ce qui concerne cette période cruciale de changement sinon bouleversement des années 1984, 1985. » se souvient le photographe Jean-Claude Delmas « Fin de United Press International pour ne redevenir que United Press domestic (uniquement États-Unis) en 1984 après les J.O de Los Angeles. Reuter’s Londres reprend le flambeau UPI en 1984/85 en embauchant de nombreux anciens photographes de UPI dans le monde tout comme l’AFP Paris dont le service photo deviendra international sous la direction de Philippe Gustin qui venait du bureau de Washington en tant que rédacteur. Il embauchera sous la houlette de Michel Noouaillas à la même époque quelques photographes de UPI dont notamment trois amis, Louis Garcia (USA) qui avait travaillé d’ailleurs à Paris dans les années 70, Don Rypka (USA) et Rykio Imajo (Japon) et quelques autres plus jeunes en Amérique du sud et aux USA. »
Une tout autre époque, dont nous reparlerons
Notes
- [1] Jade Azzoug Montané in D’Havas à l’AFP, histoire d’une agence unique – L’Harmatan 2020
- [2] Michel Nouaillas cité par Xavier Baron in De Charles-Louis Havas à l’AFP, deux siècles d’histoire, Le monde en direct – Editions La Découverte p. 132
- [3] Cité par Xavier Baron.
- [4] Michel Nouaillas, entretien avec l’auteur février 2021.
- [5] Fernande Marter, est une pionnière du service photo de l’AFP qu’elle rejoint dès 1944 au côté d’Emile Fantin. En février 1958, à l’Intercontinentale elle sera officiellement chargée des secrétariats : Direction du service, des reportages et des expéditions, postes quelle conservera en février 1959, lors de la reprise du service photo de l’AFP, et ce jusqu’à son départ à la retraite dans les années 1980. Source : Amicale des anciens de l’AFP.
- [6] Jacques Thomet in AFP, les survivants de l’information – Hugodoc 2009
- [7] L’AFP, une entreprise unique, des origines à l’histoire de son statut d’exception, 1832-2015 Jade Azzoug – Thèse de doctorat de l’Université Paris-Saclay préparée à l’Université de Versailles, Saint-Quentin-En-Yvelines présentée et soutenue à Paris, le 13 septembre 2019 – p.159
- [8] Michel Nouaillas, entretien avec l’auteur en février 2021.
- [9] « Cette photographie a été archivée par l’Intercontinentale le 18 mai 1955 …/… Dans l’état actuel de nos connaissances, cette photographie n’a pas été publiée à l’époque de la guerre d’indépendance. Elle semble avoir connu un long sommeil dans les archives photographiques de l’AFP. Mais quelque cinquante ans après, elle aborde une nouvelle carrière, à l’occasion de l’exposition Photographier la guerre d’Algérie, en 2004, à l’Hôtel de Sully, à Paris ».
- [10] La représentation des Algériens à travers trois séquences l’année 1955 – mai 1958 – décembre 1960 de Eléonore Bakhtadzé, DEA en histoire, sous la direction de Benjamin Stora, Université Paris VIII (Institut Maghreb-Europe), Octobre 2005.
- [11] Michel Nouaillas (France, Guéret, 1928 ), journaliste débute à UPI en 1953 comme journaliste et traducteur et secrétaire de rédaction chargé des commentaires pour la télévision. Entre à l AFP en septembre 1961 au desk étranger, puis de 1971 à octobre 1989 chef du service puis direteur d’AFP Photo. Chargé des medias français jusqu’a son départ en retraite.
- [12] Le Creusois Michel Nouaillas a dirigé le service photo de l’AFP durant des dizaines d’années – Article Séverine Perrier in La Montagne 2 novembre 2017.
Dernière révision le 16 février 2024 à 9:52 am GMT+0100 par la rédaction
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