L’agence de presse [1] Europress a été créée en avril 1956 [2] par Raymond Robert Darolle (1919 –1995), journaliste professionnel titulaire de la carte de presse n°4 875, directeur de l’agence de la création à la fin d’activité le 31 décembre 1967.
« Raymond Darolle a été le premier à comprendre que la création de l’agence Gamma allait transformer le marché, il a décidé de fermer son agence et de nous confier ses archives [3] » Hubert Henrotte.
Le fonds d’archives de l’’agence a été successivement géré par les agences Gamma, Sygma, Corbis-Sygma, Visual China Group et Getty Images.
Reporter, puis directeur d’agence
Raymond Darolle a été rédacteur à La Dépêche de Toulouse (1940-1944), Libération-Soir (1946-1947), Ce Matin – Le Pays (1947-1948) puis chef du service de presse du Haut-Commissariat de la République à Madagascar (1948-1949) avant de devenir grand reporter à Europe n°1 (1956)[4] et avant de fonder sa propre agence.
Lors de sa demande d’adhésion d’Europress au Syndicat national des agences de presse (SNAP) en juin 1956, il déclare que l’agence emploie deux journalistes professionnels et deux employés de presse, qu’elle dispose de son propre laboratoire et que son chiffre d’affaires la classe « pour le moment dans la catégorie la plus modeste ».
En décembre 1956, du fait de la pénurie d’essence due à la crise du canal de Suez, on sait qu’un collaborateur de l’agence, le journaliste Claude Fromenti, fait une demande d’autorisation de circulation temporaire entre le 11 et le 21 décembre pour aller en reportage à Toulouse, Tulle, Périgueux avec retour par les Sables-d’Olonne en Renault 4CV décapotable conduite par Claudie Alberti[5], vendeuse. Autre reporter, le photographe André Sas [6], neveu du photographe Louis Foucherand qui lui présenta Raymond Depardon.
En 1956 et 1957, André Sas est photographe freelance, correspondant de Odhams Press, une maison d’édition britannique. Il rejoint Raymond Darolle et, selon certaines sources, aurait été associé à Europress mais aucun document ne le mentionne en cette qualité. Il publie régulièrement dans Paris Match, L’Express, Le Point, Nouvel Observateur, Détective et ses photos sont successivement diffusées par Europress, Rapho, Gamma et Sygma ainsi que par une agence spécialisée en musique Méphisto. En 1975, il intègrera le Journal du Dimanche dont il deviendra le chef du service photo jusqu’à sa retraite en 1996.
Les « évènements d’Algérie »
Raymond Darolle n’a pas été seulement un directeur d’agence, il a été un reporter très actif. Il a couvert largement la guerre d’Algérie, notamment les évènements du putsch des généraux et le fameux « Je vous ai compris » du Général de Gaulle le 4 juin 1958. Jacques Duchemin (Carte de presse n° 17 940) va être salarié d’Europress de 1959 à 1966.
« Darolle je l’ai rencontré par hasard un soir au Drugstore des Champs-Elysées. A l’époque j’avais un peu d’argent car j’étais le conseiller du fils de Rafael Trujillo, le dictateur de la République Dominicaine. Je me suis dit tiens ça pourrait être intéressant d’acheter des parts d’Europress et de devenir co-directeur d’une agence de presse. C’est comme ça que j’ai eu une carte de presse de directeur d’agence jusqu’en 1966.[7]»
Comme Lova de Vaysse ou Louis Dalmas, Raymond Darolle se plaint souvent au syndicat de l’organisation des pools. En août 1958, par exemple, il s’étonne de l’éviction des photographes « d’agences feature » (magazine), c’est le terme de l’époque, du prochain voyage du Général de Gaulle « alors que manifestement il y a un grand nombre de journalistes [8]».
Le 23 juillet 1959, nouveau courrier de Raymond Darolle pour informer le syndicat que :
« Dominique Roger [9] qui avait au début de l’année agréé l’agence de presse portant son nom a décidé de joindre son activité à la nôtre. Elle assumera dans notre agence les fonctions de directeur général au même titre que moi-même.[10]»
Ceci est confirmé par un courrier de Dominique Roger au SNAP qui précise qu’elle devient l’associée de « Raymond Darolle et de Claude Fromenti. » Dominique Roger a débuté dans le journalisme à France Observateur et à La Nef avant de devenir la secrétaire personnelle de Louis Dalmas lorsqu’il était rédacteur en chef de Sciences et Vie. Elle a collaboré de janvier 1956 à janvier 1959 avant de créer l’Agence de Presse Dominique Roger le 16 février 1959 au 27 rue Cardinet Paris 17ème arrondissement [11].
Dans une note adressée à Hubert Henrotte au moment où Raymond Darolle confie les archives d’Europress à Hubert Henrotte, alors patron de Gamma, on trouve une impressionnante liste de personnalités photographiées : Charles de Gaulle (retour au pouvoir), Françoise Hardy, Ira de Fürstenberg, Michel Jazy, le pape Jean XXIll, le Maréchal Juin (ses obsèques), Juan Carlos, Anna Karina, John Kennedy, Alexis Kossyguine, Margrethe du Danemark, Michel de Grèce, François Mitterrand, Guy Mollet, Pierre Mendès France, Elisabeth d’Angleterre (à Paris et en Inde), Maria Callas, Brigitte Bardot, Les Duc et Duchesse de Windsor, Edith Piaf, Maurice Chevalier, Grâce de Monaco, Martine Carol, Roger Vadim, Catherine Deneuve, Mireille Mathieu, le Roi Paul de Grèce, le Prince Paul de Grèce {son baptême), le pape Paul VI (en Terre sainte et sa mort) , l’élection du pape Jean XXIII, Pascale Petit, Georges Pompidou, Gunter Sachs, Yves Saint-Laurent, Martin Segonzac, le Shah Reza Pahlavi, Sheila, le mariage de Sophie de Grèce, Soraya, Jacques Soustelle, Général Suharto, Sœur Sourire, Maître Tixier-Vignancour, Hervé Vilard, Raquel Welch etc.[12] La liste des reportages à l’étranger est également conséquente : Algérie (la guerre et l’indépendance), Bali (danseuses), Cambodge (bonzes), Grèce, Hawaï, Hongrie (la révolution), Hong-Kong, Indonésie, Iran (Palais du Shah), Japon (Geishas), Népal, Portugal, Turquie, Etats-Unis (Us Navy, NY), Vatican, Vietnam du Sud, Vietnam (messe des parachutistes). Malheureusement, la liste des photographes qui ont réalisé ces reportages reste inconnue.
Des archives qui passent d’agence en agence
Le 16 décembre 1967, Raymond Darolle écrit à Jean Benedetti, Président de la Fédération nationale des Agences de Presse (FNAP) :
« Comme je vous l’avais laissé prévoir, j’arrête définitivement l’activité de ma société dès la fin de ce mois. Je vous prie donc de me considérer comme démissionnaire de la FNAP. Comme il ne s’agit pas d’un incident de parcours mais d’une décision mûrement réfléchie en considérant comme inintéressante la poursuite de notre activité, je n’attends pas de condoléances de mes confrères et peux vous dire au contraire que c’est une décision heureuse qui comble mes vœux. [13]»
« L’agence Europress ayant décidé de suspendre son activité à compter du 31 décembre 1967, confie à l’agence Gamma l’exploitation de ses archives photographiques noir et couleurs. » [i]
Le contrat précise également que l’agence Gamma ne pourra se dessaisir des négatifs sans une autorisation écrite. Par ailleurs il est prévu que
« le montant des ventes facturées et encaissées par Gamma, tant en France qu’à l’étranger, fera, jusqu’au 31 mars 1968, l’objet de la répartition suivante : 60% pour l’agence Europress, 40% pour l’agence Gamma. Au plus tard le 15 mars 1968 les parties en cause examineront les conditions dans lesquelles cette collaboration se poursuivra, et le pourcentage qui devra revenir à chacune compte tenu des résultats obtenus au cours du 1er trimestre 1968 ».
Le 27 juillet 1973, à la suite de la crise des mois d’avril et mai 1973 entre les associés de Gamma et la création de l’agence Sygma, Hubert Henrotte écrit à Raymond Darolle au 2 rue Jean Pouin à Saint-Cyr-l’Ecole :
« Comme vous me le demandez, je vous confirme mon accord concernant la diffusion du matériel d’Europress qui se trouve chez nous. Jusqu’au 1er octobre prochain, toutes les ventes seront pigées à 50/50 à Madame Bion, directement. A partir du 1er octobre, la diffusion de ce matériel fera l’objet d’une rémunération forfaitaire mensuelle, sur la base de 400 Francs (408€ actuellement). Naturellement, je vous demanderais en échange d’être le seul à diffuser les photos Europress et que, notamment, l’agence Gamma, encore détentrice d’un certain nombre de tirages dans ses bureaux ou chez ses correspondants étrangers ne soit, dès maintenant, absolument pas autorisée à en permettre le droit de reproduction. »[ii]
Entretemps Raymond Darolle va travailler pour Sygma où il sera salarié et représentera notamment l’agence dans les organismes professionnels (SAPHIR, CPPAP, FAP etc.).
Enfin, le 3 juillet 1979, un contrat est établi entre Raymond Darolle et Hubert Henrotte directeur gérant de Sygma qui précise :
« que les archives d’Europress sont contenues dans quatre classeurs métalliques qui sont et demeurent la propriété d’Europress (deux classeurs de contacts et deux classeurs de négatifs) ; que font en outre partie de ces archives deux mille diapositives couleurs concernant les évènements relatifs à cette période ou des personnalités…/… que ces archives sont entreposées depuis 1974 dans les locaux de l’agence Sygma, 5 rue des Vignes à Paris 16ème, que leur exploitation a donné lieu au versement d’honoraires versés jusqu’au 31 décembre 1978 sur une base forfaitaire mensuelle de 520 Francs (320€). »
Les parties décident de poursuivre cette exploitation en convenant que « Sygma paiera mensuellement à M. Darolle à compter du 1er janvier 1979 une somme de 630 Francs (350€) par mois et n’aura plus à fournir à M. Darolle les relevés de ces ventes. »
Il est précisé qu’en cas de décès, l’épouse de Raymond Darolle continuerait à toucher la somme mensuelle « avant le 10 de chaque mois » et que « Sygma ne pourra se dessaisir du matériel au profit de tiers. Les négatifs et les originaux de couleurs présentant un caractère historique ne devront en aucun cas sortir de l’agence. »
Raymond Darolle travaille à Sygma jusqu’à son départ à la retraite. Le 17 mars 1984, il rédige une note pour Hubert Henrotte dans laquelle il revient sur la question des archives d’Europress et énumère les principaux reportages susceptibles d’être mieux exploités s’il y travaille deux après-midis par semaine pendant un an. Il propose trois solutions financières « rachat par Sygma payable en douze mois, rente forfaitaire et viagère à Madame Darolle (2000 Francs/mois soit 655€ ou ½ Smig), statut quo (minimum adopté jusqu’ici revalorisé chaque année par une pige forfaitaire de 2000 Francs/mois) ».
En 1999, Sygma est racheté par Corbis et devient la société Corbis-Sygma qui va déposer son bilan en mai 2010. Le 15 mars 2011, Maître Stéphane Gorrias, mandataire judiciaire, administrateur de la liquidation, répond à la demande de restitution des archives d’Europress exprimée par Madame Darolle, que sa revendication est forclose depuis le 23 septembre 2010 mais « dans un but de démarche amiable comme le permettent les dispositions des articles L. 624-17 du Code de commerce et pour apprécier la présence ou non des photographies revendiquées par vos soins, je vous invite à vous rapprocher du représentant de la cellule liquidative de la Société Corbis-Sygma. »
Les archives d’Europress vont ainsi se retrouver sous la coupe de Corbis et, quand le vendredi 22 janvier 2016 l’agence Visual China Group rachète dans des conditions toujours mystérieuses l’énorme fonds d’archives accumulé par Bill Gates elles passeront sous la coupe de cette société chinoise aux associés bien mystérieux. Visual China Group confiera la diffusion hors Chine à Getty Images, et c’est cette société américaine qui les diffuse aujourd’hui.
Il est à noter qu’Hubert Henrotte qui nous a confié les contrats dont il est question, a jusqu’à la fin de sa vie, tout fait pour que l’épouse de Raymond Darolle retrouve ses droits sur les archives de son mari.
Notes
- [1] Agrément de la CPPAP de 1962 à 1971
- [2] Raymond Darolle déclare que l’agence a débuté en avril mais la société Europress est une SARL au capital de 40 000 Francs enregistrée à Paris n° 56B3 le 25 mai 1956
- [3] Hubert Henrotte, entretien avec l’auteur en janvier 2020
- [4] Source Bibliothèque Nationale de France
- [5] Demande d’autorisation temporaire de circuler en date du 10 décembre 1956. Source : Archives de la FFAP
- [6] André Sas (France, Marseille, 26 septembre 1928 – France, Saint-Maur-des-Fossés 2 avril 2020) est un journaliste photographe, titulaire de la carte professionnelle n°18 054
- [7] Jacques Duchemin, entretien avec l’auteur le 16 mars 2020
- [8] Raymond Darolle, lettre au SNAP du 19 août 1958. Source : Archives de la FFAP
- [9] Dominique Roger, née le 29 avril 1932 est une journaliste titulaire de la carte professionnelle n°16 324
- [10] Raymond Darolle au Président du SNAP le 21 juillet 1959. Source : Archives de la FFAP
- [11] Source : Correspondance de la presse du 23 juillet 1959
- [12] Archives personnelles d’Hubert Henrotte confiées à l’auteur
- [13] Archives FFAP
- [i] 20 décembre 1967 – Contrat de diffusion des archives d’Europress représentée par Raymond Darolle et l’agence de presse Gamma représentée par Hubert Henrotte. Source : archives personnelles d’Hubert Henrotte
- [ii] 21 juillet 1973 – Courrier entre Hubert Henrotte gérant de Sygma et Raymond Darolle. Source : archives personnelles d’Hubert Henrotte.
Dernière révision le 19 avril 2024 à 11:41 am GMT+0100 par la rédaction
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