Correspondance de Tokyo
Vu d’Europe, il semblait que la célèbre fédération des ligues étudiantes autogérées Zengakuren, fondée le 6 juillet 1948, avait disparu du paysage médiatique. Mais Pierre Boutier a couvert leur récent défilé dans les rues de Shibuya, là où leurs prédécesseurs avaient déjà manifesté en 1971.
A cette époque les Zengakuren s’opposaient à l’installation de bases américaines sur l’archipel d’Okinawa d’où partaient les Marines pour aller combattre au Vietnam. Aujourd’hui, ils protestent contre le partenariat militaire avec les USA signé le 10 avril 2024 lors de la visite du premier ministre Fumio Kishida à Washington. La menace chinoise est répétée en boucle dans les médias sans qu’il y ait de signes concrets d’inquiétude à ce sujet dans l’archipel. Dans leurs discours les étudiants rappellent tout de même le caractère autoritaire du gouvernement Chinois auquel ils n’adhèrent pas.
Ce 28 avril 2024, c’est aussi le jour anniversaire de l’indépendance d’Okinawa, qui imposait au Japon la présence militaire américaine condition sine qua non de la rétrocession de l’île à l’archipel japonais. En souvenir, les étudiants venus de tout le Japon et de différents campus sont venus protester contre les bases de missiles qui s’installent un peu partout sur l’archipel des Ryukyus et près de Kyoto à Miyakojima.
La longue tradition des étudiants affiliés à la faction centrale (Chukaku-Ha) plus communément appelée « nouvelle gauche », de porter des casques blancs et des lunettes noires a été globalement respectée par les participants qui ont formé des chaînes humaines de quatre personnes alignées en rang serré et progressant au son des sifflets et des slogans rythmés.
Assises, accoutrées de façon révolutionnaires : casque, lunettes opaques et tee-shirt rouge, certaines jeunes étudiantes ajoutaient une touche de charme local en s’éventant avec un éventail, ou pianotant sur leur portable pendant les discours des militants qui se relayaient à la tribune avant le début de la manifestation.
Ce dimanche, pendant la manifestation de ce groupe au passé tumultueux, il n’y a pas eu de débordements violents. Les rapports avec la police anti-émeute sont restés pourtant très tendus : à coups de casques. En particulier, quand les manifestants ont traversé le plus grand carrefour du monde, près de la célèbre place de Shibuya, où en 1971,un policier est mort battu puis brûlé par un cocktail Molotov.
Deux des leaders ont été emprisonnés suite à des accusations sans preuves formelles de leur implication dans la mort du policier : Fumiaki Hoshino[1] est mort en detention après 44 ans passé derrière les barreaux de la prison de Tokushima sans chauffage, et Masaaki Osaka [2] l’autre révolutionnaire a été emprisonné après une cavale de 47 ans. De sa prison, il transmit un message aux étudiants leur demandant d’étendre la lutte contre la guerre.
Ces jeunes étudiants ont une constante dans tous leurs discours et leur slogans : la paix ! Tous rejettent l’usage des armes nucléaires. Ils ont évoqué le sort de cinq étudiants arrêtés à Hiroshima en août dernier pour avoir manifesté contre le G7 devant le monument des victimes des bombardements atomiques de 1945. La pétition qu’ils ont lancée a été signée par des irradiés de la deuxième et troisième génération.
Passionnés par la politique internationale, les étudiants se sont solidarisés avec les luttes des campus américains et français pour un cessez le feu à Gaza ; mais c’est principalement l’accord global de la partenariat entre le Japon et les USA qui est l’objet de leur colère avec le maintient des bases militaires ou vivent 54 000 Marines américains sur le sol japonais.
Notes
- [1] Hoshino Fumiaki (Japon, 1946 – 30 mai 2019) étudiant et artiste, il a été arrêté en 1975 pour son rôle présumé dans la mort d’un agent de police lors d’une manifestation à Shibuya (Tokyo) le 14 novembre 1971. Six étudiants ont été arrêtés à la suite de la manifestion et ils ont signés des aveux accusant Hoshino Fumiaki, qui a vécu 44 ans en prison.
- [2] Masaaki Osaka (Japon, 1950) est un militant trotskyste, ancien membre du Comité national de la Ligue communiste révolutionnaire.
Dernière révision le 15 mai 2024 à 11:26 am GMT+0100 par la rédaction