L’attention du monde entier est concentrée sur Gaza : des dizaines d’otages israéliens, des milliers de morts et des millions de déplacés. Mais que se passe-t-il dans une autre partie de la Palestine : la Cisjordanie ?
Parallel Worlds, le nouveau projet du photojournaliste Sergey Ponomarev explore deux réalités différentes vécues par les Israéliens et les Palestiniens vivant à proximité, mais souvent séparés par des barrières physiques et des tensions politiques. La fracture profonde et les perspectives contrastées ont souligné la dynamique complexe et les défis auxquels les deux communautés sont confrontées. Alain Mingam a obtenu de son ami Sergey l’autorisation de publier ici quelques unes des photographies de ce nouveau travail.
Divisés par Israël, depuis le 7 octobre, les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie vivent dans des mondes parallèles. L’Autorité palestinienne incompétente, impuissante et impopulaire, le peuple palestinien privé de voix, les colons armés et l’armée israélienne avec une mission ambiguë coexistent dans un vide perfide d’une supposée, mais de plus en plus impensable, souveraineté palestinienne.
En plus de cela, un demi-million de colons armés vivent maintenant à proximité de 3 millions de Palestiniens. Les Palestiniens de Cisjordanie qualifient la situation actuelle de « punition collective ». Cela comprend des checkpoints, des raids de l’armée pendant des heures, le non-paiement des salaires, l’annulation des permis de travail, les restrictions d’accès à la mosquée Al-Aqsa et à Jérusalem, la violence des colons et l’expulsion des Bédouins. Dans le même temps, la Cisjordanie est prête à endurer et à soutenir le fragile équilibre qui existe actuellement.Mais la Cisjordanie est prête à endurer – pour le bien du fragile équilibre qui existe actuellement.
Je suis un photojournaliste russe, avec une position anti-guerre et contre la dictature, qui ne peut pas rentrer chez lui. Nous avons connu des attentats terroristes et plusieurs guerres, dont le résultat n’a été que des gens traumatisés et des familles détruites. Maintenant, les Russes vivent dans une guerre fratricide, et je comprends très bien les deux côtés en Palestine.
Que pensent les Palestiniens de Cisjordanie ? Comment font-ils face à l’augmentation du nombre de victimes et quel avenir attendent-ils ? Je veux partager mes observations dans mon projet photo « Mondes parallèles ».
Sergey Ponomarev
Sergey Ponomarev par Alain Mingam
Sergey Ponomarev est l’un des photographes russes les plus talentueux de sa génération. Entré à l’agence AP à Moscou en 2003, il sillonne l’ex-URSS et couvre la plupart des grands évènements internationaux.
Depuis le conflit israélo-libanais de l’été 2006, Sergey se rend très régulièrement, et pour de longues périodes, au Moyen-Orient. Ses photographies de la révolution libyenne, de la guerre en Syrie ou des bombardements israéliens à Gaza lui ont valu de nombreuses distinctions internationales.
Aujourd’hui indépendant, Sergey travaille régulièrement pour le New York Times et Paris Match. Il témoigne en permanence des convulsions du monde, et s’attache à capter les souffles d’espoir, au milieu des ruines.
Dans une récente interview au New-York Times, dont il est l’un des plus réguliers contributeurs, Sergey Ponomarev s’est dit, avec réelle modestie, habitué « de la routine de guerre ».
Car le photographe russe ne s’est jamais accoutumé à la violence de la guerre, que pour mieux la dénoncer. C’est toute la force de son caractère, aguerri par 8 années de reportage sur tous les théâtres d’actualité́ depuis ses débuts professionnels au sein de l’agence Associated Press.
Toujours incrédule, jamais gobeur de lunes, Sergey a pour seul parti pris d’être au plus près d’une humanité en totale détresse, ou en plein combat pour sa survie. Il lutte en permanence contre toute tentative de manipulation, celle d’une propagande érigée en vrai système culturel, comme il l’a déjà vécu à Damas comme à Homs, au Donbass, aussi qualifié par lui de « Zombie-land ».
La guerre en Ukraine dure et les gens ordinaires, rappelle-t-il, sont devenus des zombies luttant contre un flot continu de propagande venue de Moscou à toute fin de poursuivre cette guerre qualifiée en « opération militaire spéciale » à même de restituer la grandeur défunte de l’ex-empire soviétique.
Chacun des reportages de Sergey cultive, en leur opportune réussite, le poids des mots et le choc des images – selon l’adage cher à Paris Match pour donner encore plus de sens à sa démarche. Comme l’écrit Thierry Grillet :
« La guerre est un temps extrême, qui porte les passions humaines à leur paroxysme. L’humanité des individus entre vie et mort, y est grattée jusqu’à l’épure. »
Comme sont dépouillées, spontanément, naturellement, les images de Sergey de tout effet de surenchère esthétique, de complaisance ou de connivence masquée avec les pouvoirs en place. Une image lui a déjà valu le troisième prix dans la catégorie General news du World Press Photo Contest en 2015 ou, à Gaza, deux frères se soutiennent, visages ensanglantés et totalement effondrés par la mort de leur père lors d’un bombardement israélien. Ces deux hommes sont au centre d’une composition d’une totale sobriété, qui n’exprime que plus encore le désespoir et l’absence tragique d’avenir qui les tenaillent et plus que jamais en ce début d’année 2024.
Pathétique anticipation et retour d’une horreur aujourd’hui amplifiée de Gaza à Bethléem. Fidèle à ses convictions Sergey ne pouvait pas ne pas retourner sur place.
La posture éthique et déontologique de Sergey Ponomarev lui interdit spontanément tout excès dans l’esthétisation d’une compassion qui se suffit à elle-même. Le photographe n’est pas adepte de l’effet de mode qui sévit parfois dans la profession, pour habiller tout cliché issu du champ documentaire d’un vernis artistique, clé d’entrée dans le monde des musées et galeries, devenu le SAMU d’un photojournalisme malade de ses excès.
Sergey Ponomarev est un photographe remarquable d’instinct. Il n’a nul besoin de remodeler l’évidence de ses cadrages et la densité maîtrisée de ses couleurs, encore moins de les reformater au Photoshop d’illusions d’artiste qui se doit de faire œuvre d’art au cœur des ténèbres de notre planète en ébullition.
En maîtrisant le poids contraignant de ses origines russes en exil de la contrainte, Sergey Ponomarev donne à voir, et à vivre par procuration, ici une très grande leçon de photographie et d’humanité. Pour mieux nous faire voir et entendre ces résonnances et menaces qui traversent les frontières à coups d’éclats quotidiens de guerre mêlés.
De retour en Cisjordanie, Sergey pose toujours un regard jamais complaisant depuis la fatidique date du 7 octobre 2023 sur un tragique « œil pour œil » entre deux peuples juif et palestinien condamnés à une survie existentielle sur la terre de leurs origines sémites.
Site de Sergey Ponomarev
Dernière révision le 15 mai 2024 à 11:26 am GMT+0100 par la rédaction
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