Civil War – Film d’Alex Garland – 01h49 – En salle actuellement.
Ce n’est pas la première fois que le cinéma prend pour héros des journalistes (La déchirure, Salvador, État de guerre) ou des photographes (Eyes of war, Under fire, The bang bang club). Avec le tout récent Civil War, Alex Garland raconte l’histoire de quatre reporters prenant la route pour traverser les Etats-Unis, alors que fait rage une sanglante guerre civile, pour tenter d’interviewer à la Maison Blanche un président qui se cramponne au pouvoir mais est sous la menace d’une insurrection armée qui se dirige vers Washington. Dans le contexte actuel des futures élections présidentielles américaines, ce film, qui présente un pays déchiré en proie au chaos et à la violence, fait particulièrement écho avec l’actualité.
Si on apprend que les forces en présence opposent l’alliance du Texas et la Californie qui ont fait sécession avec les loyalistes de la force de l’Ouest, rien n’explique les raisons exactes du conflit, si ce n’est que le président a activement contribué au démantèlement de la démocratie. Position assumée par le réalisateur pour qui le film est censé être aussi politiquement objectif que possible.
« Le type de journalisme dont nous avons le plus besoin, le reportage qui était autrefois la forme dominante du journalisme, avait délibérément supprimé un certain type de parti pris. Si vous avez une agence de presse qui a un fort parti pris, seule la chapelle pour laquelle elle prêche lui fera probablement confiance et les autres se méfieront de lui. C’était donc quelque chose que les journalistes essayaient activement, délibérément et consciemment d’éviter. Le film tente de fonctionner comme ça. »
Ce road movie parsemé d’embuches alterne des scènes intimistes à l’intérieur d’un véhicule avec des moments intenses, dans une course contre la montre avant l’assaut final avec le souci d’y arriver avant les confrères et néanmoins concurrents. Le groupe se compose tout d’abord de la photojournaliste Lee (une claire référence à Lee Miller) et de Joel reporter marchant à l’adrénaline, tous deux travaillant pour l’agence Reuters. Ils sont accompagnés par Sammy, un vieux routier de la presse qui en a vu d’autres et qui écrit pour « ce qui reste du New York Times ». A ces pros chevronnés se joint Jessie une jeune novice qui veut devenir photographe de guerre et a la particularité de travailler à l’ancienne, Nikon FE et 35mm argentique noir et blanc qu’elle développe en chemin. Le trio prendra la jeune femme sous son aile et Lee, tout d’abord assez réticente, va peu à peu accepter celle qui lui ressemble tellement quand elle avait le même âge. Les personnages vont affronter de nombreuses difficultés sur leur chemin : les régions traversées sont dévastées, des combats armés font rage un peu partout, les autoroutes détruites, les communications fonctionnent mal, l’essence se fait rare et chère. On passe d’une fusillade intense en zone urbaine à une nuit presque paisible où le ciel est illuminé par les balle traçantes lors d’un arrêt pour se reposer. On retourne ensuite sur la route avant que le chemin ne soit coupé par un duel entre snipers et on assiste plus tard à une autre rencontre avec un effrayant soldat psychopathe aux étranges lunettes rouges.
Les deux femmes sont les personnages principaux d’une histoire qui raconte, au delà des événements, la transmission qui s’effectue entre la professionnelle expérimentée et son impétrante cadette qui peu à peu gagne en assurance jusqu’au moment final où un événement tragique va faire d’elle la relève de la vieille garde. Jessie dira : « Je n’ai jamais eu peur comme ça auparavant et je ne me suis jamais sentie aussi vivante »
Des photos, supposées être celles prises par les deux héroïnes, rythment brièvement la narration et on retiendra surtout celles en noir et blanc de la jeune Jessie qui n’ont pas grand chose à envier à celles que des photographes de guerre aguerris ont déjà produit en conditions réelles. Elle s’en sort aussi pas trop mal dans une séquence de développement de film en cuve Paterson et on retiendra le truc de mettre le révélateur à température en le glissant dans son pantalon. Par contre, il semblerait qu’une info ne soit pas passée : un film 35mm ne fait que 36 poses maximum, alors quand on mitraille à tous va, il faut penser à recharger de temps en temps.
Notons également une excellente bande son où se succèdent des chansons de Silver Apples, Skid Row et de De La Soul et le bruit des balles, des chars d’assaut, des hélicoptères et des explosions ainsi que les cris des soldats. Enfin, les combats sont particulièrement réussis et crédibles, ayant été supervisées en tant que conseiller militaire, par un ancien Navy SEAL qui a embauché des vétérans pour incarner les combattants.
Au final, un film intense qui interroge, servi par un bon casting et qui parle avec justesse du travail essentiel de celles et ceux qui veulent témoigner de la marche du monde, au besoin en mettant leurs vies en péril.
Dernière révision le 21 juin 2024 à 6:18 pm GMT+0100 par la rédaction
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