S’il existe quelques livres où la photographie joue un rôle dans la fiction exposée ainsi que de nombreuses biographies de photographes, il est beaucoup plus exceptionnel que cette profession soit la figure centrale d’une œuvre romanesque.
Rares sont les photographes présents dans les romans, mais encore plus rarement quand il s’agit d’une femme photographe. Ce n’est pas le moindre intérêt de Les dames de guerre, Saigon de Laurent Guillaume récemment paru et qui se révèle être un bon page turner.
L’histoire commence en septembre 1953. Henry Luce, le grand manitou du fameux magazine américain Life, a réuni tout le personnel pour annoncer une triste nouvelle, le photoreporter Robert Kovacs, en commande pour le journal, vient de trouver la mort après avoir marché sur une mine en Indochine. Très affecté par cette disparition, le patron rend hommage au disparu avec des phrases que l’on pourrait reprendre mot pour mot aujourd’hui tant elles sont encore d’actualité:
« C’est le prix à payer pour que la guerre ne soit pas qu’une idée abstraite et nos morts de foutues statistiques déclamées par des politiciens larmoyants. Ce sont les gens comme Robert qui nous mettent en garde contre la banalisation de la guerre et de la violence, en l’incarnant à travers ceux qui la font et ceux qui la subissent, en nous montrant leur sang et leur désarroi. Robert a lui même versé ce sang et donné sa vie pour ça. »
Comme il faut trouver un successeur pour poursuivre le reportage du disparu, les photographes du staff sont sollicités mais aucun volontaire ne se propose. Seule Elisabeth Cole, une jeune femme qui couvre habituellement la vie mondaine, va relever le défi malgré les ricanements de ses mâles confrères, et devenir correspondante de guerre en partant illico pour Saigon.
L’auteur ne cache pas s’être inspiré de situations et de personnages parfaitement réels.
Commençons par le photographe de guerre qui vient de se faire tuer. Il s’agit de la copie quasi conforme de Robert Capa en dépit d’un petit arrangement narratif concernant la date de sa mort. La manière dont l’auteur va le dépeindre peut avoir de quoi surprendre mais Capa était suffisamment filou pour que l’hypothèse puisse fonctionner. Ensuite l’héroïne, Elisabeth Cole, alias assez fidèle de Lee Miller, qui après avoir été mannequin puis photographe de mode et de portraits pour Vogue, deviendra correspondante de guerre et photographiera, tout de suite après leur libération, les camps de concentration de Buchenwald et Dachau en 1945. Son nom de famille n’est pas non plus un hasard, c’est celui de Carolyn Cole, photographe du Los Angeles Times, connue pour sa couverture des événements au Libéria et en Irak.
Le livre est également peuplé de personnages qui ont réellement existé et dont l’auteur s’est inspiré. Tout d’abord le personnage de Graham Fowler le mentor anglais d’Elisabeth, sosie de Graham Green l’auteur d’Un américain bien tranquille dont l’histoire se déroule au même endroit et à la même époque. On croise aussi l’espion américain Edward Lansdale devenu William Dale, le chef d’une organisation criminelle vietnamienne Bay Vien, le colonel de l’armée française Roger Trinquier qui est devenu le commandant Jacquier. Sans oublier le gangster corse Mathieu Franchini, quelques uns de ses louches compatriotes, Olive Yang cheffe de guerre et trafiquante et d’autres personnages étonnants, pittoresques ou monstrueux.
Quand à l’intrigue, elle repose sur une solide documentation de l’histoire vraie de personnages et d’événements à la manière de ces auteurs qui savent si bien le faire comme Don Wislow (La griffe du chien, Cartel), DOA (Citoyen clandestin, Pukhtu) ou R. J. Ellory (Vendetta) qui construisent leurs narrations sur des enquêtes préalables très poussées.
Laurent Guillaume a bâti un cadre très réaliste de la situation de l’époque, avec la mention de lieux bien réels comme l’hôtel Continental, le quartier de Cholon, le « Grand Monde » établissement de jeux mais aussi de prostitution et de commerce de la drogue et quand la journaliste doit acheter une machine à écrire, elle se rend rue Catinat dans le grand magasin…Courtinat. L’action se situe juste avant la bataille de Bien Bien Phu dans une Indochine française en convulsion. Outre le Vietnam, l’action va nous entrainer dans le triangle d’or, importante région de culture du pavot, du côté du Laos et de la Birmanie. L’intrigue fait référence à l’opération X, trafic d’opium qui fut mené par le SDECE (Service de Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage français) pour financer des opérations clandestines et soutenir les maquis anticommunistes tout en privant le Vietminh d’une importante source de financement. Rappelons également que jusqu’en 1946, voire 1954 plus discrètement, la France a possédé en toute légalité à Saigon une manufacture d’opium dont les revenus généraient une grande partie du budget de la colonie.
On pardonnera quelques approximations sur la narration du travail photographique et on pourrait tiquer sur les aventures un peu rocambolesques de l’héroïne, sa love affair pas forcement indispensable et surtout sur le rôle peu flatteur attribué au clone de Capa qui est un peu dur à avaler, mais attribuons à cela une licence romanesque liée à l’intrigue.
Au final c’est un ouvrage bien rythmé qui se lit facilement et sans déplaisir, dont la fin, qui n’en est pas une, ouvre la porte des prochains épisodes à suivre qui constitueront une trilogie et devrait donner lieu à une adaptation à l’écran.
Les Dames de guerre, Saigon de Laurent Guillaume
Ed Robert Laffont – 496 pages – 20,90€Dernière révision le 30 mai 2024 à 4:46 pm GMT+0100 par la rédaction
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