Ils sont deux photographes chevronnés a avoir immortalisé l’attentat contre Donald Trump Doug Mills pour le New York Times et Evan Vucci pour Associated Press diffusé en France par Sipa press.
Quel photographe de presse ne rêve pas d’enregistrer un tel moment. C’est pourquoi nous faisons ce que nous faisons. Bien sûr notre mission professionnelle est d’informer mais sur un plan personnel plus profond c’est l’espoir de se faire un jour une image forte d’un moment historique qui devient une icône pour notre carrière et les générations futures.
Plusieurs images très fortes de la tentative d’assassinat de l’ancien président Trump ont été prises le 13 juillet à Butler, en Pennsylvanie, mais la plus emblématique me semble être celle du photographe Evan Vucci d’Associated Press. L’ancien président est debout, son visage obstiné, taché par le sang. Il est entouré par les agents des services secrets qui tentent de le protéger et un drapeau américain flotte en arrière-plan. Trump lève son poing, triomphant, comme pour dire : « Je suis là, ils ne m’ont pas eu… battez-vous ! » Tyler Austin Harper de The Atlantic écrit que cette photo est devenue « une photo américaine légendaire ».
« Qu’est-ce qui résume mieux notre idéal américain qu’un défi sanglant et une fierté obstinée qui frise la folie ? … C’est à ce moment-là que l’idée que les partisans de Trump se faisaient de lui – fort, résilient et fier – s’est heurtée à la réalité.
Personnellement, je suis en total désaccord avec l’opinion des partisans de Trump sur leur leader. Je pense que s’il est réélu, il représente une réelle menace pour la démocratie américaine. Cependant, je ne peux nier la force de ces photos qui réside, justement, dans le fait qu’elles sont réelles. L’évènement s’est réellement produit et les photographes étaient là pour capturer du mieux qu’ils pouvaient cet instant fugace. Leurs images sont des documents qui traduisent visuellement de la manière la plus véridique et la plus puissante ce dont ils ont été témoins.
Malheureusement, la force de ces images sera utilisée pour promouvoir Donald Trump dans sa campagne présidentielle. Leur message est fort mais contraire à ce que je crois et à ce que j’espère lors des prochaines élections, mais ceci n’est pas la raison de ma présente réflexion.
« Pour en finir avec le photojournalisme » ?
Je m’intéresse à cette petite musique que j’entends ces dernières années sur la photographie documentaire et l’idée que l’événement lui-même, disons-la « les faits » d’un moment particulier, n’est pas si important.
Peut-être ai-je mal lu, mais c’est ce que je crois comprendre en lisant l’article de Valentin Bardawil : « Pour en finir avec le photojournalisme » (Nine Lives Magazine, Mars 2024). Bardawill est co-fondateur de Photo Doc et cocréateur de l’Observatoire des Nouvelles écritures de la photographie documentaire. En effet, pour le photojournaliste que j’étais pendant plus de trente ans, on peut comprendre que je trouve le titre quelque peu provocant – intentionnellement j’imagine. Une réflexion intelligente sur l’état de notre art est toujours la bienvenue, je suis même d’accord avec une grande partie de ce qu’il écrit. Pourtant, quand je lis leur Manifeste sur la photographie documentaire, j’avoue que je ne comprends pratiquement rien !
Ce que je crois comprendre, c’est que le photographe « témoin » n’est plus la « raison d’être » d’un photographe documentaire ou d’un photo-reporter ; l’importante serait-elle l’expression plastique du photographe, réelle ou pas.
« Ce n’est plus le réel du monde qui est « documenté », l’image photographique ne cherche plus à établir des « faits », à rendre visibles et lisibles des « données », à interpréter des « traces » et des « indices ». Ce que l’image « documente », c’est le geste d’enquête par lequel le photographe, aux prises avec le réel, fait advenir sa manière à lui de « faire monde ».
Mon principal désaccord avec Bardawil, c’est cette idée que la réalité de l’événement photographié n’est pas nécessairement importante. Ce qui est important, c’est ce que ressent le photographe (et le spectateur ?), indépendamment de ce qui s’est réellement passé. Peut-être même qu’il n’y a pas « d’événement », le « document » photo devient simplement un moyen d’expression de soi… ? Que penserait-on de ces images de Trump, la figure ensanglantée, si nous pensions que c’était une mise en scène ? (Il faudrait demander à ceux qui croient au complot.)
« …toute photographie ne représente qu’une réalité partielle, et chacun va lire une image en fonctionne de sa propre subjectivité… ».
Bon, je comprends. Heureusement, l’art de la photographie est vaste et se prête à de nombreuses formes d’expression. Loin de moi l’idée d’exclure ces autres formes d’expression photographique. Mais je crois que c’est une erreur fondamentale de minimiser, même nier, l’importance des faits d’un quel conque événement tel qu’il a été enregistré photographiquement.
Lorsque j’ai commencé à étudier la photographie et le photojournalisme, nous avons appris que la plus grande photo de guerre était celle du « Soldat qui tombe » prise par Robert Capa pendant la guerre d’Espagne. Capa aurait capturé l’instant de la mort. Grand photographe de guerre, Capa était l’un de mes mentors spirituels. Aujourd’hui, il y a beaucoup de débats quant à la véracité de cette image. Est-elle « vraie », c’est-à-dire, est-ce réellement le moment où le soldat prends une balle, ou est-ce qu’une mise en scène ? Bardawil semble suggérer que si cette photo de Capa ne capture pas véritablement « le moment de la mort », si elle est plutôt une mise en scène…et bien, quelle différence cela fait-il ? Ce qui est important, c’est ce que nous ressentons à l’égard de l’image, que l’événement se soit réellement produit ou non ? Peut-être c’est ce que pensait Capa aussi…
Voici un autre exemple : la fameuse photo de Doisneau, « Le baiser de l’Hôtel de Ville ».
Que j’adorais cette photo ! Ça c’est Paris ! Jusqu’au jour où j’apprends que c’était une mise en scène, que le couple qui s’embrasse sont des figurants engagés par Doisneau. Quelle déception ! Bon, j’aime toujours cette image mais pour moi elle a perdu sa force de vérité. Je n’y peux rien.
Certainement je suis de la « vieille école », mais je crois qu’une photographie destinée à documenter un événement réel tire intrinsèquement sa force de notre croyance que l’événement s’est réellement produit tel qu’il est représenté par la photo. De la même manière, une photo d’un événement dont nous doutons d’une mise en scène, perd sa force intrinsèque de document.
A ce moment-là, on se trouve plus proche de la photo publicitaire que de la photo documentaire.
Voilà…bonne photo ! Quel que soit le genre.
©Thomas Haley/2024Dernière révision le 20 juillet 2024 à 12:47 pm GMT+0100 par la rédaction
- Evan Vucci / Associated Press / Sipa
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