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Gabriel Godallier
De la moto à Propixo, tout pour la photo !

L’équipe de Propixo en réunion visio aout 2024 

Propixo est aujourd’hui le digital asset manager (DAM) utilisé par toutes les agences de photo de sport françaises : Iconsport, PresseSport, Vandystadt, DPPI, Panoramic etc. Durant le mois olympique elles ont chargé 400 000 images sur le 1,5 millions tous sujets confondus chargé pour nourrir la presse.  Au total, à ce jour 104 832 099 images sont indexées et publiées sur les serveurs de Propixo. Gabriel Godallier nous raconte la création de Propixo.

Une quarantaine d’agences de presse (Abaca, Bestimage, Hemis, Starface etc.) servent leurs clients à travers le système Propixo qui compte également des clients « hors-presse » tel que le CNRS, Le Collège de France, Alpine, M6 ou Total etc.

Un chiffre d’affaires encore modeste (650 K€), mais réalisé par une petite équipe de cinq personnes : Gabriel Godallier avec Stephane Canel, qui s’occupe des serveurs, François Mestre de la partie gestion du module commercial et des API, Frederic Filliette du backoffice et de la gestion de projet, et, Celian Rigal développement du  front-office et des sites web.

L’avenir ? Mettre en place des API pour que l’IA légende et choisisse des mots-clés ; mais, pour le moment, précise Gabriel Godallier, « l’IA n’est pas capable de faire la différence entre une guerre et un attentat… Incontestablement tout cela va évoluer très vite. » Vingt ans après la création de Propixo, nous avons demandé à Gabriel Godallier (54 ans) de nous raconter les débuts de ce qui est devenu un succès.

 

Le récit de Gabriel Godallier

Entretien enregistré le 12 novembre 2023 et aout 2024 par Michel Puech

« En fait, l’histoire commence chez le photographe Claude Gassian, un très bon photographe qui continue de prendre et vendre des photos pour les journaux. C’est un photographe spécialisé musique qui a débuté vers 1967. Il travaillait alors pour les mythiques revues : Rock&Folk, Best etc. Au début, il diffusait lui-même ses photos puis, il a eu besoin d’un assistant, d’un « vendeur », comme nous nous appelions à l’époque.

Il m’a pris comme commercial en 1995. Pendant six ans, avec lui, j’ai appris tout le métier. Dès qu’il faisait une prise de vue, j’allais déposer les films au laboratoire.  Je les récupérais, je les découpais, mettais les couleurs sous cache et les numérotais. Il fallait aussi faire faire des duplicatas et, ensuite, proposer les meilleures images aux rédactions pour avoir une chance de les voir publier. Ensuite, je retournais chez les clients pour récupérer les clichés et les réintégrer dans les archives.

Avec Claude Gassian, j’ai, peu à peu, découvert l’ensemble du circuit commercial qui était la pratique de tous à cette époque déjà lointaine. Pour aller proposer les photos aux journaux, je prenais le métro, ou un scooter parfois une moto…  Nous utilisions tous les moyens de transport à notre disposition, y compris ceux des copains. La plupart du temps, les vendeurs d’agences et les représentants de photographes se déplaçaient en scooter.

En 1999, j’ai eu une idée !

L’internet était arrivé en 1994 avec le web. Il y avait déjà quelques boitiers numériques utilisés par des pionniers et je me suis dit qu’il serait vraiment intéressant de créer une structure informatique pour archiver les images, les légender et puis les diffuser.

Pour moi, l’arrivée de ces « nouvelles technologies » était un moyen vraiment intéressant de continuer le métier sous une forme différente. J’étais persuadé que tout le monde allait passer au numérique ! Évidemment, au départ l’approche informatique était un inconvénient, mais j’étais persuadé que tout le monde allait très vite sauter le pas… Mais en fait, à la réflexion, j’ai l’impression que nous étions un peu les seuls à avoir eu cette idée. J’en ai parlé à Alain Billen du service photo de VSD.

Je lui ai dit : « ce serait bien de regrouper les photographes et de mettre en place un serveur photo pour qu’ils puissent y déposer leurs images et les diffuser. Alain en a parlé à Cyril Wiet, qui était le vendeur de l’agence Imapress. Il a provoqué une rencontre et entre Cyril et moi, le courant est passé.  Il a, lui aussi, trouvé l’idée hyper intéressante. Et de fil en aiguille, en a discuté également avec une autre personne : Richard Mazzella, qui travaillait comme technicien à l’agence de presse Starface chez Jeff Pekala. Tous les trois, nous avons décidé de créer une entreprise : Wimago [1], pour Wiett, Mazzella, Godallier !

Nous avons déposé 50 000 francs en banque pour créer une SARL, divisé les parts en trois : 33% chacun. Moi, j’ai dû emprunter 16 500 francs à mon papa. Je n’avais pas les sous pour ma part de capital.  Et puis, je suis devenu le gérant.

Nous avon commencé à démarcher.  Notre premier client ?  Gérard Vandystadt, un photographe de sport, patron de l’agence épnyme. Mais, en fait, nous avions vendu une idée qui n’existait que sur le papier ! Nous avions besoin de toute urgence d’un développeur pour créer l’outil !  Et c’est là que Cyril me parle d’Yves Yves Guibeaud ; il était à la fois photographe et développeur informatique à l’agence Imapress de Jean Deseunois.

La rencontre avec Yves Guibeaud c’est très bien passé. Avec Yves, tout de suite nous étions sur la même longueur d’onde. Lui, il avait développé déjà un petit outil pour Imapress, mais il était tout seul dans son coin. Il cherchait un peu du renfort à la fois technique, mais aussi, surtout, commercial.

Nous lui avons tout de suite parlé de ce développement à faire pour Vandystadt.  Il a dit: « Oui, moi, ça m’intéresse, c’est ce que je veux faire. » Du coup, il est rentré dans le capital de la société. Avec son arrivée nous avons tous possédé 25% des parts de la boite chacun. Lui, il a cédé le petit bout de développement qu’il avait fait de son logiciel comme apport. Yves, c’est vraiment une belle rencontre.

Yves Guibeaud est devenu mon mentor

Début des années 2000, Yves Guibeaud avec un pull jaune, pendant une formation dans les locaux de l’agence Editing. A sa gauche, Marie Christine Karsenty de l’agence Editing et Alexandre Arica développeur Propixo à l’époque. Collection personnelle.

Yves Guibeaud m’a tout appris des nouvelles technologies :  Linux, et surtout l’importance du réseau. Il me disait toujours: « Ce n’est pas les logiciels qui vont dominer l’avenir, mais ceux qui vont posséder le réseau ». Cette phrase m’a marquée !  Aujourd’hui, c’est exactement ce qui se passe : Netflix, Facebook, TikTok et tutti quanti… Le plus important, ce n’est pas l’outil en soi, c’est le réseau de diffusion qui assure la réussite avec la diffusion à grande échelle de contenu.  Même si les offres commerciales divergent, chez la plupart de ces structures, c’est vraiment le réseau qui en fait des entreprises internationales devenues incontournables.

Début des années 2000, notre outil fonctionne, il est opérationnel. Gérard Vandystadt est très content. L’outil permet aux photographes de déposer par FTP les fichiers des images numériques. Les photos sont récupérées par l’outil qui permet de légender, de faire un editing comme sur une table lumineuse et, de les mettre à disposition sur un site web pour que les clients viennent rechercher puis télécharger celles qu’ils veulent publier.

Notre outil peret de diffuser les photos aux journaux par FTP ou par mail avec des possibilités déjà sophistiquées de créer des planches contact pour des destinataires précis, à l’unité par mail ou par liste. Nous proposons aussi des planches de validation pour la sélection, la diffusion ou pour la rédaction des légendes par différentes personnes.

Nous avions vraiment passé un cap :  terminer les ektas, terminer les tirages, tout était enfin devenu numérique.   Honnêtement, à cette époque, je ne pensais pas trop au marché,.. On est début 2000, la première structure a été créée en août. Donc, nous arrivons sur le marché début 2001. Et Il y a très peu d’agences qui sont équipées pour ce nouveau monde.

A l’époque, je me souviens que même Kodak, qui vendait un logiciel différent n’était pas « full web » comme nous. Nous étions les premiers à pouvoir fournir un logiciel et un serveur photo « full web », c’est-à-dire que tout se passait sur un seul site. Nous avions des concurrents : Algoba, FotoWare…  Leurs solutions nécessitaient toujours l’installation d’un PC quelque part, un serveur dans les locaux et éventuellement un site web ailleurs. La solution Kodak ne nous arrivait vraiment pas à la cheville en temps de réponse d’affichage de photo. Donc, nous étions fiers parce que quand même faire mieux que Kodak…

Getty et Corbis, les deux monstres de l’époque, sont déjà là. Et puis, il y a Gamma et une kirielle d’agences rachetées par Hachette Filipacchi (Groupe Lagardère). Je connaissais Lionel Fleury, le directeur des services d’information chez Hachette, ex-président de l’Afp ; c’est une personne que j’apprécie énormément. Je l’ai harcelé parce que nous avions certes vendu l’outil à l’agence Vandystadt, mais nous étions quatre à travailler ! Nous avions quand même pris deux développeurs en plus pour soulager Yves.  Il y avait pas mal de boulot.

Le problème, toujours le même, il fallait se rémunérer, et c’était un peu compliqué. Nous n’avions pas de trésorerie et pas de financiers. La période était, très, très complexe :  il nous fallait trouver d’autres clients. Mais, c’était difficile de faire franchir le cap aux agences. Il y avait une certaine appréhension de la part des patrons et des employés des agences.

Pendant qu’Yves et son équipe développait l’outil, l’enrichissait vraiment, j’ai pris l’initiative de contacter Lionel Fleury pour lui montrer ce que nous avions fait avec l’agence Vandystatdt et le pauvre, je l’ai harcelé :  au 41ème appels téléphonique, il m’a donné rendez-vous et nous a donner à faire l’audit de l’agence Gamma, acquise peu de temps auparavant. Il espérait en faire le leader d’un conglomérat d’agences de presse appelé Hafimage [2]. Nous avons fait l’audit et le résultat a été surprenant. Toutes les agences achetées par Hachette : Gamma, Rapho, Keystone, Explorer, Jacana etc. avaient des systèmes informatiques différents, qui ne communiquaient pas les uns avec les autres. De ce fait, l’audit a révélé que près 30% des photos publiées ne pouvait pas être facturées ! Je pense que Lionel Fleury s’en doutait un peu. C’était peut-être pour lui une façon de dire à sa direction: « Vous voyez, là, il faut vraiment qu’on fasse quelque chose. Il faut absolument qu’on trouve une solution pour fédérer tout ça ! »

Nous lui avons montré le site de l’agence Vandystadt. La rapidité d’affichage des photos lui a plu. C’était vraiment bluffant. En gros, notre outil allait dix fois plus vite en termes de recherche et d’affichage de photos qu’avec des images sur un PC en local ! C’était une petite révolution quand même.  Lionel Fleury nous a alors donné un second travail à faire :  le graphisme de l’intranet pour Paris Match et Elle, ce qui nous a donné un peu de trésorerie. Ensuite, il s’est tourné vers d’autres fournisseurs :  nous étions trop petit pour cet énorme Groupe. Pour nous, l’audit de Gamma a assis notre volonté de mettre tous les acteurs de la chaine au coeur du logiciel, photographes, éditeurs, vendeurs etc. C’était un vrai challenge !

Zéro trésorerie, aucun inverstisseur…

Pendant un an, je ne me suis pas payé pour que la société puisse continuer à tourner. C’était une période à la fois excitante, euphorisante, mais par contre, financièrement, c’était zéro. Vraiment, c’était tout le problème. Pour tous les acteurs à cette époque, la numérisation était une technologie difficile à accepter.

Entre 2000 et 2003, de fut l’heure de la révolution digitale ! Le photographe, lui, était souvent encore équipé en argentique, il a dû investir dans des boitiers numériques. L’éditeur dans l’agence, est devenu peu à peu également celui qui écrit les légendes et les metadonnées, donc pour lui aussi, une autre façon de travailler. Et pour les vendeurs qui avaient l’habitude d’aller dans les rédactions en scooter avec des sacoches bourrées de diapos et de tirages, ils devaient rester à l’agence pour diffuser eux-mêmes les contenus via les nouveaux outils. Donc, tout ça, c’était un changement radical. C’était énorme.

De notre côté nous arrivions à accrocher quelques clients, mais malheureusement, Cyril Wiet nous a quitté début 2002 pour s’installer à Nantes avec sa compagne. Il souhaitait créer une succursale, mais nous avions déjà du mal à nous payer. Et puis peu après, Richard Mazzella a fini par ne plus y croire et il est retourné chez Starface. Nous sommes restés Yves et moi, tous les deux avec les parts des deux autres et donc avec 50% de la boite chacun. Et ça a plutôt pas mal fonctionné pendant deux ans jusqu’au jour où…

En 2004, j’ai vu arriver Yves au bureau avec une sale mine. Il se plaignait de douleur au crâne. Ça a duré quelques mois. Et puis, un jour, il me donne rendez-vous dans un bar. Quand je l’ai vu, j’ai tout de suite su que c’était très grave. Il avait le visage jaune et m’a annoncé qu’il avait un cancer du pancréas. Il est décédé cinq mois plus tard, et, j’ai perdu mon mentor.

C’était très dur, mais j’ai, quand même, décidé de continuer l’aventure. Je ne pouvais pas abandonner les clients ! Ils avaient cru en nous, ce n’était pas possible. Donc, Propixo est né à ce moment-là.

Vingt ans plus tard, l’aventure continue avec une quarantaine de clients et des centaines de millions d’images hébergées dans nos serveurs. La vie est ainsi faite :  chagrin, joie ,excitation… Malgré le décès d’Yves, auquel je veux rendre hommage, et le fait que Richard et Cyril soient partis je garde vraiment un très bon souvenir de nos débuts dans cette époque révolutionnaire. Je suis marqué à vie par cette histoire-là.

Site web de Propixo

Notes

  • [1] Wimago est une SARL créée le 1 aout 2000 au 16 rue des Fédérés 93100 Montreuil et radiée du registre du commerce le 24 juillet 2008
  • [2] Hafimage est une société holding, SA à conseil d’administration crée le 25 mai 2000 pour regrouper les agences de presse acquises sous la houlette d’Anne-Marie Couderc et Pierre Boissier. En dehors des prises de participation dans les agences, la société, jamais déclarée au registre du commerce semble n’avoir eu aucune autre activité.

 

Michel Puech


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