Yan Morvan est décédé : un choc, un de plus. Yan était un personnage qui ne laissait pas indifférent, il ne faisait pas dans la demie-mesure. On l’aimait ou pas, il t’aimait ou pas… Il était quelqu’un d’à part.
J’ai appris à le connaître durant les années de travail en association sur « Hexagone » qui devait être exposé à Arles, mais la Covid nous a coupé l’élan. Sur ce sujet et bien d’autres nous avions de gros points de divergences, parfois il y avait des étincelles, mais nous avions eu l’intelligence d’un pacte moral : pour ce projet sur la France il fallait mettre nos egos de côté, et le mener au bout. Il était évidemment bien plus important que nous car c’est lui qui resterait dans l’Histoire.
J’ai décidé de le continuer il y a quelques temps avec l’aval de Yan. Lui, il avait envie de retourner au news, ce qu’il a fait avec quelques voyages en Ukraine et en Israël.
Nous avions en commun cet amour du photojournalisme, du rapport de l’image à l’information, de laisser une trace dans l’histoire en documentant notre période. Notre énergie commune, à croire que tout était encore possible comme dans les années 80, rien ne pouvait nous arrêter, sauf…
Il lui arrivait de s’emporter tel un ouragan, parfois ça faisait du dégât, mais très souvent c’était tourné en dérision grâce à sa culture et sa faconde. Maître de la provocation c’était un rouleau compresseur d’énergie. C’était aussi un puits de culture. Il pouvait se fondre aussi bien dans les bas-fonds que chez les aristocrates. D’ailleurs quand il me recevait chez lui en robe de chambre en harmonie avec ses chaussons, son pyjama et son tapis il aimait se présenter en aristo anarchiste, rien que ça c’était Yan Morvan.
J’ai eu l’occasion maintes fois de le voir « œuvrer ». J’en suis arrivé à imaginer qu’Il y avait une certaine pudeur, peut être voir de la timidité derrière ses envolées verbales. Possible qu’il ne montrait pas toutes ses qualités pour être en accord avec les marginaux, et sa vie pleine de bosses. En tous cas il respectait les gens bien plus qu’on ne puisse l’imaginer. J’en ai eu la preuve en travaillant ensemble sur notre sujet « hexagone » , pendant quatre ans à travers la France. Sa force : être sûr de lui, d’en imposer, certains diront que c’était une grande gueule, peut-être mais il avait les mots et sa verve écrasait souvent l’impétueux qui osait se frotter à lui. Je ne dis pas qu’il avait toujours raison, nous sommes passés par de bons coups de gueules entre nous. J’ai souvenir de réunions avec des gens importants ou il pouvait être extraordinaire comme tout faire écrouler en deux mots.
Yan c’était un personnage, il n’avait peur de rien ou plutôt de personne. Quand je le voyais scanner les gens que nous rencontrions, parfois il me regardait et je lui faisais non de la tête pour calmer son envie d’y aller, mais souvent je ne servais pas à grand-chose et la tornade Yan balayait tout.
Je me souviens d’un déjeuner irréel avec un ministre de la Culture totalement hors sol, ce jour-là il n’avait rien dit, par contre pendant les deux heures qui ont suivies nous avons éclaté de rire, il était trop fort pour en remettre des couches.
C’est sûr qu’il va laisser un vide dans le paysage photographique français. Je comprends mieux sa précipitation à vouloir publier des livres à raison de plusieurs chaque année, en se lançant aussi avec ses fanzines à tout va. J’avais du mal à suivre, un jour à la suite de la déception de n’être pas exposé à Arles, il m’a dit : « On s’en fout de l’expo c’est du présent, ce qui restera de ton travail dans le futur c’est le livre ». Il avait raison, un livre ça ne se jette pas.
Alors que je courais dans tous les sens dans ma jeunesse il savait se poser et faire du fond : ses livres sur les années Thatcher, le Liban, les gangs, l’année 1981, la force de son travail c’était ça, s’informer, s’instruire, travailler, rester… Le résultat est là !
Chapeau l’artiste, ça s’est pour le faire sortir de ses gongs ! il avait horreur qu’on le prenne pour cela, il ne vivait que pour l’information, le photojournalisme. Quand il me parlait de la jeune photographie il en faisait des tonnes évidement et me faisait rire dans ses excès, mais souvent il envoyait une pique bien placée, justifiée. Yan laissera un travail inédit dans le paysage photographique. De notre duo nous nous étions surnommés la glace et le feu, moi tout en retenu, lui toujours enflammé partant pour tout, comme un gamin qui aurait son premier billet d’avion sur un coup de news.
Hier la flamme s’est éteinte. Il faut bien froid cette nuit.