J’ai rencontré Yan Morvan, pour la première fois, à Fotolib, cet incubateur gauchiste de photographes en devenir… Beaucoup d’entre nous, d’ailleurs, ont fait autre chose, d’autres formes de journalisme, de l’enseignement, de la réalisation télévisuelle, de l’écriture etc. Pas lui, il voulait être photographe.
En fait, il ambitionnait de devenir le plus grand photoreporter du monde. Rien moins !
Or, il manquait de technique. Il s’en était rendu compte par hasard. Selon Richard Goldfarb, l’un de ses plus proches amis, un beau jour, il croise une séance de mode dans la rue à Paris. Il s’y greffe subrepticement pour essayer ensuite de vendre ses photos à la direction artistique. Elles étaient invendables… .
On connaissait tous Yan juché sur une grosse moto, affublé d’un blouson noir. Ce n’était pas mon style, plutôt cheveux longs et barbe à la Jésus-Christ. Pour moi, il n’était pas vraiment à sa place dans notre monde militant. On avait une cause à défendre, pas lui.
Sous ses dehors de rocker sûr de lui, il avait un gros problème de confiance mais, par ailleurs, il était tenace et pour exercer le métier qu’il avait choisi, il a compris qu’il lui fallait cette technique qui lui manquait. Et c’est ainsi qu’il est parti se former en Angleterre, notamment à la chambre. Outre la technique, il avait un œil, un courage physique et du culot, ce qui lui a permis de s’implanter dans les milieux les plus invraisemblables (skinheads, bandes de motards, junkies etc.).
Avec un sens journalistique certain, il se renseignait, lisait quotidiennement la presse, construisait des dossiers. En d’autres termes, se comportait davantage en journaliste qu’en photographe, ce qui va lui permettre de construire des reportages au long cours. Naturellement, dirons-nous, qui ne le faisait ? En vérité, peu d’entre nous parce que nous réagissions et, à l’époque, il y avait encore peu de « reportages dossiers ».
A l’orée des années 80, il photographiait en noir et blanc. Comme tout le monde !
Pourquoi le noir et blanc ? Parce qu’il y avait peu de débouchés pour la couleur. La plupart des journaux publiaient en monocolore. Seules les couvertures de magazines étaient en couleurs mais quand elle n’étaient pas prises en studio, elles étaient très formatées et forcément verticales.
J’ai un souvenir personnel. Je devais, lors d’un reportage, assurer la couverture du Nouvel Observateur. Couleur donc mais avec de l’air au dessus du sujet pour le titre et de l’air à droite pour la titraille. C’est dire si la photo couleur était peu de choses. Naturellement, Paris Match, Newsweek, Life Magazine ou Time Magazine publiaient des photos couleurs mais sous forme de cahier photos restreints. Match ne se mettra, du jour au lendemain, à la couleur qu’en 1984. Il n’y avait tout simplement pas assez de clients avant la fin des années 70.
Yan faisait alors de la couleur, comme tout le monde quand il en faisait, mais qui était pensée comme du noir et blanc, colorisé en quelque sorte. Typiquement ces deux photos prises en 1977, l’une en NB et l’autre en couleur.
Rares étaient les photographes de cette époque à penser en couleur. Quand certains le faisaient (comme Doisneau, par exemple, qui devait faire un reportage aux Etats-Unis à Palm Springs) leurs images étaient presque toujours refusées parce que trop « artistiques » ou trop personnelles. Dans ce cas particulier, ce reportage ne sortira que des années après la mort de Doisneau. Mais ce dernier n’était pas tout à fait un photoreporter. Les photos couleurs de la Seconde Guerre mondiale ne seront également exhumées que des décennies plus tard et jamais publiées à l’époque sauf dans Life.
Personnellement, le seul projet photographique que j’ai mené sur le long terme, pendant dix ans, a été l’occupation militaire britannique en Irlande du nord. Je faisais des photos en compagnie de Patrick Frilet et Sorj Chalandon. Je me souviens avoir fais des photos couleurs tout le long de mes reportages. Je n’en ai pas vendu une. Trop personnelles.
En Irlande, lors de la mort de Bobby Sands, en 1981, Yan a couvert l’événement et lui aussi a (magnifiquement) travaillé en noir et blanc. Il a fait quelques couleurs, au demeurant excellentes, et où pointe déjà son travail sur la couleur. Il disait, et il avait raison, que l’Irlande n’intéressait personne. Nous n’étions que quelques uns à couvrir ce conflit interminable et parfaitement incompréhensible pour beaucoup.
« C’était tendu, dangereux. Mais j’étais le bienvenu : les insurgés étaient parfaitement conscients du pouvoir de l’image pour gagner l’opinion mondiale, jusque-là globalement hostile, à leur cause. » Yan Morvan
L’année suivante, il se rendit à Beyrouth et il a radicalement changé. Pascal Rostain travaillait pour Paris Match et Yan pour Sipa. Ils se partageaient les frais, ce qui revient à dire que c’était Match qui payait. Le souvenir qu’en a Rostain, c’est celui d’un garçon courageux, toujours là au bon moment. Mais ce que l’on a retenu, à ce moment-là, c’est une photo emblématique : la grande roue de Beyrouth, colorée en rouge, sur fond d’immeubles blancs et de fumée noire.
Soudain, on a compris ce que pouvait apporter la couleur. Yan Morvan va explorer ce mode d’expression qui s’ajoutera à ses cadrages et ses points de vues. Ce sera particulièrement flagrant sur ses différents reportages au Liban, qui vont faire l’objet d’un ouvrage intitulé « Liban, Chroniques de guerre 1982-1985 ». Une période où la couleur en reportage est loin d’être systématique.. De plus, et c’est l’une des ses originalités, il va changer de format. Sur un déroulé chronologique, on va voir ses photos passer du 24×36 à la chambre Linhof Technika 4×5, résultat de son apprentissage en Angleterre.
Travailler à la chambre sur un terrain de guerre était incontestablement inédit.
Evidemment, le travail sur la luminosité et les contrastes colorés était pensé comme un objet en soi et comme un élément de reportage supplémentaire. Ce qui faisait son originalité à cette époque. Si Yan n’était pas le premier, incontestablement il a montré toute l’étendue de son talent, au-delà de la simple « plaque » et du cadrage parfait…
- A propos de Lee Miller
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