Corentin Fohlen est un photojournaliste indépendant français né en 1981. Lauréat de deux World Press Photo et d’un Visa d’or au Festival Visa pour l’Image, il couvre l’actualité depuis deux décennies, a entamé un travail à long terme sur Haïti et réalise des portraits et des séries plus personnelles. Talentueux photographe, il possède également une belle plume et a entrepris une chronique écrite, car si la photographie donne à voir au premier coup d’oeil, le texte qui l’accompagne enrichit la compréhension du regard. Gilles Courtinat
« Voilà, cela fait 20 ans que je suis photographe professionnel. Presque une génération. Je lance ici une rubrique que j’agrémenterai de mes archives avec le récit derrière l’image. Car si la photographie donne à voir au premier coup d’oeil, le texte qui l’accompagne enrichit la compréhension du regard. Et oui, mes premiers cheveux gris me permettent la prétention de jouer la nostalgie surannée doublée d’une subtile sagesse. Je partage avec vous le parcours d’un jeune homme qui, dans la fougue de ses idéaux, s’est retrouvé confronté à fugue de son innocence. »
En octobre 2004 je décide de me lancer dans le photojournalisme à coeur perdu. Après avoir rencontré la directrice d’une petite agence photo, Slavie de Wostok Press, cette dernière me donne ma chance sur un book de photographie honnêtement piètrement qualitatif. C’est Rémi Ochlik qui me la fait rencontrer.
Dans la foulée de cette nouvelle qui me remplit de joie, je démissionne de mon boulot à la Fnac Service, je quitte ma chambre de bonne et squatte quelques temps les locaux de l’agence: chaque soir un matelas installé entre les étagères des archives de l’agence me permet d’économiser un loyer. Mes pieds dépassent dans le couloir, je suis réveillé chaque matin par ses nombreux chats, sa voix rauque (Slavie, pas le chat), les odeurs de la cuisine slave imprégnée de friture d’oignons et son penchant culturel pour la vodka dès 6h du matin. Une période magique pour moi: à couvrir jusque 6 ou 7 « sujets » par jour. À courir en métro d’une conférence de presse, une manif ou un meeting politique.
Mais je veux me retrouver sur les “vrais terrains », bercé par mon fantasme d’ado sur la période des sixties et de la guerre du Vietnam.
Fin novembre je décide de partir en Ukraine pour couvrir la Révolution Orange qui s’y déroule depuis 2 mois. Des opposants au président réélu Viktor Ianoukovytch occupent la place centrale de Kiev (dorénavant orthographiée Kyiv). Après des jours d’hésitation, je me décide de partir accompagné d’un confrère de l’agence, Bruno Levesque.
Faute d’argent, nous prenons un bus Eurolines. L’agence paie le ticket, le reste sera à nos frais. Je suis complètement excité, c’est mon premier reportage à l’étranger et je pars sur ce qui ressemble à une révolution ! Le trajet durera 48 heures. On dort dans le bus, on discute avec une jeune Ukrainienne qui va retrouver son pays, on se laisse bercer par les films insipides qui braillent en ukrainiens et on se retrouve désemparés à chaque arrêt déjeuner : tandis que les voyageurs partent s’installer dans le restaurant routier, Bruno et moi n’avons même pas les moyens de nous payer un plat chaud! C’est sandwich et barres chocolatées au mieux, la faim en prime. On compte nos sous à l’euros près!
Nous arrivons enfin à Kiev. Le temps de déposer nos sacs à dos dans un appartement glauque très cliché « ex-pays soviétique », et Bruno et moi fonçons sur la place de l’Indépendance, la fameuse place Maïdan. Coup de chance, tout autant qu’erreur de débutant d’arriver si tardivement, nous pénétrons sur l’immense place envahie d’une foule compacte, le dernier jour, de la dernière heure du tout dernier meeting de l’opposant Iouchtchenko. Le temps de s’avancer au premier rang, aidé d’une fausse carte de presse imprimée la veille de notre départ, et le temps de faire quelques photos du leader et le discours se finissait.
Dès le lendemain les opposants qui avaient installés des tentes depuis plusieurs semaines démontaient le camp et rentraient dans leur campagne. Une vraie déconvenue pour nous mais en même temps un vrai bonheur d’être sur place. Au bout du troisième jour plus rien ne restait à photographier.
Nous avons fini notre séjour à faire des illustrations des églises orthodoxes de Kiev. Dans ce métier il faut savoir humblement s’adapter. Retour à Paris, pas un sou en poche, aucune vente mais rien à foutre, c’était mon premier reportage à l’étranger, et pour moi c’était mon Vietnam !
(à suivre)
Les tirages des images présentées sont en vente en Fine Art, signé, en format 20×30 cm, au tarif de 180 euros au profit de mon chauffeur et ami haïtien Wood. Pour cela contactez-moi fohlencorentin@gmail.com
- Corentin Fohlen
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