La Société civile des auteurs multimédia remet chaque année le Prix Roger Pic (du nom de son instigateur, photographe humaniste, réalisateur et militant du droit d’auteur) à «l’auteur ou l’autrice d’un portfolio photographique qui documente le réel et interroge l’humain avec singularité». Cette année, le lauréat de la 32e édition est Corentin Fohlen pour sa série « Sueur et tremblement » consacrée à Haïti et son histoire, sujet sur lequel le photographe travaille depuis de longues années. La violence dans ce pays a une longue histoire. Celle du passé colonial de ce petit territoire qui a enrichi des empires européens par son une exploitation brutale des êtres humains et un pillage organisé de ses ressources. C’est aussi l’histoire d’un peuple esclave qui se libère par les armes pour gagner son indépendance ce que les puissances dépossédées lui feront cher payer.
« Haiti ce petit bout d’île, dont on a sciemment oublié qu’il fut au centre du monde durant plusieurs siècles, s’est construit par la violence à travers l’histoire. Les malheurs d’aujourd’hui sont la résultante de son exploitation humaine et géographique d’antan.
Par ce récit photo-documentaire, j’explore la manière dont la violence systémique a construit le pays, façonné les paysages, exploité l’humain et comment le passé déstabilise encore le présent, rendant incertain l’avenir.
De tout temps Haïti a été au centre d’enjeux politiques et économiques. De l’arrivée de Christophe Colomb venu exploiter les indigènes pour l’or, à la période de la piraterie des Antilles, puis par l’exploitation d’esclaves noirs venus d’Afrique pour la récolte du sucre et du café notamment, jusqu’à la libération des esclaves par une révolution violente. Depuis, les puissances coloniales européennes ont puni l’affront qui leur a été fait au début du 19ème siècle. L’ingérence étrangère destructrice a continué différemment jusqu’au 21ème siècle, en soutenant les dictatures, en déstabilisant et s’immisçant dans les affaires politiques et économiques du pays.
Aujourd’hui les conséquences sont lourdes à porter pour le peuple haïtien: corruption, destruction de l’Etat, corruption des élites politiques et financières, économie ultra-libérale moribonde, retour des gangs, crise écologique accentuée par la déforestation et la mauvaise gestion des ressources, dégradation du patrimoine historique, etc.
Pour ce travail débuté en 2010, je me suis plongé dans la grande Histoire de ce petit pays pour tenter de comprendre les rouages de cette violence. Expliquer les racines du mal, c’est éviter la vision simpliste d’un pays complexe, et ainsi mieux comprendre les enjeux d’un avenir à venir. » (Corentin Fohlen)
- Bastien Ohier
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