Crée en 2009, le Prix Carmignac du photojournalisme soutient chaque année la production d’un reportage photographique et journalistique d’investigation sur les violations des droits humains dans le monde et les enjeux géostratégiques qui y sont liés. L’édition 2024 a récompensé le projet collaboratif de la photojournaliste Kiana Hayeri et de la chercheuse Mélissa Cornet intitulé « No Woman’s Land ».
Les deux autrices ont voyagé pendant six mois dans sept provinces d’Afghanistan, à la rencontre de plus de 100 femmes afghanes dont des militantes, des journalistes, des mères et des membres de la communauté LGBTQI+. Leur travail documente les conditions de vie des femmes afghanes et la manière dont les talibans les ont systématiquement exclu de la vie publique en leur refusant des droits fondamentaux tels que l’éducation, le travail et la liberté de mouvement. Elles ont utilisé divers supports, photos, vidéos, dessins et œuvres d’art créées en collaboration avec des adolescentes afghanes, pour éclairer la situation.
Depuis le retour des talibans au pouvoir en Afghanistan en août 2021, la situation des droits des femmes s’est considérablement détériorée. Les talibans ont mis en place un système qui les exclut systématiquement de la vie publique et les prive de leurs droits fondamentaux. Elles ne peuvent plus accéder à l’école et l’université, travailler ni se déplacer librement sans chaperon masculin, les parcs et bains publics ainsi que les salons de beauté leurs étant aujourd’hui interdits. Obligées de se couvrir le visage en public, soit avec une burqa, soit avec un niqab, elles ne doivent plus faire entendre leur voix en public, ce qui inclut le chant, la récitation et la lecture à haute voix. L’expulsion de familles afghanes du Pakistan a également des conséquences particulièrement graves pour les femmes et les filles, ce qui s’accompagne d’une augmentation des mariages d’enfants. Ce changement a entrainé une perte d’espoir et de joie, les rêves d’éducation et d’intégration sociale se sont évanouis et elles sont devenues les premières victimes des crises économiques et alimentaires, ainsi que de l’effondrement du système de santé.
Pourtant, malgré la répression et une vie quotidienne bouleversée par les restrictions imposées par le nouveau régime, certaines résistent. Elles organisent des fêtes et des événements clandestins chez elles, où elles peuvent danser, chanter et profiter d’un rare moment de liberté dans le secret du huis clos. Elles trouvent également des moyens de poursuivre leur éducation dans des écoles clandestines, au risque de représailles de la part des Talibans.
« L’emprise des talibans sur la vie des femmes est si forte et les paramètres de leur liberté si restreints qu’il suffit d’un minuscule écart pour que cela soit considéré comme une résistance par les dirigeants draconiens. Pour les femmes et les jeunes filles, le simple fait d’exister peut sembler presque impossible. Aller se promener, danser avec des amis, jouer de la musique sont autant de défis aux plus de 80 règles, édits et décisions des talibans contre les droits des femmes. (…) La plupart des moments de joie se déroulent derrière des portes closes, dans ce qui reste du territoire des femmes. A l’abri dans l’intimité de leur foyer, les femmes et les jeunes filles se défont de leurs burqas ou abayas, et hijabs pour dévoiler des vêtements colorés. Ce n’est que dans les maisons les unes des autres qu’elles peuvent désormais trouver ces quelques moments précieux de fraternité. et de réconfort ensemble, étant exclues de tous les autres lieux où elles passaient du temps ensemble auparavant. (…) En fin de compte, ces petits actes de joie ne sont pas seulement un défi aux règles des talibans, mais aussi un défi à l’obscurité qui cherche à les engloutir tout entières. Ils rappellent que même dans l’hiver le plus rude, il y a une lumière qui s’allume, cachée, mais vivante. » (Extrait de l’essai de Mélissa Cornet « La joie comme forme de résistance »)