« Vagabonder, j’aime vagabonder entre deux lumières. » Micheline Pelletier est une curieuse. Une insatiable de la beauté du monde ; et une « intrépide » selon Françoise Giroud. Elle a une autre grande qualité, elle veut que ses photographies ne soient pas qu’une rencontre avec la beauté de la nature, elle veut transmettre, alerter par le savoir. Elle a le journalisme au cœur.
Micheline Pelletier est née à Paris en 1953. Très jeune elle apprend le travail de laboratoire photographique, mais veut devenir journaliste. « Je me souviens encore du moment où j’ai ouvert l’enveloppe qui contenait mon sauf-conduit. Ma carte de presse, barrée de bleu, blanc, rouge, porte le numéro 44175. Si les chiffres gravés sur la peau n’étaient pas de sinistre mémoire, je me les serais fait tatouer. » Elle débute à la fin des années 70 et signe ses photos : Micheline Pelletier-Lattès du nom de son père et de sa mère, jusqu’au jour où le photographe Jean Lattès lui fait un procès pour utilisation de son nom !
Elle est la première femme à intégrer le « staff » de l’agence Gamma. « À l’époque, une femme dans une agence de presse, c’est être au mieux un fantôme et, en conférence de rédaction, un lapin dans un repas de chasseurs. »
Pour Gamma, elle va réaliser des centaines de photographies, des bouleversements iraniens et cambodgiens mais également beaucoup de portraits. Des écrivains, des scientifiques, des politiques…
Elle quitte Gamma en 1989, est « rachetée » par Sygma, puis passe sous Corbis, et est finalement diffusé par Getty images.
Aujourd’hui, elle est toujours bouillonnante, mais elle s’est calmée comme elle le dit elle-même dans l’entretien qu’elle nous a accordé à la Villa Tamaris. Elle a parcouru le globe pendant cinquante ans, a été onze ans la photographe des femmes scientifiques pour le prix l’Oréal / Unesco. Sa série de portraits des lauréats du Prix Nobel de la Paix a été publiée dans plus de vingt-sept pays et exposée dans les lieux les plus prestigieux en Europe et aux États-Unis.
Engagée dan les grandes causes écologiques, elle a travaillé pour les cinquante ans du WWF et a publié Terra Incognita, l’île de Pâques. Et puis, cette année : les Açores, avec une exposition et un livre encyclopédique sur l’archipel. L’exposition à la Villa Tamaris est le résultat d’un minutieux et érudit travail sur l’archipel des Açores où elle convoque la géographie, la géologie, l’Histoire. (voir notre article).
Avec Jacqueline Franjou elle est à l’origine de l’association L’œil en Seyne qui programme les expositions de la Villa Tamaris ou l’on a pu voir : Willy Ronis, Robert Doisneau mais aussi Yan Arthus Bertrand, Claude Gassian, Flore, Laurent Balestat, Gérard Rancinan, Pascal Maitre et tant d’autres.
Entretien avec Micheline Pelletier
Enregistré vendredi 11 octobre 2024 à la Villa Tamaris
Ta carrière dans la photographie a commencé au labo de Paris Match en quelle année ?
« Laisse-moi revenir en arrière… En 1970, j’ai une hépatite virale suivie d’une mononucléose. Je suis en hypokhâgne et je commence une khâgne. Et à ce moment-là, on me dit : non, non, là, il faut arrêter. Vous êtes beaucoup trop fatiguée. Mais j’ai déjà l’idée d’être journaliste. »
D’où te vient cette idée : le journalisme ?
« Mon côté humanitaire ! J’ai croisé, un jour, dans un train une dame et un petit garçon trisomique, et je me suis : il faut dire tout ça. Il faut le dire ! Je voulais écrire. Et en même temps, j’étais passionnée de photos. J’allais à la maison de la culture d’André Malraux, qui était à cent mètres de chez moi, à Paris. C’est là, qu’à partir de 13, 14 ans, j’ai appris le travail de labo. J’ai appris à tirer du noir et blanc. »
« Je suis rentrée en stage à Paris Match au laboratoire. On m’a mis tout de suite à la couleur, puisque je connaissais le noir et blanc. Toujours en stage, je suis allée au studio parce que je voulais apprendre les lumières. J’étais à très bonne école. A l’époque, avec Match, Prouvost avait sept autres magazines. Même les Américains venaient à Match pour prendre des photos de mode. J’ai travaillé avec Art Kane qui m’a demandé de l’accompagner à New York et d’être son assistante. »
« Rentrée à Paris, j’ai travaillé avec Sacha pendant un an et demi. Elle était une photographe de mode, de publicités, elle m’a appris une grande rigueur. Il n’y avait que trois hommes avec lesquels je voulais travailler : Franck Horvat, Guy Bourdin et Helmut Newton. J’ai demandé à Helmut Newton. Il m’a dit je ne laisserai pas une femme porter mes lumières balkars ! J’ai demandé à Guy Bourdin qui m’a dit : non, je ne prends que des jeunes gens. Il me restait Franck Horvat et coup de chance, justement il cherchais une assistante ou un assistant. Il a regardé mes photos. J’avais un petit book… J’avais vécu chez les pygmées, j’avais également commencé à photographier les grands parcs nationaux américains. Et, j’avais aussi entamé une série de portraits à l’Académie française. Je cherchais des tribus : les pygmées, les académiciens…. »
« Du jour au lendemain, je suis devenue l’assistante de Franck Horvat. J’ai beaucoup appris avec Franck. C’était l’époque où il se détachait de la mode et commençait à photographier les arbres. Nous avons parcouru le monde à la recherche d’arbres. Photoshop n’existait pas, donc quand on voyait un fil électrique qui passait devant l’arbre, on disait cet arbre est magnifique, mais on ne peut pas le photographier. Ensuite j’ai volé de mes propres ailes. J’ai commencé à prendre des photos chez l’Oréal. Je gagnais bien ma vie, mais ce n’est pas du tout ce qui m’intéressait. Le monde des mannequins, des coiffeurs et des maquilleurs, c’était très loin de moi… »
Françoise Giroud, c’était mon idole
« Je n’osais pas aller frapper aux portes, je n’aimais pas ça. Mais quand même, au bout d’un moment, je me suis dit : F Magazine, voilà un journal dans lequel j’aimerais travailler, c’était un journal féministe. Je suis rentrée chez F magazine avec Anne Crémieux. Alors que je lui montrais mon petit book, elle m’a dit : vous êtes libre demain ? Je la regarde, je dis oui, pour quoi faire ? Vous allez me faire le portrait de Françoise Giroud.
Françoise Giroud ! C’était mon idole. Le lendemain je sonne à sa porte, les pieds en dedans. En plus, elle était ministre de la Culture à l’époque. Je m’attends à ce qu’il y ait, comme on disait, une camériste qui m’ouvre la porte. Pas du tout ! Françoise m’ouvre la porte : vous pouvez m’aider ? Ma fermeture éclair est coincée ! La glace a été brisée dans l’instant. Je l’ai regardée et j’ai dit : vous n’allez pas me mettre ça ! Les timides ont des fulgurances. Ah bon, ça ne vous plaît pas ? Dites moï ce que je dois mettre. Et c’est le début d’une grande amitié, jusqu’à sa mort. »
« Après, Anne Crémieux m’a envoyé photographier Simone Veil. Même chose. Je me pointe les pieds en dedans et, je dis à Simone Veil : excusez-moi Madame, vous avez du rouge au coin de la lèvre. Je vais vous prêter une boucle d’oreille. Juste une petite perle blanche, ça vous illumine le visage ! En partant, elle me dit : je me ne ferais plus photographier que par des femmes.
Voilà, ce sont des liens qui se sont tissés, peu à peu, avec des personnages dont j’avais à peine rêvé de les rencontrer, mais pour lequel, en fin de compte, je fait ce métier. »
Et comment arrives-tu à Gamma ?
« J’ai la chance de connaître Hervé Tardy. A l’époque, il publié un reportage dans Photo Reporter sur les pygmées. Je suis allée vivre chez les pygmées un petit moment, en forêt équatoriale, Gabon, Congo. Et puis en 1979, c’est le retour de Khomeini en Iran. Simone de Beauvoir, monte un groupe de femmes pour soutenir les femmes iraniennes. Dans ce groupe il y avait Martine Franck, Christine Spengler et moi ; au côté de la journaliste Michele Manceau, l’écrivaine Benoît Groult et d’autres femmes écrivains. Nous devions rencontrer Khomeini. Et pour savoir qui allait y aller, nous avons tiré à la courte paille entre Martine, Christine et moi. Je gagne. »
« Je vais voir Khomeini avec Maria Antonietta Macciocchi et Katia Kaupp du Nouvel Obs. Arrivé sur place, ils commencent par nous enfermer ! Je tempête en disant : vous vous foutez de nous. Nous avons reçu Khomeini à Neauphle le Château ! C’était le nouvel an musulman, comme un coucou, toutes les heures, Khomeini montait sur le toit du bâtiment. Les femmes dans une petite rue, les hommes sur la grande place, et la foule saluait l’ayatollah comme Hitler.
Finalement, il accepte de nous recevoir. On m’avait dit : pas d’appareil photo. Je les pose à l’entrée, mais au moment où les deux premières filles entrent ; j’attrape mes appareils et, je les suis. Je commence à photographier et je l’interroge aussi : comment recevez-vous les nouvelles du monde ? « Mon fils écoute la radio, me répond-il, mais moi non. »
C’est avec ces photos que tu es devenu « staff » à Gamma ?
« Avec Floris de Bonneville, Václav Neumann était rédacteur-en-chef de Gamma. C’était à l’époque de la rue des Petites-Ecuries. Après avoir vu mes photos d’Iran. Vaclav m’a dit : « t’es libre jeudi soir ? Peux-tu aller me faire Mstislav Rostropovitch qui est en concert à Pleyel ? »
« Pendant le concert, je ne suis pas très contente de mon travail. Tu ne peux photographier qu’entre les différents morceaux, pas facile. A la fin du concert, je vais frapper à la porte de sa loge. Bonjour, maître. Je ne suis pas très contente de ce que j’ai fait ; pourrais-je prendre quelques photos de vous avec votre épouse ? Il me répond : mais venez donc samedi après-midi, chez nous ! Je rentre à l’agence et je dis que j’ai rendez-vous avec « Rostro » et sa femme samedi, avenue Foch. Comment as-tu fais ? J’ai demandé, c’est tout bête. Le samedi je fais de jolies photos, et en fait, celles de la salle Pleyel, ont été publiées par Match. »
« A l’époque la misogynie régnait ! J’étais la seule femme là-dedans, Marie-Laure de Decker passait une fois tous les six mois, On ne la voyait pas. J’étais la seule femme. Jean Monteux m’a très vite demandé d’entrer au « staff ». Et j’ai continué à photographier un tas de gens et d’aller au Cambodge… Et puis, j’ai rencontré mon mari, je suis tombée enceinte, j’ai eu deux enfants. Et un jour, il m’a dit qu’il en avait marre que je parte dans des pays difficiles. Les enfants… Tu m’avais promis…. J’ai fini par céder. Et j’ai fini par dire à Alain Mingam : je ne peux pas partir pour Kadhafi demain. Je suis désolée. Et, ce jour-là, mon mari a fait un infarctus pendant la nuit. Si je n’avais pas été là, il serait mort. »
« Au bout de 10 ans, ça a remué assez violemment à Gamma. Je n’étais pas du tout d’accord avec le fait de devenir salarié. On était en droit d’auteur. Je disais aux mecs : c’est en or, ce qu’on reçoit de Gamma. Qu’est-ce que vous voulez ? Etre salarié pour votre retraite ? Je disais à Francis Apesteguy, et à tous : vous êtes en train de scier la branche sur laquelle vous êtes assis, ce qui a été la réalité. J’ai quitté Gamma en 1989 et, j’ai été rachetée, si je puis dire, par Sygma. »
« Alain Mingan venait de créér Sygma 2. Alain est vraiment bien pour les femmes. Il a été formidable parce qu’il nous a toutes promus. Chez Sygma 2, il y avait Gérard Rancinan, Pierre Perrin, etc. J’ai fait du showbiz, de la politique et des écrivains etc. Quand Sygma 2 s’est arrêté, Monique Kouznetzoff m’a récupérée. Monique était un grand patron. Pas facile, même difficile, mais, un grand patron. Il n’y a pas beaucoup de grands patrons de presse. Toutes les vedettes venaient à Sygma parce qu’on payait les maquilleurs, les coiffeurs…Nous aussi les photographes nous payions la moitié des frais. Nous nous en sortions très bien parce que l’agence vendait partout. En agence, une photo ne restait jamais dans un tiroir. »
Quand as-tu quitté Sygma ?
« Bill Gates est arrivé là-dedans. J’ai connu l’époque Corbis… Chaque mètre carré devait correspondre à un emploi. À l’arrivée, si tu coûtais 3 000 €, il fallait que tu rapportes 9 000 €. C’était à l’américaine. Comme les mecs étaient insupportables en conférence de rédaction, j’y assistais très peu. J’allais direct dans le bureau du patron, Monteux quand c’était Monteux, Monique quand c’était Sygma.
« Je proposais des sujets clés en main. Je n’attendais pas qu’on me donne un billet d’avion, je me démerdais toute seule. Il y avait parmi les photographes, des assistés qui n’ont pas su se récupérer quand ce système a disparu. Ils étaient paumés. Et puis, le numérique est arrivé… Les charges sont devenues trop lourdes. Les magazines avaient moins de publicité. Les photos qui se vendait 5000 dollars, se sont vendues 500, et aujourd’hui elles valent 50 ! »
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