C’est l’histoire d’un photographe, de son modèle à Nagasaki et de photographies devenues symboles du combat des irradiés. Joe O‘Donnell, un soldat américain, fut l’un des premiers photographes à entrer à 23 ans dans les zones interdites de Hiroshima et Nagasaki, missionné par son État-major pour documenter les effets des deux bombardements.
Joe O‘Donnell a immortalisé, après les deux bombardements atomiques du 6 et 9 août 1945, l’image de Sumiteru Taniguchi qui allait devenir un fervent militant de l’abolition des armes atomiques qui fut co-président de l’association Nihon Hidankyo ( confédération japonaise des organisations des survivants des bombes A et H ) qui vient d’obtenir le prix Nobel de la Paix 2024. Quand Joe O’Donnell l’a photographié, Taniguchi était un jeune postier de 14 ans dont le dos avait été brûlé suite à l’explosion de la bombe au plutonium 239 surnommée Fat Man à Nagasaki alors qu’il tournait le dos au flash de l’explosion située à 1,8 kilomètres de là pendant qu’il était en tournée postale sur son vélo. Arrivé trois semaines après les bombardements, O’Donnell a capturé le dos blessé de Taniguchi à l’hôpital alors qu’il était dans le coma après avoir erré plusieurs jours dans l’enfer du désastre nucléaire avec la volonté de continuer à vivre et de ne pas se laisser mourrir. Quand le photographe a vu cet adolescent dans le coma, il a essayé d’extraire avec un mouchoir les asticots qui grouillaient dans les plaies suintantes. Après cet épisode, il s’est juré de ne plus jamais photographier des brûlés par irradiation sauf si on lui ordonnait de le faire. Sumiteru Taniguchi passera trois ans et demi hospitalisé et subira plus de cinquante opérations et de multiples séjours à l’hôpital avant de finalement décéder des complications relatives à son irradiation à 88 ans.
Son destin se croise avec celui du photographe qui est mort en 2007,
lui aussi conséquemment à la suite de son exposition aux radiations.
Revenu du Japon en 1946, l’américain travaillera comme photographe à la Maison Blanche mais, choqué par les horreurs de l’apocalypse nucléaire qu’il avait enregistré, il donnera plusieurs conférences pour promouvoir la paix et l’abolition des armes atomiques. Il s’est interrogé constamment sur la responsabilité des États Unis dans cette tragédie au point de poser la question des conséquences de cette décision au Président Harry Truman qui lui a répondu: « J’ai beaucoup de dégoût à propos de ça et j’en hérite beaucoup aussi ». A l’issue de sa carrière, alors qu’il séjournait dans une communauté religieuse, il se décida à publier une partie de son travail qu’il avait conservé dans une malle, soucieux que ses photos ne soient détruites par sa hiérarchie. Pour restituer le contexte, deux organismes de censure de l’armée et de l’administration américaines exerçaient un contrôle strict, que ce soit en confisquant photos, dessins et témoignages écrits des survivants de la bombe atomique à tel point qu’il est encore difficile d’évaluer le nombre exact des morts par irradiation des deux bombardements, estimé aujourd’hui à plus de 214 000 personnes. En 1995, ces images témoignages uniques des conséquences de la guerre atomique sont publiées dans un ouvrage intitulé « Japan 1945 : a U.S.Marine’s photographs from Ground Zéro/ Joe O’Donnell ». Y apparaît la photo de Taniguchi en noir et blanc qui montre son dos brûlé par l’irradiation. Egalement la photo d’un enfant le visage fermé portant son frère mort devant un crématoire et qui restera comme l’une des plus fortes de ces événements tragiques au point que le pape François lui même, l’a utilisé pour demander l’arrêt de l’usage des armes atomiques.
Sumiteru Taniguchi devenu, à partir de 1956, un militant actif de de l’association Hidankyo qui demandait des droits et des indemnisations pour les victimes, se servira de la photographie de son dos brûlé lors de ses nombreuses conférences pour la paix et l’abolition des armes atomiques. O’Donnell a été la cible des critiques de patriotes américains l’accusant d’oublier l’agression initiale des militaires japonais. Ses efforts ont finalement aboutis à ce que ses images soient plus fortes que la censure, contribuant à ce que l’arme nucléaire devienne un tabou.
Le site de Joe O’Donnell
Le site Hidankyo
Vidéo Ina : Sumiteru Taniguchi partage son expérience (traduit en français)