Qui n’a jamais entendu, voire utilisé, la phrase: « Mais c’est tout le portrait de son père/sa mère! » ou « Elle/il a les yeux de sa grand-mère/son grand-père! » prononcée devant le berceau d’un nouveau-né et principalement destinée à flatter l’égo du nouveau parent tout en confirmant la validité de la filiation? Derrière ces phrases anodines, se cache le souci de la perpétuation de l’espèce mais s’y ajoute une autre dimension: celle de la transmission et de l’organisation de la lignée par la famille qui en est dépositaire.
Penchés sur le berceau, les ascendants chercheront (et trouveront certainement) les signes de similitude, les marques laissées par le passé comme une signature héréditaire. Sur le plan biologique, la passation de caractéristiques physiques est une évidence qui sera plus ou moins marquée. Couleur des yeux, de la peau, taille, etc. La génétique fait son travail et chacun a certainement plus de chance de ressembler à un de ses ancêtres qu’à celui du voisin. A cela s’ajoutera, tout au long de la future vie de l’enfant, le souvenir des aïeux qui pourra être convoqué pour cimenter la filiation, à charge pour la fille ou le fils de se plier à l’injonction ou de la fuir.
Dans sa série « The Descendants » (« Les descendants »), le photographe britannique Drew Gardner a réalisé un projet photographique qui convoque art, histoire et héritage. À travers ce travail, il a cherché à ressusciter les visages de grandes figures historiques en photographiant leurs descendants directs, dans des mises en scène soigneusement élaborées pour évoquer leurs illustres ancêtres. Chaque portrait est une fusion entre passé et présent, explorant les liens invisibles et mystérieux entre les générations. L’idée est née d’une réflexion de la mère de l’auteur lui faisant remarquer qu’il ressemblait beaucoup à son grand-père, ce qui lui a donné l’idée de s’intéresser à comment des traits physiques pouvaient se transmettre dans les lignées de personnages historiques. Depuis le début du projet il y a près de vingt ans, Gardner a rencontré et photographié des membres de la famille de personnalités telles que Charles Dickens, Berthe Morisot, Cromwell, Napoléon, Geronimo, Thomas Jefferson et même la Joconde. C’est autant un hommage à des figures emblématiques qu’une réflexion sur le passage du temps et la manière dont l’histoire continue de vivre à travers leurs lignées. Avec cette sorte de machine à remonter le temps, les générations se rejoignent et les histoires personnelles et les récits collectifs s’enchevêtrent. Le résultat interpelle même si le décor et les costumes y contribue grandement et que l’on peut supposer qu’une sélection en amont n’aura retenu que celles et ceux qui collent le mieux au projet.
Dans la continuité de ce travail, le photographe s’est aventuré dans une exploration plus ciblée historiquement avec « Civil War Descendants ». Explorant la même idée de départ, ce projet se concentre exclusivement sur la Guerre de Sécession américaine (1861-1865), l’un des événements les plus marquants et douloureux de l’histoire des États-Unis qui vit s’affronter le Nord et le Sud. Gardner a entrepris de retrouver les descendants de certaines des personnages les plus emblématiques de ce conflit, qu’ils soient du camp unioniste ou confédéré, et de les immortaliser dans des mises en scène recréant l’iconographie de l’époque. On y retrouve des figures marquantes comme Ulysses S. Grant ou Robert Lee, mais aussi et surtout de simples soldats ou protagonistes comme Harriet Tubman, ancienne esclave devenue héroïne de l’Underground Railroad* qui a conduit de nombreux esclaves vers la liberté. La série peut susciter des émotions complexes associées à cette période de l’histoire américaine, le spectateur étant amené à réfléchir sur l’héritage laissé par les acteurs de la Guerre Civile, mais aussi sur la manière dont ce conflit continue de résonner dans la politique, la culture et les débats actuels des États-Unis, notamment autour des questions de race, d’unité nationale et de mémoire collective.
*Underground Railroad: réseau de routes, d’itinéraires et de refuges sûrs utilisé par les esclaves afro-américains fuyant les états du sud vers la liberté pour échapper à leur condition.
Le site du photographe
- Drew Gardner
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