M Le magazine du Monde sous la plume d’Emmanuelle Lequeux, a révélé que « trois hommes ont déposé plainte en mars contre Bernard Faucon pour des faits de violences sexuelles ». Faucon n’est pas seul en cause, ses amis Jean-Claude Larrieu et Christian Caujolle sont également cités. Cette affaire met en lumière deux problèmes : l’omerta et la prescription.
La justice a déjà eu à juger des photographes dans des affaires d’agressions sexuelles, mais voilà que Bernard Faucon, un photographe connu et diffusé par l’agence VU’, Jean-Claude Larrieu, un chef opérateur et Christian Caujolle, ancien directeur photo de Libération, fondateur de l’agence VU’, aujourd’hui conseiller artistique de la Galerie du Château d’eau de Toulouse, sont accusés mais toujours présumés innocents tant que ces affaires ne sont pas jugées.
Emmanuelle Lequeux journaliste au quotidien Le Monde a débuté une longue enquête à la suite de l’affaire du plasticien Claude Levêque accusé en 2019 de « viols et agressions sexuelles sur mineurs ». La journaliste, qui appréciait son art et a écrit des articles, a été surprise et [selon ses dires] a culpabilisé de n’avoir pas compris. » Une bonne raison pour creuser ce problème d’omerta concernant la pédophilie. Elle a ensuite contacté les victimes de Bernard Faucon. Trois ans d’enquête qu’elle ne pouvait plus lâcher après avoir obtenu la confiance des plaignants.
Les plaignants : Ferjeux van der Stigghel est aujourd’hui âgé de 61 ans. Au moment des faits il avait 17 ans et Bernard Faucon 30 ans. Il a été entendu par la police d’Apt tout comme l’autre plaignant Jean-Philippe Cecile. Le troisième, Olivier (59 ans) n’a pas encore été convoqué et souhaite rester anonyme.
Celui qui parle le plus volontiers, mais avec prudence et dans la souffrance, est un photographe « né en 1963, [qui] réalise ses premières commandes pour Libération à l’âge de 17 ans. » comme le précise sa biographie sur le site de l’agence Signature qui le diffuse. « Il part ensuite de New York s’installer à Mexico où il exerce, entre autres, le métier de photographe de plateau pour le réalisateur François Reichenbach. Exposé en France, en Suisse, au Mexique, il publie ses images personnelles réalisées dans plusieurs pays d’Amérique du Sud. »
« Ferjeux van der Stigghel a également porté plainte pour agression sexuelle contre le chef opérateur Jean-Claude Larrieu, proche ami de Faucon et grand orchestrateur des mises en scène enchantées qu’il photographiait, dans lesquelles de jeunes éphèbes semblaient flotter, éternellement suspendus entre l’enfance et l’adolescence. Et contreChristian Caujolle » précisent Claire Moulène et Elisabeth Franck-Dumas dans le quotidien Libération.
Témoin privilégié : Libération
Du coup, Libération fait, sur la pointe des pieds, dans l’introspection. Ferjeux van der Stigghel a fréquenté le journal. Au téléphone il nous déclare : « Lorsque suis allé pour la première fois à Libération avec Christian Caujolle, Serge July annonçait une série de licenciements, je me souviens qu’il fallait traverser la rue pour aller aux archives. Il y avait Christian à la photo et je me rappelle de Maurice avec lequel j’avais sympathisé, Hélène, Alain… Je ne connais pas exactement la date. C’est lointain, mais je garde cependant des souvenirs précis des moments passés avec lui. Je l’ai rencontré chez Bernard Faucon et Jean-Claude Larrieu, et je l’ai revu plusieurs fois à Paris. Un soir chez lui, il a tenté de coucher avec moi alors que je dormais. Il m’a également invité en tant qu’apprenti photographe pour Libération au festival de Cannes 1981. C’était une autre époque… »
Il faut dire que l’affaire Faucon est gênante pour le quotidien. Christian Caujolle a publié plusieurs articles élogieux sur Bernard Faucon, et jusqu’alors « Caucau » était encensé pour sa politique photo, notamment durant les festivités du cinquantième anniversaire de la création du journal.
« Un petit tour dans les archives de Libé révèle d’ailleurs une photo qui intrigue, aujourd’hui. » écrivent nos consoeurs de Libération. « Il s’agit d’une « photo-postale », commandé dans le cadre d’une série d’été par Christian Caujolle alors au service photo de Libé, qui conviait des photographes à partager un ou deux instantanés de leur été. Bernard Faucon envoie le sien. Nous sommes en août 1987, et la photo en noir et blanc révèle un grand dortoir où des sacs de couchage sont alignés, dans sa maison du sud. On pense reconnaître Faucon, Lévêque, un ado et trois enfants, chacun dans son sac, on dirait qu’ils viennent de se réveiller. Sur le mur ont été bombés des prénoms : Claude, Pepito, Gilou, Bernard, Titi et Jean. »
A Libération, beaucoup de monde connaissait les penchants de Christian Caujolle et ses amis, pour les jeunes, très jeunes garçons, mais l’omerta régnait.
« On ne pouvait rien dire ouvertement » témoigne Sylvie Bouvier ancienne éditrice photo (1981 – 1995) à Libération. « Dans ces années-là, oser critiquer un penchant pédophile équivalait à condamner l’homosexualité ! Impensable au journal lieu de toutes les libertés. Christian Caujolle ne se cachait absolument pas, il faisait régulièrement visiter le rédaction à des jeunes et beaux adolescents qu’il emmenait dans les somptueux vernissages de l’époque. La publication des témoignages des victimes présumées me donne l’espoir d’une réparation pour eux ; et enfin, la fin de notre abominable déni collectif. »
Nos consoeurs de Libération ajoutent : « Si l’éventualité de crimes pédophiles commis par [le plasticien] Claude Lévêque [1] a pu en surprendre certains dans le monde de l’art, le nom de Bernard Faucon, lui, devrait aujourd’hui être reçu avec moins d’étonnement. Le photographe avait illustré le sulfureux n°37 de la revue Recherches, Fous d’enfance. Qui a peur des pédophiles ? désormais introuvable et retiré de la circulation, aux textes signés René Schérer, Gabriel Matzneff ou Guy Hocquenghem, où l’on trouve aussi une publicité pour un abonnement au journal de l’Ecole en bateau de Leonide Kameneff (condamné à douze ans de réclusion criminelle pour viols et agressions sexuelles sur mineur de quinze ans en 2013), journal « réservé jusqu’à présent aux parents », et une autre [publicité] pour l’achat, aux éditions Gallimard, de Petits Garçons de cartes postales (140 cartes postales 1900 Collection Christian Caujolle), 85 Francs. »
En 1985, Christian Caujolle fonde l’agence VU’ et recrute Bernard Faucon dans son écurie au côté d’autres photographes. Mais là, également les témoignages sont rares. Xavier Soule, qui a repris l’agence VU’ avec le Groupe Advent bien après les faits en question et alors que Bernard Faucon ne faisait déjà plus de photo, a évidemment bien connu « Christian Caujolle qui depuis la création de l’agence était salarié. Nous nous sommes séparés brutalement en 2007 pour des approches éthiques divergentes. Handicapé par sa maladie, il lui arrivait de signer des contrats sans queue ni tête à ses jeunes amis… Mais que pouvais-je faire ? Il n’y a jamais eu de flagrant délit de comportements condamnables que je puisse dénoncer. »
Caujolle, Faucon, les deux noms se retrouvent souvent associés. M Le magazine du Monde, précise : « Delphine Meillet, conseil de Christian Caujolle, réfute toute accusation : « Monsieur Christian Caujolle a le souvenir lointain d’avoir croisé Ferjeux van der Stigghel dans les années 1980 parmi le petit monde de la photographie qui fréquentait la célèbre Galerie Agathe Gaillard (à Paris). Il n’a jamais eu de relation avec lui. Maître Meillet, avocate a fait l’objet d’un « Portrait » dans Libération où l’on apprend qu’elle « est contre l’allongement du délai de prescription ». Intéressant, car la prescription des crimes de pédophilie est au cœur des plaintes déposées dans l’affaire révélée par Le Monde.
« La prescription est une double peine » a confié Ferjeux van der Stigghel à Ericka Weidmann du magazine 9Live au lendemain de la publication de M Le magazine du Monde. « Je le redis, pour moi c’est un crime contre l’humanité il ne peut pas y avoir prescription ! Je sais à quel point cela détruit, ça te met dans l’incapacité d’être producteur et architecte de ta vie quand tu traînes de telles choses. Il y avait une inconstance dans l’existence, c’est vraiment la peur d’exister. »
Le petit milieu de la photographie
« Le duo [Bernard Faucon et Jean-Claude Larrieu] a mis dans sa poche le petit milieu de la photographie et pèse lourd sur la scène parisienne, jusqu’au début des années 1990 » écrit Emmanuelle Lequeux « Tout aussi fidèle [que Chistian Caujolle], l’écrivain Hervé Guibert l’encense dans [les pages] du Monde. L’écrivain Michel Tournier, cofondateur des Rencontres de la photographie d’Arles, fait partie des visiteurs assidus. D’un point de vue professionnel, Bernard Faucon bénéficie aussi du soutien de Jean-Luc Monterosso, qui vient de cofonder Paris Audiovisuel, structure de soutien à l’image – et qui plus tard, quand il sera à la tête de la Maison Européenne de la Photographie (MEP), consacrera en 2005, la plus grande rétrospective de Bernard Faucon. »
Agathe Gaillard, Christian Caujolle, Jean-Luc Monterosso, comme la direction de Libération, ne pouvaient ignorer les pratiques de Bernard Faucon ; et pourtant ils ont fait sa promotion facilitant ses expositions dans le monde entier comme par exemple chez Yvon Lambert, ou chez Castelli faisant de lui une star jusqu’aux USA et au Japon.
Finalement, Emmanuelle Lequeux précise : « La tribu se retrouve aussi rue du Pont-Louis-Philippe, à Paris, aux vernissages de la Galerie Agathe Gaillard. Alors grande prêtresse de la photographie, elle expose à plusieurs reprises Bernard Faucon, l’ami intime, dont elle demeure, à 83 ans [ Elle aura 89 ans en janvier 25], une âpre défenseuse.
« C’est un poète, une personnalité exceptionnelle, lance-t-elle quand nous la contactons, à la mi-octobre. Il avait le sens de ce qui éblouissait les petits. La pédophilie ? Pour lui, c’est juste une de ses particularités, comme son accent du Midi [sic]. Il l’a sublimée, l’a rendu belle, enviable, digne de nos beaux souvenirs d’enfance. »
On reste bouche bée à cette lecture surtout quand l’ancienne galeriste, âgée certes, mais qui a toute sa tête, assène : « À l’époque, ils étaient bien contents. Aujourd’hui, ils sont victimes car c’est à la mode. Par vengeance et jalousie. »
Contents les gosses ? En tout cas cela ne se voit pas sur les photos de Bernard Faucon ! Les gamins ont tous l’air tristes. C’est d’ailleurs ce qui m’avait frappé à l’époque quand ce « milieu de la photo » l’encensait. Et ce qui m’en avait tenu à l’écart alors que je dirigeais une agence.
Du coup, je téléphone à Agathe Gaillard qui me dit en décrochant et en apprenant le motif de mon appel : « Depuis cet article [du Monde] je reçois sans arrêt des appels, certains pour m’insulter, d’autres, plus nombreux pour me féliciter. Je continue à garder mon amitié à Bernard. Il aimait les gamins, et j’en connais qui sont très heureux de l’avoir fréquenté. Bernard est très connu en Chine, je me souviens d’un jeune homme qui présentait son travail en disant qu’il l’avait connu à douze ans ! Ferjeux je l’ai aussi connu, je l’ai même recueilli. Ce qu’il dit est faux. Il était trop vieux pour Bernard et trop jeune pour Jean-Claude. Pour moi ce sont des fantasmes. Je ne m’occupais pas de savoir avec qui couchait les photographes et eux ne s’intéressait pas à moi pour coucher, mais pour exposer leur travail. Ça devient une mode ce cafardage. Ça me choque. »
A M Le magazine du Monde elle a déclaré : « Dans ces années-là, ce que l’on appelait pédophilie n’était pas scandaleux, juste étrange. » Pour avoir côtoyé la rédaction de Libération et le monde parisien de la photographie, je peux témoigner que non : la pédophilie n’était pas « étrange », elle était, pour tous les gens censés et pas intéressés, une pratique « anormale » qu’il n’était pas question de cautionner.
Mais, bien sûr, tout le monde, s’est tu. Libération en premier, mais également les magazines photo de l’époque, trop heureux de publier des images scandaleuses. Et puis, si tous, moi compris, avait entendu les rumeurs, encore aurait-il fallu « tenir la chandelle ». L’omerta régnait alors sur ces pratiques comme sur d’autres.
L’inceste, les violences faites aux femmes, les viols étaient considérés comme des « affaires privées » dont on n’avait pas à se mêler. Mais de là à dire, comme Agathe Gaillard, qu’il « n’y avait pas de norme. Pas de culpabilité, liberté totale. » Encore une fois : non ! Et puis, ça suffit de faire croire, comme l’extrême-droite, que ces crimes sont le résultat du mouvement de Mai 68 ! Les agressions sexuelles ne sont ni de droite, ni de gauche, ce sont simplement des délits et des crimes qui ne peuvent être couverts par aucune omerta. Trop de gens qui ont vu, su, sont encore aujourd’hui culpabilisé de s’être tu.
Précision : En l’absence de jugement, les hommes mis en cause pour pédocriminalité restent présumés innocents.
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Note [1] Claude Lévêque a été mis en examen le 31 mars 2023 pour viols sur mineurs. Claude Lévêque reste présumé innocent. Le parquet de Bobigny a ouvert une enquête préliminaire au printemps 2019 pour « viols et agressions sexuelles sur mineurs de moins de 15 ans » à la suite d’accusations formulées par le sculpteur Laurent Faulon voir Tout le monde savait, une omerta au nom de l’art in Le Monde du 15 janvier 2021.
Dernière révision le 9 décembre 2024 à 6:26 pm GMT+0100 par la rédaction
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