Novembre 2008. A peine rentré d’Afghanistan, mon passeport me démange, je prends goût à l’international, au voyage, aux conflits. Je dois repartir, c’est une drogue. Sauter dans un avion, grimper dans un taxi, monter dans un bus, me hisser sur un blindé… qu’importe mais mettre le pied à l’étrier, sauter du marche-pied, poser mon cul sur la surface rugueuse d’une moto, le sac photo en bandoulière, courir sous la chaleur, marcher sous la pluie… l’aventure la vraie quoi.
Le conflit au Nord-Kivu en République Démocratique du Congo était à son apogée depuis quelques mois. Je découvrais cette situation, je souhaitais m’y rendre. Pour rejoindre l’est du pays je dois passer par le Rwanda, proche de la frontière et de la ville de Goma. Je reçois mon visa pour la RDC mais les autorités de Kigali trainent pour me donner une réponse. Pas d’ambassade à Paris, il me faut passer par le consulat en Belgique. Je dois appeler tous les jours à Kigali pour faire avancer le dossier. On me balade clairement. J’enrage.
J’apprends que Rémi Ochlik et Lucas Dolega, deux confrères photographes et amis, doivent s’y rendre. On décide de faire équipe, on pourra partager les frais d’hôtel, le taxi, le chauffeur si besoin. Une entraide essentielle entre free lance. Il est décidé de passer par l’Ouganda. Le visa est simple à obtenir, je le reçois l’après-midi même. Rémi a des obligations et me rejoindra avec Lucas dans une semaine. J’atterris ainsi seul à Kampala en Ouganda. Je respire. Il fait chaud et humide, la moiteur africaine me colle à la peau. Je me pose dans un hôtel pas trop cher, au bord de l’immense lac Victoria.
Au plus vite je dois trouver une liaison entre Kampala et Goma en RDC. Pas de ligne directe, pas de liaison régulière. Je me rends au siège des Nations Unies près de l’aéroport afin de trouver un vol. Je m’y rendrai les jours suivants car il n’est pas possible de savoir à l’avance les disponibilités. En attendant je prends mon mal en patience sur les rives du lac où il est impossible de se baigner. Un vers y pullule, la Bilharziose. Le genre de bestiole qui s’introduit sous la peau. Je ne tiens pas à devenir la terre d’accueil de ce monstre.
Rémi Ochlik me rejoint au sixième jour. Lucas lui est resté bloqué à l’aéroport parisien, il n’avait pas pris de visa ougandais et une hôtesse de l’air a fait du zèle. Rémi a pu passer, Lucas reste sur le tarmac. Très rapidement on dégote un avion d’une compagnie black listée, le mois dernier un avion effectuant la liaison que l’on va prendre s’est crashé. C’est rassurant! Surtout que l’avion doit s’arrêter trois fois avant notre destination finale. Avant le décollage nous enchaînons les blagues douteuses sur notre sort à venir, en raillant tant la compagnie que le pilote.
Ce n’est qu’en discutant avec la dame Belge installée derrière nous durant le vol que nous réalisons que nous sommes accompagnés par la famille du PDG de la compagnie ! La femme et ses enfants. La honte s’empare de nous. Le trajet est mouvementé durant le survol des collines du Kivu. Le passage à la douane est tendu. Malgré notre visa, le militaire ne semble pas satisfait de notre présence. On ne sait pas si on doit glisser un petit billet. L’avantage d’être indépendant fait que la précarité nous pousse à être incorruptible. Avec Rémi nous trouvons un chauffeur et un 4X4 relativement solide pour pouvoir nous aventurer au nord de Goma, où dit-on des combats pourraient avoir encore lieu. Nous sommes en pleine période de cessez-le-feu entre les rebelles et l’armée de Kabila. Nous arrivons trop tard pour être au coeur de l’actualité. Notre seule chance serait d’être arrivés en avance sur la prochaine actualité. (à suivre)
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Dernière révision le 9 décembre 2024 à 6:01 pm GMT+0100 par la rédaction
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