Depuis 2021, Frédérique Aubert, épouse du photographe Dominique Aubert, ouvert une petite galerie en Arles. Une façon d’assouvir leur passion commune pour des images légendaires de la seconde partie du XXème siècle.
Début novembre à Arles, à l’étouffante chaleur des Rencontres succède la pluie d’un épisode méditerranéen nettement plus favorable à la déambulation dans cette vieille ville, jadis si provençal et aujourd’hui quelque peu « bobotisée ».
Au coin de la rue Réattu et de la rue des Suisses, au 19, la Galerie SpeedBird affiche de jolies photographies sur sa devanture. Frédérique et Dominique Aubert nous accueillent chaleureusement. Dominique n’est pas un inconnu de L’œil de l’info. Nous avons publié un podcast étonnant (3 épisodes) ou il raconte sa vie d’ancien militaire à Beyrouth et surtout d’ancien photojournaliste à feu l’agence Sygma.
De l’époque Sygma, il a conservé l’amitié avec celui que Monique Kouznetzoff avait baptisé « HH ». Tous les deux avaient en commun la passion de la photo et la passion des courses automobiles, en particulier des 24 heures du Mans dont Hubert Henrotte était natif. C’est, un peu, grâce à « HH » le directeur-fondateur de l’agence ; et à beaucoup de courage que Dominique Aubert est ensuite devenu pilote, commandant de bord sur Boeing777, s’il vous plait ; avant d’arrêter ce métier pour raison de santé.
A cette époque, un peu déboussolé, Dominique s’interrogeait sur son avenir. C’est là, que Frédérique, son épouse, d’origine arlésienne eut la bonne idée : ouvrir une galerie de photographies. L’idée avait de solides racines, car Dominique, depuis sa jeunesse collectionnait les tirages qu’il achetait quand il était en fond. En même temps, il acquérait une connaissance pointue sur le marché de la photo ; et ses passions les autos, les motos, les avions. Il ne restait plus qu’a trouver ce petit local, si bien situé, et à faire quelques travaux pour qu’il soit accueillant. C’est fait, et je vous invite à leur rendre visite. Non seulement il y a de très belles images, de très belles idées et pour chacune une histoire que Dominique adore raconter.
Entretien avec Frédérique et Dominique Aubert
Quand et pourquoi cette galerie ?
Frédérique : J’en ai eu l’idée en 2021, pendant le COVID pour pouvoir vendre et faire connaître notre travail. Nous étions très présents dans les salons « vintage » de toute l’Europe, mais avec le COVID, tout s’est arrêté du jour au lendemain.
Les photos « vintage » … Mais, de quelle année et sur quel thème ?
Frédérique : Pour nous le « vintage » couvre les photographies des années 1910 jusqu’aux années 60, 70 voir 80. Les thèmes abordés sont principalement la vitesse, donc auto, moto, avion ; mais nous aimons aussi les pin-up et le rock’n’roll.
Le Rock’n Roll, c’est un sujet formidable, mais il y a déjà beaucoup de photos sur le marché ?
Frédérique : Bien sûr, mais nous travaillons avec l’exigence d’être propriétaire des négatifs et des épreuves ! Toutes nos photos sont, pour le plus grand nombre d’entre elles, inédites et n’ont jamais été publiées. Ce sont des photographies qui ne sont pas forcément signées par de grands photographes, mais ce qui nous intéresse, c’est le sujet, le thème et l’environnement dans lesquelles ont été prises ces images.
Donnez-nous des exemples ?
Frédérique : La photo des Beatles prise par Malcolm Carling sur le perron du domicile de Brian Epstein, le manager des Beatles d’alors, à l’occasion de la promotion de la sortie de l’album Sgt Pepper à Londres au mois de mai 1967 ; je parle sous le contrôle de Dominique parce que c’est lui qui connaît beaucoup mieux le Rock que moi. Cette photo des Beatles décrit les tous premiers « photo-calls » de l’époque qui serait absolument inimaginable aujourd’hui, surtout avec un groupe comme les Beatles. Il y a toute une histoire derrière. Ce n’est pas la photo léchée. La même chose, par exemple, pour Diana Ross réalisée par Harry Langdon à New-York, sur un cyclo des années 70 qui est magnifique, mais on voit le backstage de la photo.
Je vois aussi une superbe et étonnante photo de Jimi Hendrix…
Frédérique : Pour cette photographie de Jimi Hendri x réalisée par David Montgomery [1] que nous avons rencontré chez lui à Londres il y a deux ans, nous sommes parvenus à travailler avec lui assez facilement parce que nous avons eu tout de suite un excellent contact. C’est un monsieur absolument charmant, qui a maintenant plus de 80 ans. Concernant le « Jimi Hendrix », David a accepté de réaliser pour nous un montage à l’aide d’une image inédite de Jimi, en retrouvant le cache Kodachrome d’origine associé à ce 24×36 comportant les annotations manuscrites de 1967. Nous lui avons demandé de réaliser cette pièce en conservant le cache Kodak tout en repositionnant le 135mm original à l’intérieur. L’équipe de David a ensuite réalisé un montage inédit pour nous, qui a ensuite été édité et signé à 17 exemplaires en exclusivité pour notre galerie.
Dominique : David Montgomery nous a raconté comment Hendrix est arrivé pour faire la photo du disque : «Lorsque Jimi Hendrix est arrivé à Londres, personne ne le connaissait, mais quand Eric Clapton, Pete Townsend et Keith Richards l’ont entendu jouer, ils sont tous devenus fous et sont restés abasourdis par le son de ce nouveau guitariste arrivé tout droit de Seattle. Jimi était véritablement un type charmant ; en étant tous les deux Américains à Londres, nous nous sommes tout de suite très bien entendus. Pour la réalisation de cette pochette de disque devenue iconique, j’étais alors en compétition avec la photographe américaine, une certaine Linda McCartney. Le producteur Chris Stamp, (le frère de l’acteur Terence Stamp) a finalement tranché, en choisissant les images de Jimi Hendrix réalisées autour d’un décor en flammes, qui a d’abord failli brûler Jimi en dégénérant ensuite en incendie, que nous sommes fort heureusement parvenu à maîtriser avec mon équipe d’assistants… »
Frédérique : Nous exploitons également une planche contact originale des Rolling Stones réalisée également par David Montgomery. Ces photos ont servi pour la promotion du 9ème album des Stones ; l’album Sticky Fingers sorti en avril 1971. David nous a permis de commercialiser en exclusivité la totalité des planches en grand formats éditées et signées à 15 exemplaires. Cette manière de travailler nous a permis de nous démarquer du monde des galeries et des collectionneurs professionnels en exploitant des pièces iconiques en totale exclusivité.
Dominique : A propos de la séance photos avec les Stones, David nous a également raconté qu’il s’est très bien entendu avec eux à part Mick Jagger qui est arrivé avec quatre heures de retard au studio de Chelsea…En plus, et toujours selon David, Mick Jagger n’était pas du tout concentré par la prise de vue ; faisant face à cette attitude, David a naturellement menacé de tout arrêter ! David Montgomery est toujours en relation avec Keith Richards.
Mais, la vitesse… Je vois des photos de motos, des photos de voitures…
Frédérique : Pour les voitures, les images les plus iconiques sont celles des 24 heures du Mans. Elles parlent à tout le monde. Les départs du Mans avec les pilotes qui courent pour sauter dans les voitures sont dans l’imaginaire collectif. Et puis nous avons pas mal de photos des courses aux États-Unis ainsi qu’en Angleterre…. Qu’est-ce qu’on a d’autre ? Les motos évidement, mais moi, les motos… Je suis moins calée que Dominique.
Alors, les motos ?
Doinique : J’ai une collection personnelle de négatifs, constituée de différents types de celluloïdes, de tous formats confondus ; petit, moyen et grand format, que je suis parvenu à acquérir au fil du temps. Ces pièces ainsi que les transferts de droits d’auteur, par l’intermédiaire de plusieurs clubs Californiens de moto d’avant-guerre. J’ai également réussi à dénicher chez d’autres collectionneurs, des trésors mis en vente, dont j’ai pu faire également l’acquisition.
Oui, je vois des photos de moto très anciennes… Une Harley de… Je ne sais plus quelle année.
Dominique : Il s’agit d’un UL 42, donc une « Harley Davidson Knucklehead de 1942 » que j’ai prise moi-même pendant un « run » à Wildwood beach dans l’état du New Jersey, au sud d’Atlantic City. Cette localité a été choisie parce qu’elle a la propriété d’avoir une plage avec un sable très dur qui permet aux motos de rouler très vite.
Là, par exemple, vous pouvez voir une photo réalisée en 1915 d’une Harley Davidson de type 11F « BikeBound », à l’endroit exact où se trouve actuellement le circuit automobile de Watkins Glen situé dans l’Upstate New York. Les plus anciens se souviendront que c’est sur ce circuit que se tua François Cevert en octobre 1973, au volant de sa monoplace Tyrell, lors d’une séance d’essai au Grand Prix des Etats-Unis.
Vous avez aussi devant vous une Triumph de type « drag » pilotée par Martin Roberts, un pilote hélas mort aujourd’hui, photographié par Malcolm Carling un grand photographe Britannique. Malcolm était très connu pour son travail avec les Beatles, alors que sa véritable passion était les photos des courses autos et motos. Il s’agit ici d’un « run », ou « départ arrêté » sur le terrain d’aviation de Duxford en Angleterre où décollait les avions de la Royal Air Force pendant la seconde guerre Mondiale.
Puisqu’on parle de vitesse, parlons aussi avion. Je vois une magnifique photo de Spitfire…
Dominique : Effectivement nous avons une collection très intéressante dont, encore une fois, nous avons la propriété exclusive. Il s’agit ici d’un Supermarine Spiteful successeur du légendaire Spitfire, équipé du moteur Rolls-Royce Griffon, survolant une mer de nuages au-dessus de l’Europe occupée à la fin de l’année 1944. Le photographe, Charles E. Brown [2] appartenait au corps de la Royal Navy en charge de préparer les bombardements en prenant en photo les objectifs militaires à neutraliser. La collection photographique des objectifs stratégique demeure toujours au sein du Musée de la Royal Air Force en Angleterre, mais ses photos privées sont celles de ses avions, « anges gardiens » chargé alors de protéger son propre avion afin que les films soient bien acheminés en Angleterre. Nous sommes parvenus à en acheter quelque unes auprès de la famille.
Frédérique Aubert, à qui vendez-vous ces photos ?
Frédérique : Ces photos sont achetées par des passionnés souvent très soucieux du moindre détail, ou des touristes qui se promènent dans Arles…Ils disent : « c’est formidable, ça me rappelle l’histoire de mon grand-père ». Ou, pour le rock : « je me souviens du disque ou de tel album » etc. Il y a des gens qui sont très sensibles à ces années-là et qui retrouvent chez nous un petit peu de leur jeunesse. A Arles, aujourd’hui, il y a beaucoup d’expositions très art contemporain, voir un peu abstraites. Quand ils arrivent devant notre galerie, beaucoup disent : « au moins, ça, je connais » !
Nos photos parlent à tout le monde et nous vendons à tous les publics : certes, à des collectionneurs avertis bien sûr, qui achètent des grosses pièces : mais également, à des gens beaucoup moins argentés, amoureux de la photo, qui achètent nos petits formats. Pour tout ce qui nous appartient, nous pouvons proposer des petits formats accessibles à tous, mais ce sont des jolies pièces faites avec beaucoup de soin.
Les prix vont de quoi à quoi ?
Frédérique : C’est un petit peu difficile à dire, cela dépend de la façon dont la photo est présentée, son encadrement et son format. Nous avons par exemple de jolis petits formats à 50€.
C’est un marché difficile, nous sommes régulièrement informés par des annonces de fermeture de galeries…
Frédérique : Oui, mais nous travaillons sur une niche. Nous sommes les seuls à faire ça sur ces thèmes précités. Notre point fort c’est d’être propriétaire des négatifs et des épreuves, ça simplifie… Et nos photos sont inédites. C’est une petite niche, mais ça marche. Ca marche !
Site web : https://www.speedbirdphotovintage.com
Instagram : https://instagram.com/speedbird_gallery
Notes
- [1] David Montgomery (USA, New York, Broklyn, 8 février 1937) est un photographe américain auteur de nombreux portrait de célébrités dont Bill Clinton, Mick Jagger, Jimi Hendrix, Margaret Thatcher, Peter O’Toole et Andy Warhol.
- [2] Charles E. Brown ( GB, Londres, Wimbledon, 2 janvier 1896 – West Sussex, Storrington, 9 octobre 1982) est un photographe britanique indépendant qui a travaillé au Daily Mirror avant et après la première guerre mondiale. En 1940, ses bureaux ont été touchés par un bombardement et il a perdu une partie de ses archives. Il a travaillé pour la Royal Air Force et sa collection est en partie au Musée de la RAF.
- Affaire Bernard Faucon
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