Né dans une région agricole, Yang Shun-Fa grandit dans un environnement marqué par la ruralité et la culture traditionnelle taïwanaise. Très tôt, il est sensibilisé aux mutations sociales et économiques du pays, qui influencent considérablement son travail. Il commence à s’intéresser à la photographie dans les années 1980, une époque marquée par de profonds changements politiques à Taïwan, notamment la levée de la loi martiale en 1987 et l’émergence d’une société civile plus ouverte. Ces transformations laissent une empreinte durable sur sa manière de voir et de capturer le monde. Il va s’efforcer de documenter la vie des communautés marginalisées, des travailleurs ruraux, des pêcheurs, et de ceux dont la voix reste souvent inaudible, par un témoignage visuel de la complexité des identités de son pays et la volonté de rendre visible l’invisible.
Yang Shun-Fa explore des thèmes complexes tels que la mémoire, l’identité, la marginalisation sociale et la relation entre l’homme et son environnement. Marqué par l’empreinte de la nature sur le territoire, il accorde dans son travail une grande importance aux paysages naturels, tout d’abord en les représentant dans une dimension esthétique qui rappelle celle de la peinture chinoise classique où la nature est figurée comme un espace infini, harmonieux et immuable, dans lequel l’homme n’est qu’un élément fugace. S’y ajoute une profonde méditation sur la relation entre l’homme et son environnement. Ses paysages symbolisent à la fois la beauté éphémère du monde naturel et l’épreuve du temps. Ses images invitent à la contemplation et révèlent la relation intime que l’homme entretient avec les lieux qu’il habite ou traverse. En ce sens, son travail peut être perçu comme une réflexion sur la perte de certaines valeurs traditionnelles face à l’urbanisation et à la modernisation rapide de Taïwan.
Outre ses œuvres axées sur la nature et les paysages, Yang Shun-Fa consacre également une partie de son travail à documenter la vie des communautés marginalisées, pêcheurs et travailleurs des régions côtières, hommes et femmes souvent issus des classes les plus pauvres de la société, vivant en marge du développement rapide de l’île et de ses grands centres urbains. L’une des caractéristiques les plus marquantes de l’œuvre de Yang Shun-Fa est son esthétique minimaliste et épurée. Il privilégie souvent des compositions simples, où chaque élément semble avoir été soigneusement choisi pour évoquer un sentiment particulier ou pour renforcer la charge émotionnelle de l’image. Cette approche confère à son œuvre une qualité intemporelle, renforçant l’idée que ses photographies dépassent le contexte immédiat pour toucher à des questions plus vastes et universelles.
Un village déraciné
Pendant huit ans, l’auteur a réalisé des images panoramiques pour immortaliser par des mises en scènes très élaborées le village de pêcheurs de Hongmaogang, vidé de ses habitants après leur déplacement forcé en 2006 pour permettre la construction du plus grand terminal à conteneurs de Taïwan. Bien que maintenant déserté, le village reste presque intact, attendant encore sa destruction finale. À l’intérieur des maisons abandonnées subsistent des décors, des objets abandonnés ou abîmés, ainsi que des souvenirs devenus obsolètes, vidés de leur sens. Le désintérêt des autorités envers les villageois se reflète dans l’abandon de ces objets, tandis que le silence semble habité par les fantômes toujours omniprésents dans la culture taïwanaise.
Le théâtre de la mer
Cette série imagine un théâtre recomposé du littoral pacifique, rendant hommage aux travailleurs de la mer, principalement des femmes, qui s’aventurent à marée basse dans l’eau pour récolter les palourdes, une activité traditionnelle menacée par la construction d’une centrale électrique. D’autres images montrent l’activité dans un village où le retrait de la mer à marée basse est particulièrement important et où des « bœufs de mer » sont utilisés pour travailler dans les parcs à huîtres. Egalement l’installation des filets pour capturer les civelles, poissons très prisés à Taïwan. Chaque scène est une composition numérique élaborée, rassemblant des gestes et situations qui retracent la relation intime des Taïwanais avec l’océan, source nourricière et lieu de leur migration initiale.
Taïwan submergée
Ce projet s’intéresse aux zones côtières submergées depuis les années 1980, à cause de la montée du niveau de la mer, des typhons, du pompage excessif des eaux souterraines ou encore des constructions incontrôlées d’usines et de ports. Cette série illustre comment les actions humaines désordonnées sont surpassées par la force implacable de la nature.
L’eau omniprésente devient un symbole à plusieurs facettes, fluidité de la mémoire collective d’une part, submersion des identités de l’autre. Le titre même de la série évoque à la fois une réalité physique et une métaphore culturelle. Ces paysages immergés peuvent être vus comme une allégorie de la manière dont la mémoire, l’histoire et les identités culturelles sont souvent noyées sous le poids des événements politiques et historiques. La submersion devient alors un processus de transformation: ce qui est submergé n’est pas forcément perdu, mais peut émerger de nouveau, transformé et régénéré. Dans cette optique, c’est aussi une réflexion sur la résilience du peuple taïwanais qui, malgré les tempêtes de l’histoire, continue de se réinventer et de redéfinir son identité face à l’adversité.
Une vie de chien
Inspirée par les chiens errants souvent observés lors de ses explorations côtières, cette série montre le chien de tête guidant la meute à travers les bancs de sable comme une métaphore de la vitalité, de la détermination et du courage du peuple taïwanais. Le titre « To-Go » joue sur le nom chinois de ces chiens bâtards et évoque un perpétuel mouvement, une quête sans crainte de l’inconnu. En combinant plusieurs prises de vue, Yang crée l’illusion d’un instantané où le contraste entre l’immensité du paysage et les petites silhouettes des animaux symbolise la relation particulière de Taïwan avec le monde extérieur et sa capacité à persévérer face à un avenir incertain.
Ce travail est exposé jusqu’au 16 février 2025 au lavoir Numérique à Gentilly
Le site de l’artiste
- Yang Shun-Fa
La beauté submergée de Taïwan - 6 décembre 2024 - Drew Gardner
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